Zoubir Benhamouche, économiste, à “Liberté “ Le pays dispose de “peu de marges de manœuvre”

Zoubir Benhamouche, économiste, à “Liberté “  Le pays dispose de “peu de marges de manœuvre”

Liberté : Comment appréciez-vous la situation financière du pays, aujourd’hui ?   

Zoubir Benhamouche : Au premier trimestre 2015, les exportations ont baissé de 30% en valeur, les importations ont augmenté d’un peu plus de 9%, engendrant un déficit commercial d’un peu moins de deux milliards de dollars. À court terme, les marges du gouvernement pour réduire le déficit commercial sont quasi nulles. Le budget de l’État reposant à près de 60% sur la fiscalité sur les hydrocarbures, l’impact de la baisse des cours du pétrole est immédiat et important.

Le Fonds de régulation des recettes (FRR) est naturellement ponctionné depuis quelque temps en raison d’un déficit budgétaire important, et devrait tomber à environ 27% du PIB en 2015.

En augmentant énormément son budget de fonctionnement et les transferts (plus de 30% du budget en 2014), l’Etat a réduit les moyens dont il dispose pour réagir, et gérer son budget en temps de crise.

C’est d’autant plus vrai que la situation politique et sociale limite réellement les capacités de l’État à réformer les finances publiques.

À cela, il faut ajouter la situation financière du secteur public (banques et entreprises publiques), qui est la partie invisible de “l’iceberg financier”.

Enfin, l’incertitude politique et la baisse de nos exportations exercent une pression à la baisse sur le dinar, et engendre vraisemblablement une fuite de capitaux.

Des pressions inflationnistes se font sentir,  sans effet positif à court terme sur l’économie, puisque l’Algérie exporte moins de 800 millions de dollars hors hydrocarbures.

Je dirais que sans une thérapie de choc dans quelques domaines clés, l’avenir est plutôt préoccupant.

Le pays aura-t-il de la marge, si les cours du pétrole continuent à baisser, au-delà de  2015 ?

En théorie, dans un monde où l’Algérie serait dotée d’institutions “différentes”, il existerait des marges de manœuvre. Dans l’état actuel du cadre politique et institutionnel, le pays dispose de peu de marges de manœuvre. J’insiste sur le fait que la contrainte est institutionnelle, pas financière, du moins à court et moyen terme.

Des coupes budgétaires douloureuses sont-elles nécessaires, en pareil contexte ?

L’État n’a ni l’autorité ni la crédibilité nécessaire pour réaliser des coupes budgétaires. Qui plus est l’heure est aux réformes profondes, pas à une simple réduction des dépenses. Le pire qui puisse arriver est que la baisse des revenus issus des hydrocarbures soit perçue comme temporaire. Dans ce cas, la tentation serait grande de ne pas rationnaliser les finances publiques et mener des réformes pour au contraire attendre que les revenus augmentent. Le pays pourrait même, dans une telle optique, recourir à la dette pour lisser le choc négatif sur les revenus. Bien sûr, pour le moment le recours à la dette n’est pas nécessaire. Même si la solution ne réside pas dans simplement une baisse des dépenses publiques, celle-ci est souhaitable dans un certain nombre de domaines. Il s’agit, par exemple, des subventions directes et indirectes. Pour les réduire, il faut repenser la dépense publique, dans un souci d’efficacité. Les subventions alimentaires ne représentent pas plus de 1,5% du PIB (ce qui est déjà beaucoup en soi), mais le gros est dans les subventions énergétiques et les subventions aux entreprises publiques. Pour réduire ces dernières, il faut repenser leur fonctionnement, leur rôle dans le développement du pays. Je donne cet exemple pour illustrer l’idée qu’on ne peut réduire les dépenses sans mener en parallèle, et même en amont, des réformes de structure. Globalement, ce qu’il faudrait faire, c’est mener des réformes qui permettent d’accroître l’efficacité de la dépense publique et son impact sur le développement : un dinar de plus dépensé doit notamment conduire à créer davantage d’entreprises, d’emplois, et augmenter les capacités des plus nécessiteux à se prendre en main. Le gouvernement prévoit 13 milliards pour relancer l’industrie, ce qui est plus que la part de l’industrie dans le PIB ! On est encore et toujours dans une logique de dépense, alors que le sujet n’est absolument pas là.

Comment analysez-vous le financement de l’investissement public en temps de crise ? L’État sera-t-il contraint de mettre en veilleuse des projets d’investissement ?

La croissance étant essentiellement tirée par l’investissement public, le réduire drastiquement n’est en aucun cas une solution. Pour autant,  il faut sortir du tout “investissement public”, l’investissement privé demeure encore faible. L’État doit, d’une part s’appuyer sur l’épargne privée pour financer ses projets, d’autre part penser les projets d’investissement dans un souci d’avoir le maximum d’impact sur le développement du secteur privé. Les investissements passés ont insuffisamment profité à l’économie nationale, et notamment l’industrie (l’élasticité du PIB aux dépenses publiques est la plus faible de la région MENA). Il y a beaucoup de mesures à prendre, comme revoir la commande publique, dimensionner les projets d’investissement pour que les entreprises nationales puissent y répondre, inciter à la création de joint-ventures entre entreprises étrangères et entreprises algériennes pour les marchés publics (en pensant notamment au transfert technologique), etc. Bien sûr, c’est sans oublier les réformes de structure qui doivent être menées pour permettre au secteur privé de se développer (notamment le climat des affaires et le secteur bancaire).

Le financement des projets doit se faire davantage dans le cadre de partenariats public-privé. Un exemple, en combinant épargne privée et investisseurs on aura le financement de la construction du logement social. L’État pourrait mettre en place un produit d’épargne correctement rémunéré, et orienter les fonds collectés vers la construction de logements. En parallèle, il peut s’entendre avec les investisseurs privés pour qu’ils puissent construire des logements selon des normes bien établies, à des prix fixés, en jouant sur le prix du foncier. Pour conclure, je reste persuadé que le problème n’est pas dans les “solutions techniques”. Le problème réside fondamentalement dans les institutions. La réforme de la gouvernance publique est un prérequis majeur, sans cela point d’espoir possible d’une réaction des pouvoirs publics à la hauteur des défis auxquels l’Algérie fait face.