Zakaria Brahami, membre du projet “Algerian Metal Collab”, à “liberté” : “Le Metal DZ devient l’un des plus pauvres dans la région Mena”

Zakaria Brahami, membre du projet “Algerian Metal Collab”, à “liberté” : “Le Metal DZ devient l’un des plus pauvres dans la région Mena”

“Algerian Metal Collab” est un projet né à travers la “réflexion de dynamiser la communauté de la musique Metal en Algérie”, qui réunit 14 musiciens dans une expérience “inédite”. Dans cet entretien, Zakaria Brahami revient sur cette aventure ainsi que sur la place de ce genre musical dans le pays.

Liberté : “Metalgeria” en collaboration avec “Reaper Sound Records” et “le Sous-Sol” lancent “Algerien Metal Collab”. Pouvez-vous nous éclairer sur ce projet ? 

Zakaria Brahami : Metalgeria est un consortium d’organisateurs et d’acteurs de la scène Metal algérienne, de ce fait, le projet Algerian Metal Collab est le fruit de la collaboration de ce consortium. Nous avons fait appel à plusieurs partenaires (qui sont également des partenaires du Metalgeria) dont Reaper Sound Records et le Sous-Sol, mais également de la production Kyep. 

Et cette collaboration s’effectue selon des accords spécifiques : “Le Sous-Sol” met à notre disposition son studio afin d’y organiser les séances de répétitions, d’enregistrement et de production. “Reaper Sound Records” est un label de musique géré par l’un des membres du consortium Metalgeria, qui met à la disposition du projet son équipe de communication mais également d’éditer et de faire sortir l’album finalisé sur les plateformes de streaming et sur CDs. Et “Kyep” est une agence de production gérée par Ziri Abes, ils sont les partenaires visuels officiels de Metalgeria ainsi que de l’Algerian Metal Collab, ils mettent à notre disposition une équipe de production et de post-production pour le contenu visuel (photo et vidéo).

Pour cette première, vous allez réunir 14 musiciens de la scène Metal, qui seront répartis en 4 line-ups/formations. En quoi consiste cette expérience ? Que va-t-elle apporter de plus ?

La musique Metal est une musique très complexe qui comporte beaucoup de genres et de tendances. En général, un groupe qui joue du Heavy Metal ne joue pas forcément du Death Metal ou du Power Metal, voire même un genre de Metal plus ethnique (qui comporte des instruments locaux, maghrébins ou africains). De ce fait, l’expérience consiste à regrouper des artistes qui ont des tendances musicales différentes afin de relever le challenge de composer une chanson en huit heures. L’initiative a pour ambition de ne pas laisser la scène Metal mourir par manque de concerts et de productions, il faut savoir que les concerts se font de plus en plus rares et les groupes produisent moins d’albums qu’avant, et la communauté Metal algérienne est de moins en moins impliquée, cela se répercute négativement sur ce genre de musique en Algérie.

Dans la présentation, il est mentionné que les participants ne se connaissent pas musicalement… 

On peut trouver dans un seul line-up deux musiciens qui ont déjà joué ensemble, les règles du tirage au sort permettent d’éliminer les musiciens qui ont l’habitude de composer ensemble. 

Ce projet sera offert au public sous forme d’une mini-série sur Youtube. Les dates sont-elles fixées ? Y aura-t-il un concert ? 

La diffusion du 1er épisode est prévue pour aujourd’hui à 20h et celle du 2e épisode est programmée pour le jeudi 30 mai à 20h. Le reste des épisodes seront publiés toutes les deux semaines, mais les dates peuvent changer. Il y aura un total de 6 épisodes disponibles sur Youtube. La sortie de l’album en format physique se fera fin juillet, et sera accompagnée d’un concert pour fêter la sortie avec le public (la confirmation de la date se fera au cours de ces prochaines semaines). Par la suite, nous procéderons à la sortie de l’album en format digital et en streaming fin août afin d’exporter cet album vers l’étranger.

“Algerian Metal Collab” est définit comme un projet “socioculturel musical”, qui a pour “ambition de continuer le développement d’une scène Metal algérienne dynamique, durable et indépendante”. Concrètement, qu’en est-il de la place de ce genre sur la scène DZ ? 

Le Metal est une musique marginalisée selon le niveau de tolérance d’une société, en particulier et de l’efficience de sa politique culturelle. L’Algérie a été la pionnière dans la région Mena en ce qui concerne la musique Metal, un genre apparu au milieu des années 90 en pleine décennie noire où se jouait un concert chaque semaine jusqu’en 2006. 

Aujourd’hui, les concerts sont très rares, et il faut souvent faire preuve de débrouillardise et de népotisme pour pouvoir organiser un simple concert. 

La scène Metal en Algérie devient l’une des plus pauvres dans la région MENA, un terrible coup à son prestige et à sa réputation et bien que l’écosystème et le secteur culturel ne permettent pas un quelconque développement, beaucoup d’artistes et de groupes continuent de travailler, ils sont au maximum une dizaine et il n’y a qu’un seul groupe qui arrive à faire des tournées européennes en autofinancement et autogestion. 

Pour la réalisation de “Algerian Metal Collab” était-ce facile d’obtenir des aides financières ? 

Nous n’avons eu aucune aide financière, le projet est autofinancé par les musiciens, et il est géré bénévolement par son staff, les différents partenaires du projet permettent néanmoins la réduction des dépenses et d’offrir des moyens techniques pour sa réussite.

Le marché de la musique est en souffrance en Algérie. Comment le Metal pourrait-il se développer ?

Le marché de la musique souffre parce que l’Algérie n’a pas pu créer une véritable industrie musicale causée principalement par la gestion catastrophique du ministre sortant, Azzedine Mihoubi, et par la corruption qui a marqué l’ère Khalida Toumi. 

À l’image des autres pays qui ont une véritable politique culturelle, la musique arrive à survivre et à se développer grâce à différents mécanismes et outils, nous citerons par exemple la promotion directe faite sur la plateforme française Deezer pour les artistes français, la gestion indépendante et autonome des salles de spectacles par les associations en Allemagne, les fonds de financement pour les artistes émergents au Canada et autres. La musique Metal en y additionnant d’autres musiques alternatives et marginalisées ne peuvent se développer qu’à travers la conception d’une politique culturelle en Algérie, qui permettrait une déconcentration administrative des espaces culturels, afin de libérer les salles de spectacles de la bureaucratie et du népotisme qui rendent difficile l’organisation et la gestion d’une tournée dans toutes les wilayas algériennes. Mais aussi que l’on obtienne à travers des textes de lois des garanties de non-censure auprès des chaînes télévisées et radios dont la sélection musicale se fait souvent via des considérations totalement subjectives d’un journaliste ou producteur. Par ailleurs, l’émergence de petites scènes et concerts indépendants contribueront de manière directe au développement d’une scène officielle. Les problèmes sont nombreux, mais les solutions existent, il faut simplement une réelle volonté de libérer le secteur culturel.

L’an dernier, vous avez organisé Metalgeria au Bastion 23. Quel bilan faites-vous de cette première édition ? Comptez-vous relancer l’évènement ? 

L’évènement Metalgeria 1st edition est une réussite sur le plan organisationnel, artistique, médiatique et sociétal. Nous pouvons affirmer que l’évènement a marqué les esprits de toute la communauté, mais également des acteurs du secteur culturel en Algérie, de nombreux représentants officiels nous ont adressé des remerciements et des félicitations. La deuxième édition devait se faire en juillet 2018, toute une communication et une mobilisation ont été faites pour la réussite de cette édition, qui était sous le thème de “l’aide humanitaire”, car l’évènement consistait à reverser les recettes de la billetterie à une association caritative afin de financer ses actions. Cependant, cette 2e édition a été reportée puis annulée par la suite à cause de complications administratives et techniques liées à l’espace qui devait abriter l’évènement. Nous comptions reprendre l’organisation d’une nouvelle édition en début d’année, des démarches ont été faites, mais nous avons vite constaté l’impossibilité de poursuivre nos plans suite à la censure exercée dans les espaces publics en raison des présidentielles algériennes, pour des raisons que nous ignorons, mais que nous devinons facilement.

Hana Menasria