«Rabah Madjer, l’entraîneur qui a perdu trois matchs en Coupe d’Afrique au Mali, ou qui a failli perdre 10 à 1 et non pas 4 à 1 contre la France si le match était allé à son terme»
En plein stage de préparation avec son équipe en Tunisie, l’entraîneur sétifien, Zekri, nous a accordé un entretien où il parle avec beaucoup de franchise de l’Equipe nationale. Sans utiliser la langue de bois, Zekri nous dira qu’il est contre le retour de Madjer et tous les autres anciens sélectionneurs qui ont déjà pris en main la sélection. Pour lui, la meilleure solution est de désigner un entraîneur local compétent et garder Saâdane en tant que conseiller.
Vos déclarations parues sur notre journal ont eu un large écho, un
commentaire ?
Je suis franc et j’appelle les choses par leurs noms. Il s’agit du football et je ne fais qu’exprimer un avis personnel. Je suis content que mon point de vue ait un écho chez les supporters de l’EN et les connaisseurs du football. Je crois que les lecteurs du Buteur vous ont demandé de donner la possibilité à Zekri de parler encore de la sélection pour les éclairer sur le plan technique. Car c’est ce point qui nous intéresse et non les personnes.
J’ai dit dernièrement que ce qu’a donné Saâdane au football algérien personne ne l’avait fait, à l’exception peut-être de Kermali. Plusieurs autres entraîneurs locaux ont eu des résultats moyens ou faibles la plupart du temps. Saâdane a eu peut-être plus de chance que les autres. Il a été derrière la qualification en Coupe du monde en 1986, idem pour 2010. Ce sont des résultats qui restent dans l’histoire.
Etes-vous pour ou contre un entraîneur local pour l’EN ?
Je ne suis pas contre l’entraîneur local, à condition qu’il prouve ses capacités. Plusieurs entraîneurs locaux ont pris l’équipe en main, que ce soit les anciens internationaux comme Fergani, Madjer, Mehdaoui, Ighil ou d’autres à l’image de Djadaoui et Sendjak.
Ils ont eu tous leurs chances. Je suis contre l’idée du retour d’un ancien entraîneur de l’Equipe nationale. J’étais déjà contre le retour de Saâdane. Mais étant en poste et connaissant bien la maison, il reste toujours meilleur que les autres. L’équipe s’apprête à relever d’autres défis, il sera difficile au président de la FAF de lui trouver un successeur dans ces circonstances. On parle d’un entraîneur étranger. Même si on ramène Trapattoni, il ne nous servira à rien. Nous n’avons pas de grands joueurs pour que Trapattoni puisse les gérer.
Il n’est pas un spécialiste de formation, c’est le même cas de Lippi. Il y a des entraîneurs qui le sont et qui sont capables de former une équipe. Je pense que nos actuels joueurs sont surmédiatisés, mais en réalité ils restent des éléments moyens. Nous avons donc besoin d’un entraîneur formateur qui essayera de former une équipe homogène, composée de joueurs locaux et professionnels.
Que pensez-vous de Madjer et Khalef dont les noms reviennent ces derniers temps ?
Ce sont deux personnes qui sont loin du terrain depuis longtemps. En dépit de son envergure, n’importe quel entraîneur qui se tient loin du terrain ne peut donner grand-chose immédiatement. Il faut voir aussi leurs résultats avant de les juger. Quels sont les résultats qu’ils ont réalisés à leur époque ? Ce sont les résultats qui comptent et non pas le statut d’ancien grand joueur. Quand on parle de Madjer, il faut faire la différence entre Madjer l’entraîneur et Madjer le grand joueur. Madjer le joueur n’est pas Rabah Madjer, l’entraîneur qui a perdu trois matchs en Coupe d’Afrique au Mali, ou qui a failli perdre 10 à 1 et non pas 4 à 1 contre la France si le match était allé à son terme.
Je pense qu’il n’a pas exercé depuis, et il est resté dans le domaine de consultant à Al Jazeera, loin des terrains. On a appris aussi par expérience que lorsque la chance se présente et qu’on ne la saisit pas, il est de préférence de laisser sa place à quelqu’un d’autre. C’est ce qu’a fait Platini en France. N’ayant pas réussi avec les Bleus, il est allé à l’UEFA. C’est mon avis, et tant que l’Equipe nationale appartient à tout le monde, on peut exprimer son avis. Certains anciens joueurs donnent l’exemple de Maradona en Argentine. Mais qu’est-ce qu’il a réalisé jusqu’à maintenant ? Une lourde défaite contre l’Allemagne qui restera dans les annales du Mondial. Je m’adresse aux adeptes du grand joueur qui peut être un entraîneur de renommée mondiale. Sans parler de Madjer, je dirai que Maradona possède les meilleurs attaquants dans le Monde et n’a rien fait en Coupe du monde.
L’attaque reste un grand problème chez nous, comment l’expliquez-vous ?
C’est la question que tout le monde se pose. Pourquoi on ne marque pas des buts depuis un moment, pourquoi on n’attaque pas, est-ce qu’on manque d’un vrai attaquant ? Ce sont autant de questions auxquelles les spécialistes n’ont pas trouvé de réponse. Tout simplement c’est à cause de la philosophie de l’entraîneur. Défendre juste pour défendre, je pense que telle est la philosophie adoptée par l’Algérie depuis un moment. On s’est qualifiés en Coupe du monde grâce aux balles arrêtées, on n’a pas vu une animation devant, il n’y a pas de cohésion entre le milieu de le compartiment offensif. Tout cela dépend de la mentalité de l’entraîneur.
Quand je suis arrivé à Sétif, on m’avait dit qu’il n’y avait plus d’avant-centre après le départ de Ziaya. Et nous avons terminé le championnat avec la meilleure attaque sans Ziaya. On a marqué de toutes les positions, et tous les joueurs arrivaient aux buts adverses, y compris Ferradji. En football moderne, vous devez attaquer pour défendre, et non pas défendre pour défendre. Si nous avions encaissé un but en première mi-temps contre l’Angleterre ou les USA, le score aurait été le même que contre la Serbie et l’Irlande, ou contre l’Egypte (4-0) et avec la même manière. Il est regrettable de perdre 1 à 0 avec un schéma défensif et dire qu’on a réalisé un excellent Mondial.
Pensez-vous que la solution réside dans un entraîneur à vocation offensive ?
Je crois que la meilleure solution est de renforcer la barre technique. Je vous donne un exemple. Zagalo est une légende au Brésil. Son palmarès est singulier que ce soit en tant que joueur ou entraîneur. A la fin de sa carrière, il a placé un entraîneur à sa place et s’est contenté du poste de DTN, juste pour conseiller. C’est le rôle que Saâdane doit jouer actuellement. Il lui faut un entraîneur courageux, lui se contentera de donner des conseils puisqu’il connaît bien la maison. Je crois qu’il faut désigner un entraîneur local, pas Zekri qui se plaît bien à Sétif. Un entraîneur local compétent et courageux qui sera associé à Saâdane.
Que voulez-vous dire par courageux ? Est-ce la maîtrise du groupe ?
Il doit avoir une forte personnalité et bien maîtriser son groupe. Celui qui faillit le paye cash, puisqu’il s’agit de l’Algérie et le drapeau national et non de n’importe quelle équipe. D’un autre côté, il doit être compétent et avoir une philosophie de jeu portée vers l’avant. J’espère qu’il sera seulement de ceux qui acceptent d’être conseillés.
Etes-vous prêt à donner les conseils ?
J’étais prêt à donner des conseils à Saâdane et j’ai essayé de le faire via les journaux, mais en vain. J’ai analysé le groupe de l’Algérie à la télévision et j’ai dit que si Saâdane ne se sépare pas de Ghezzal, Mansouri et Saïfi et laisse tomber son schéma tactique 4-4-2 comme c’était le cas face à l’Irlande, ce sera la catastrophe.
J’ai dit que Saâdane doit revenir à son schéma tactique 3-5-2 qui peut limiter les dégâts. Ghezzal et Matmour font un travail énorme défensivement, mais sur le plan offensif ils n’ont pas le rendement escompté. C’est la raison pour laquelle on n’a pas marqué de buts, et je répète que cela dépend de la philosophie de jeu de l’entraîneur.
Y avait-il des joueurs qui pouvaient régler le problème de l’attaque ?
J’avais dit à plusieurs reprises que le problème de l’attaque existe. On n’a pas marqué à cause de la mentalité de l’entraîneur, d’un côté, et l’absence de véritables attaquants, d’un autre. Il fallait convoquer Derrag et Ziaya qui sont de véritables attaquants. Il aurait pu prendre n’importe quel attaquant, mais faire jouer des joueurs dans des postes qui ne sont pas les leurs, ça c’est un problème. Et permettez-moi de revenir en arrière.
Allez-y…
Au Mondial 1982, lors du premier match on avait joué contre l’Allemagne avec un avant-centre type, Tedj Bensaoula, qui s’était acquitté merveilleusement de son rôle. Lors du deuxième match, le poste d’attaquant avait été confié à Zidane et Belloumi. On a gagné le premier match et on a perdu le second. Tedj a joué le troisième match et l’équipe a marqué trois buts. Même en 1986, on avait un excellent attaquant, Djamel Menad en l’occurrence, qui a réalisé un bon parcours dans les éliminatoires, malheureusement on ne l’a pas vu au Mondial. Un joueur inconnu qui s’appelle Harkouk a joué à sa place avec le même entraîneur. Ghezzal et Harkouk, c’est la même chose. C’est l’histoire qui se répète. On n’a pas retenu les leçons. J’aimerai aussi ajouter quelque chose concernant la défense…
Bien sûr…
Afin de ne pas écarter Antar Yahia ou Halliche, on joue avec trois défenseurs dans l’axe, comme si c’était une obligation. Et si Antar est blessé on joue en 4-4-2. Il faut avoir du courage et trancher. Même si vous perdez, vous avez fait preuve de courage. Jouer pour des nuls et perdre par la suite, ce n’est pas du tout glorieux.
Il y a un discours de défaitisme que le public n’accepte pas, qu’en pensez-vous ?
En Algérie, on parle toujours du passé. On considère une qualification en Coupe du monde après 24 ans d’absence comme une fin en soi car, soi-disant, on ne pouvait même pas se qualifier aux deux dernières éditions africaines. Si on tient un discours pareil, on n’avancera jamais. Il faut toujours demander plus dans toutes les circonstances. Des fois il suffit de deux mots dans les vestiaires pour libérer les joueurs et leur permettre de sortir un grand match devant une équipe géante.
C’est le secret de la performance contre la Côte d’Ivoire. Il a suffi de libérer les joueurs en leur disant que même si on perd, c’est une grande équipe que nous avons en face de nous. Mais lorsqu’on dit qu’il faut défendre l’honneur de l’Algérie et ne pas encaisser de buts, c’est faux. L’honneur de l’Algérie ne se résume pas au football. L’honneur de l’Algérie sera toujours grand. On voulait aller au Mondial pour tenter notre chance, mais on ne l’a pas fait. On est allés juste pour marquer notre présence.
Que pensez-vous des techniciens locaux qui donnent leurs avis sur les matchs au point de se permettre de critiquer Capello et autres ?
Il y a un problème dans la communication de l’information au public sportif. Quand on parle du volet technique, on doit au moins dire qu’il ne s’agit que d’un avis personnel, comme je suis en train de le faire moi-même.
Je suis en train de donner mon avis, non pas pour prétendre au poste de sélectionneur, loin de là, je suis bien à l’Entente, mais pour améliorer les choses car le public a soif d’avoir une grande équipe et une vraie culture en football. Quand un entraîneur gagne tout le monde vante ses mérites et quand il perd tous les autres entraîneurs deviennent spécialistes. Je dis à ces gens qu’avant de parler de Capello, vous devez le connaître. Il faut avoir la culture des Italiens pour parler de lui.
Je vais vous donner un exemple. Une fois, à mon retour d’Italie, j’ai lu les résultats de nos jeunes sélections. Les cadets ont perdu 4 à 0 contre la Mauritanie, les juniors aussi ont perdu 4 à 0 contre l’Egypte et les espoirs ont concédé une défaite à domicile par 3 à 1 face à l’Ethiopie, mais je n’ai pas entendu parler de démission ou de limogeage.
Que voulez-vous ajouter à la fin ?
Les médias doivent diffuser les vérités car si les problèmes qui existent dans la sélection avaient été évoqués à temps, les résultats auraient été meilleurs. On ne doit pas occulter ces vérités, mais il faut frapper avec une main de fer surtout lorsqu’il s’agit de la rébellion sur l’entraîneur par exemple.
Ce sont des choses qu’on entend dans la rue et que les médias taisent pour l’intérêt général. Mais il faut appeler les choses par leurs noms pour espérer aller loin. On est aux portes de la Coupe d’Afrique, on doit préserver notre réputation et ne pas disparaître comme dans le passé. J’étais également étonné de lire les propos qu’a tenus sur l’EN Tarek Dhiab dans Le Buteur. Je lui demande de parler uniquement de la Tunisie. Je salue également ceux qui parlent avec courage et franchise comme Mohand Cherif Hannachi et Serrar qui expriment leur avis sur la sélection sans craindre personne.