Alors que le mois du patrimoine bat son plein : Oran se déracine

Alors que le mois du patrimoine bat son plein : Oran se déracine

«La sauvegarde de ce quartier historique doit être une priorité et une préoccupation continue des pouvoirs publics», a estimé Kamel Briksi.

«Les sites et monuments que compte la capitale de l’Ouest algérien sont porteurs d’une importante charge historique», ont souligné Mmes Eliane Ortega Bernabeu et Maria Jésus Cabezón lors d’une rencontre tenue récemment à Oran. La rencontre était focalisée autour du thème «Les Espagnols en Algérie: passé et présent». Et d’ajouter que «le patrimoine culturel d’Oran constitue une fenêtre ouverte par excellence sur l’histoire algérienne». Les deux intervenantes ont abordé les volets historique et contemporain des relations entre l’Algérie et l’Espagne et ce, à l’appui de sources documentaires et de témoignages recueillis auprès de la communauté espagnole à Oran.

Le Mois du patrimoine est en vigueur. Plusieurs événements le maquent dont la nomination de Mme Nadia Labidi à la tète du département de la culture en remplacement de Khalida Toumi. Cette dame, qui a fait les beaux jours du cinéma algérien, gagnera-t-elle le défi quant à mettre en place une politique aboutissant à la meilleure prise en compte du patrimoine matériel et immatériel? En attendant, plusieurs sites qui ont résisté à l´usure du temps, des siècles durant, ont été entièrement rasés à Oran. D´autres cèdent à l´implacable oeuvre du temps et disparaissent les uns après les autres.

Le peu qui reste continue de subir les affres de l´ignorance, du laisser-aller et de l´abandon. Le quartier de Sidi El Houari en est l´exemple édifiant. Le Vieil Oran est, à la fois, témoin et carrefour de plusieurs civilisations. Aujourd´hui, il donne l´image d´un désastre. Les effondrements continuent à faire des ravages. Alors que des édifices sont ensevelis sous les gravats, la préservation est, semble-t-il, le dernier souci des responsables locaux et même centraux.

Le déracinement est mis en branle

Le Mois du patrimoine bat son plein à coups de chants, musique et autres activités folkloriques tandis qu’Oran se déracine au grand dam des Oranais et des férus de l’histoire. Il est difficile de se prononcer avec exactitude sur le nombre des sites historiques qui ne figurent que sur les plus anciennes cartes postales. La bêtise humaine a atteint son summum. Devant la situation catastrophique dans laquelle se trouve ce quartier mythique de la ville d’Oran, le président de l’association Santé Sidi El Houari, le Dr Kamel Briksi lance un véritable cri d’alarme. «La sauvegarde de ce quartier historique, coeur de la capitale de l’ouest du pays, doit être une priorité et une préoccupation continue des pouvoirs publics», a-t-il estimé ajoutant que «la sauvegarde du centre historique et culturel d’Oran et de toute la région, doit être une priorité et une nécessité, car ce quartier renferme la mémoire de l’ouest du pays et de l’Algérie en général».

«Nous retrouvons des vestiges de l’époque préhistorique jusqu’à aujourd’hui en passant par toutes les civilisations», a-t-il expliqué. Pourquoi donc, défendre avec hargne et boulimie la nécessité de passer à la restauration de Sidi El Houari? Pour les férus de l’histoire et de la recherche archéologique, le Vieil Oran abrite plusieurs sites archéologiques attirant des touristes dont 70 monuments non classés, 14 autres classés monuments nationaux témoignent de plusieurs époques historiques qu’a connues la capitale de l’Ouest algérien. Mais, l’image qu’offre ce lieu est lamentable: des joyaux architecturaux du XIXe siècle s’effritent et risquent de s’effondrer à tout moment, des écoles, l’hôpital Baudens complètement abandonné et pillé, la place de la Perle (ex- place la Blanca) à partir de laquelle Sidi El Houari a été construit, se trouvent dans une situation déplorable. «C’est vraiment désolant, nous recevons des délégations étrangères tout au long de l’année, les étrangers nous demandent pourquoi toutes ces richesses sont délaissées», a déploré Kamel Briksi avant d’ajouter amèrement que «nous ne savons quoi leur répondre».

Les exemples d’une désuétude ambiante ne manquent pas. Dans la Scalera ou la Calère, premier quartier d’Oran construit en 1509, seules quelques maisons ont survécu à la vaste campagne démolition décidée et entreprise dans les années 1970 et 1980. Derb Lihoud ou le quartier juif, site édifié sous le règne du bey Mohamed El Kebir, a failli, lui aussi, être complètement rasé. «Ce sont des pans entiers de l’histoire qui partent dans l’indifférence la plus totale», a déploré le président de l’association Santé Sidi El Houari, SDH. Le vieil Oran, Sidi El Houari, se dépeuple, ses habitants sont relogés ailleurs, dans des cités-dortoirs. Ils se sentent coupés de leurs racines et ne peuvent reproduire dans leurs nouveaux sites d’habitation les valeurs d’entraide, de fraternité et de solidarité, bien ancrées jadis chez les familles oranaises. Le constat est perceptible. Dans le boulevard Stalingrad, des immeubles entiers sont vidés de leurs occupants. Les portes d’accès sont condamnées.

Les glissements de terrain se multiplient à l’exemple de la rue des Jardins, fermée à la circulation automobile depuis plus de deux années. Les dégâts causés par les cours d’eau souterrains traversant la ville, comme oued Rouina et oued R’hi, commencent à paraître à l’oeil nu. «C’est une situation inacceptable», s’insurge le Dr Briksi, ajoutant que les plus hautes autorités de la wilaya d’Oran sont conscientes de la situation. Le Vieil Oran s´en va, et emporte avec lui son histoire. Comme des espèces rares, d´autres sites, aussi historiques, suivent les mêmes sentiers qui mènent inévitablement vers l´oubli.

Qui peut sauver le Vieil Oran?

Pour tous les acteurs locaux, la sauvegarde du Vieil Oran est plus qu’une nécessité. «Les déclarations sont là, mais cette volonté politique doit être suivie par la mise en place d’instruments opérationnels pour préserver Sidi El houari», a-préconisé Kamel Briksi qui a plaidé au profit de «la mise en place d’une cellule de crise pour discuter de la situation et trouver les solutions adéquates». «Nous devons mettre en place un organe exceptionnel avec des moyens exceptionnels pour préserver ce qui reste du quartier et restaurer ce qui est à restaurer», a-t-il recommandé, estimant que «l’implication de tous, les autorités locales, les associations, les comités de quartiers, les universitaires, les historiens et même les citoyens est impérative». D’autant que, a-t-il ajouté, «la volonté citoyenne est là, tout le monde veut sauver Sidi El Houari».

Le vice-président de SDH et directeur de l’école-chantier de la même association, Haouès Belmaloufi, souligne également l’état désastreux de certains sites. «Des bâtisses magnifiques pouvant être des sites touristiques par excellence se trouvent dans un état déplorable», a-t-il affirmé tout en citant le cas de Ksar el Aricha où le jeune Emir Abdelkader a vécu quatre années durant avec son père Hadj Mohieddine, ou encore la mosquée de Sidi Mohamed El Kebir, dont le minaret est un monument classé, est affectée par des fissures de plus de 30 centimètres de large.»

La wilaya s’implique timidement

Les actions citoyennes se multiplient pendant que les autorités censées prendre en charge les sites historiques s’éternisent dans leur léthargie. L’association Santé Sidi El Houari a, dans cette optique, ouvert en 2003 une école-chantier dédiée à la formation dans les métiers du patrimoine. L’école a été agréée en 2011 tandis que les métiers enseignés ont trait à la maçonnerie traditionnelle, la taille de pierre, la forge et la ferronnerie, la menuiserie et la charpente.

Cette action constitue une premiere réussite dans les annales de la wilaya d’Oran étant donné que prés de 500 jeunes artisans ont été formés. Près de la moitié ont été recrutés par les entreprises chargées de la réhabilitation du vieux bâti à Oran. «Nous formons des jeunes de la rue, des jeunes exclus du système éducatif, nos élèves ont fait des parcours très positifs pour aboutir à leur insertion professionnelle», a affirmé le président de l’association Santé Sidi El Houari, ajoutant que «c’est une grande victoire pour nous». Cela se passe pendant que la wilaya d’Oran semble vouer une attention particulière en accordant, lors de la première session ordinaire de l’APW, une enveloppe de pas moins de 1,04 milliard de DA pour la réfection de plusieurs quartiers de Sidi El Houari et la réhabilitation de ses aspects urbains.