BEJAIA – Le café littéraire de Béjaïa a rendu samedi au théâtre Abdelmalek Bouguermouh, un hommage sobre mais appuyé au littérateur Jean El Mouhoub Amrouche disparu le 16 avril 1962 au bout d’un combat vaillant contre la maladie et sans avoir goûté aux délices de l’indépendance pour laquelle il a consacré son talent d’écrivain, de poète et de chroniqueur radio.
Sa disparition, intervenue à deux mois seulement de la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, clos un parcours de plus de 30 ans de création, durant lesquels, il a alterné romans, nouvelles et poèmes dont les plus belles lettres ont été consacrées à pourfendre le colonialisme, à rendre hommage à ses compatriotes, et à célébrer ses héros, affirment des universitaires participant au Café littéraire.
D’aucuns considèrent que « Ebauche d’un chant de guerre », écrit à la mémoire de Larbi Ben M’hidi, assassiné dans sa cellule en mars 1957, et « Le combat Algérien » (1958) en sont des plus illustratives, magnifiées, du reste, par une œuvre de sensibilisation très porteuse auprès de l’élite française, travaillé au corps grâce à ses émissions radiophoniques. Parmi ses invités, soutiennent-ils, figuraient de grands noms de la littérature française, dont André Gide, Maurice Blanchot, Henri Bosco, Albert Camus et Julien Green, qui « sans prendre de position franche avec la guerre de libération, n’en avait pas moins accepté l’inéluctabilité. »
Jean Amrouche, natif d’Ighil Ali (1906), à 80 km au sud-ouest de Béjaïa, « avait de 1949 à 1956, animé plus d’une centaine d’entretiens sur Radio France, qui lui ont valu, à terme, une mise à pied, et ce à un moment où, paradoxalement, il servait d’intermédiaire entre des instances du Front de libération nationale (FLN) et le président Français Charles de Gaulle, dont il était un interlocuteur privilégié », soutient-on lors de cette rencontre littéraire.
A l’évidence, fort de sa notoriété, son limogeage de Radio France, n’a pas eu d’impact sur son parcours, ni son engagement, l’auteur de « Cantique de l’étoile », ayant trouvé motif à rebondir dans plusieurs médias, extra français, notamment dans les radio Helvétique, de Genève et Lausanne, où il avait plaidé avec force la cause nationale dont il était un fervent défenseur, précise-t-on.
« On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine… On les a fait orphelins… prisonniers d’un présent… sans mémoire et sans avenir… les exilant parmi leurs tombes, de la terre des ancêtres, de leur histoire, de leur langage et de leur liberté », déclamait-t-il en 1958, dans le combat Algérien martelant avec force ses convictions : « On ne peut cependant ôter ni son nom , ni la chanson de sa langue natale, ni ses souvenirs, ni ses rêves àon ne peut l’arracher à sa patrie, ni lui arracher sa patrie ».
Des poèmes forts et poignants, qu’il a déclamés avec ardeur et courage, mais qui restent inconnus du plus grand nombre. Jusqu’à ces dernières années, autant au demeurant que l’œuvre de sa sœur Taos Amrouche, il a rarement occupé le haut du pavé. Mais sa réhabilitation semble désormais prendre la bonne voie, souligne-t-on.
En 2012, à l’initiative de Taassadit Yacine, un colloque international lui a été consacré. Et le ministère de la Culture a engagé, récemment, une procédure de classification de patrimoine de sa famille à Ighil Ali, et la wilaya de Béjaïa a pris sur elle de rebaptiser la maison de la culture de Béjaïa à leur nom.
L’hommage de ce samedi, en est une autre halte, le public, ayant saisi l’occasion pour replonger et connaître son parcours et son œuvre, et écouter ses plus beaux poèmes, déclamés sur fond sonore, de la voie de sa sœur Taous, dont les chants, portés par une voix magique, restent mythiques.