Après une épreuve dramatique durant les années 1990: Qui se souvient du Ramadhan rythmé par les explosions?

Après une épreuve dramatique durant les années 1990: Qui se souvient du Ramadhan rythmé par les explosions?

Durant plus d’une décennie, l’Algérie avait vécu dans une atmosphère de violences. Les femmes, les enfants, les personnes âgées, aucun n’échappait à la barbarie de l’hydre sauvage.

Ceux-là même qui voulaient à tout prix prendre le pouvoir finiront par prendre les armes contre la population. Aucune distinction.

Les assassinats étaient au quotidien et la cadence se multipliait durant le mois de Ramadhan. Pour ces criminels «le fait les rapproche plus de Dieu»! Qui ne se souvient pas de ces enfants mutilés le jour de l’Aïd à Sidi Bel Abbès, ces jeunes égorgés au bord de la mer à Jijel, ces bombes qui explosaient dans les lieux publics. Nul n’oubliera ces atrocités, encore moins ceux qui les ont vécues de plus près. Alger, Constantine, Jijel, Blida et bien d’autres grandes villes ont vu des horreurs. Personne n’osait s’aventurer au-delà de 17 heures dans la rue. Tous s’enfermaient chez eux et les commerçants baissaient leurs rideaux bien avant.

Pris par une force démentielle, ces terroristes qui appartenaient à différents groupes de criminels n’avaient qu’une seule envie, faire couler le sang. Durant plus de 10 ans, des familles ont été décimées, des femmes violées et assassinées, des enfants enrôlés au sein des groupes armés quand ils ne sont pas tués, des personnes âgées décapitées. En un mot, la psychose totale. Ce traumatisme, certains le portent toujours. Avec un retour à la paix aujourd’hui toutes ces victimes gardent les images de scènes horribles.

De la Rahma de Liamine Zeroual l’ex-président de la République, à la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, en passant par la Concorde civile, du chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika, l’Algérie retrouve sa sérénité, cette joie de vivre et sa quiétude. On peut faire des projets, espérer passer des vacances et vivre un Ramadhan comme au bon vieux temps avec des soirées animées, des balades jusqu’à une heure tardive de la nuit, les spectacles longtemps absents de la scène et surtout cette sécurité qui s’est installée grâce à des hommes engagés et une armée qui ne ferme pas l’oeil.

L’ANP qui a payé une lourde facture par la perte de milliers de militaires est restée debout. Aujourd’hui encore, elle mobilise tous les moyens pour préserver cette paix chèrement acquise.

Avec son expérience incontestable l’ANP n’hésite plus à aller vers la cible et n’attend plus. Par ses compétences aujourd’hui reconnues dans le monde entier l’ANP prévoit le danger tout en mettant en place une stratégie pour faire face à toutes les menaces. Ceux qui ont vécu cette période peuvent en témoigner à présent avec du recul. Nous avons pris contact avec des personnes qui ont été même menacées à l’époque à l’image de Mohamed Mebarki, journaliste actuellement à L’Est Républicain. Notre interlocuteur souligne que «les gens de ma génération se rappellent de cette époque appelée communément décennie noire.

Pour ma part, ce que je retiens essentiellement c’est que durant le mois sacré du Ramadhan, les terroristes redoublaient de férocité et commettaient régulièrement des attentats, de jour comme de nuit. Le Ramadhan 1994 était parmi les plus meurtriers et les plus sanglants. Des centaines d’Algériens ont été assassinés durant ce mois, parmi eux le célèbre dramaturge et homme de théâtre Abdelkader Alloula. Durant ce même Ramadhan, plus de 1000 détenus, parmi eux des islamistes radicaux s’échappèrent de la prison de Tazoult dans la wilaya de Batna. Celui de 1993 n’était pas moins meurtrier: deux casernes ont été attaquées à l’heure du f’tour dont celle de Boughezoul; ces attentats terroristes ont fait des dizaines de morts. Alors que le Ramadhan 1997 a inauguré une autre forme plus sanglante: les massacres collectifs qui ont fait des centaines de victimes dans la Mitidja et dans l’ouest du pays. C’était l’enfer durant pratiquement tous les Ramadhan, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural. C’était l’hiver et les Algériens évitaient de sortir la nuit.

Une période angoissante. Moi-même j’ai été menacé, mais voilà je suis encore là». Pour Mohamed Chérif Zerguine, écrivain et auteur de plusieurs oeuvres a également été victime de menaces des terroristes. Il confie

«tout d’abord, permettez-moi de vous remercier de me permettre de m’exprimer sur cette question assez pertinente. Pour revenir à votre question, l’atmosphère durant le Ramadhan des années 1990, était paradoxalement très confuse.

D’un côté la conjoncture de frayeurs avec ses lots d’atrocités, de deuils, de doutes et d’incompréhensions, et de l’autre, l’appel à la rencontre avec le Créateur.

Cette dure épreuve à mon sens, se devait de provoquer l’ensemble des consciences afin de se dresser définitivement contre l’ingérence dans ce qu’on a de plus intime, qui est sans doute aucun, la relation verticale avec Allah exalté soit-Il. Malheureusement et vous m’en voyez très affecté, nous sommes passés d’une pratique cultuelle héréditaire à une pathologie emprunt d’une incommensurable ignorance. La foi de nos jours se fait de plus en plus rare et l’instrumentalisation blasphématoire du joyau divin, s’affiche avec ostentation récurrente à la limite de l’offense larvée.

Le mois sacré qui fut le choix des criminels pour assassiner des innocents, à mon sens ne se résume aucunement dans l’abstention de se nourrir, le jeûne est avant tout une épreuve qui devrait s’inscrire dans une logique censée, remettre en question le croyant qui se doit de méditer longuement sur sa condition, ses actes et ses comportements quotidiens.

C’est comme je l’ai toujours pensé, une rencontre avec l’essentiel, qui, pour ceux qui cultivent une foi inébranlable, permettrait des remises en question profondes.

Ce recul dans cet élan spirituel, devrait entériner de nouvelles résolutions pour l’avenir du jeûneur et son environnement tout en expiant des fautes du passé par un repentir sincère, implorant le Seigneur des Mondes à purifier son corps et son âme pour une vie meilleure.

Qu’Allah préserve nos pas, assainit nos coeurs et nos jours sur terre et pardonne à Sa créature».

Des paroles sages de nos deux témoins. Malgré le drame qu’aucune langue ne peut décrire, les Algériens ont su pardonner pour le pays, pour un avenir en paix pour que le sang cesse de couler. Ils peuvent enfin savourer en toute quiétude cette paix arrachée.