Les Algériens sont plus nombreux, ces dernières années, à célébrer avec fierté, le 12 janvier de chaque année, Yennayer, le nouvel an amazigh.
« Nous aussi nous avons notre réveillon, nous avons Yennayer et nous le fêtons chaque année ». Que de fois a-t-on entendu cette affirmation, assez révélatrice du sentiment de fierté d’appartenance et d’identification à une culture bien de chez nous.
Cette année, l’an 2963 du calendrier amazigh, dont le décompte aurait commencé en l’an 950 avant le prophète Aïssa (Jésus Christ), date de la victoire du roi berbère Chachnaq sur le pharaon d’Egypte Ramsès III.
Le fait est que ce rituel festif semble prendre de plus en plus de proportions dans notre société : jusque-là plutôt concentrée dans les régions berbérophones du pays, la fête du 12 janvier tend à être plus largement officiée.
« J’ai constaté une généralisation de cette tradition depuis quelques années au niveau de la capitale et ses habitants s’y attachent de manière plus prononcée », commente Fatima, mère de famille, issue d’un quartier populaire d’Alger.
Ce sentiment est, en outre, partagé par de nombreux citoyens originaires d’autres wilayas et qui considèrent que les Algériens se revendiquent « davantage » cet héritage culturel et identitaire.
Au niveau institutionnel, le constat est certifié et expliqué par l’impact de la prise en charge par l’Etat de cet événement autant sur le plan historique que culturel.
Hadj Saïd Abdennour, sous-directeur chargé de l’action culturelle au Haut commissariat à l’amazighité (HCA), situe ainsi le retour en force de cette fête millénaire à 2000, année de mise en oeuvre d’un programme de relance et de promotion de Yennayer.
Depuis, chaque année cette institution s’attèle à commémorer ce symbole de la Berbérie antique à travers des manifestations diverses en ciblant à chaque fois une région du pays, explique notre interlocuteur. L’édition 2013 sera étrennée par l’Oasis rouge, Timimoun, avec au menu un cycle de conférences thématiques, expositions, représentations musicales, etc.
« Depuis 2000, Yennayer est officiellement fêté par le HCA, mais pas seulement, d’autres institutions se joignent à nous, tel que le ministère de la Culture, l’établissement Arts et Culture. Même les hôtels s’y mettent désormais en proposant un programme spécifique à l’événement », explique le représentant du HCA.
Hadj Said tient à rappeler que Yennayer est célébré par cet organisme y compris dans des régions non berbérophones. Ce qui favorise davantage, explique-t-il, sa réhabilitation et, si besoin est, sa promotion chez les populations qui en entendent peu ou pas du tout parler.
Mais ceci reste « insuffisant », selon son avis, dès lors que Yennayer, justifie-t-il, n’est pas encore intégrée parmi les fêtes nationales, c’est-à-dire une journée chômée et payée.
Un retour en force salutaire
Yennayer serait-elle donc devenue un phénomène social, voire une pratique à la « mode » ? C’est ce que confirme également notre interlocuteur qui en veut pour illustration les messages de vœux « plus massivement » échangés via les mobiles à cette occasion pour souhaiter « Asseguas Ameguass » aux proches et amis.
« Même ceux qui ne sont pas Kabyles, Chaouias (…) s’y mettent », souligne-t-il. Chercheur au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), Boukabous Ahmed, voit d’un bon œil cette réappropriation de l’un des fondements de l’identité algérienne », dans la mesure où cela contribue, relève-t-il, au renforcement du tissu social sachant que l’attachement au passé est « indispensable » pour la construction de la personnalité algérienne.
Il explique ce renouveau également par l’intérêt des médias pour Yennayer et par une certaine prise de conscience chez la société, notamment parmi les plus jeunes.
Le chercheur espère, néanmoins, que ce type de tradition ne soit confiné aux seules générations des aînés, mais qu’il soit adopté aussi et surtout par leurs descendants.
Pour beaucoup cette « mise à l’honneur » de Yennayer n’est qu’un juste retour des choses à leurs sources : la célébration de cette fête, de tout temps populaire, a été grandement contrariée par les événements tragiques liés à la tragédie nationale qui avaient alors entamé la joie de vivre des Algériens.
« Contrairement à ce qu’on peut penser, c’est une date qui appartient à tous les Algériens et qui était commémorée partout et cela est tout à fait logique, dès lors que Yennayer renvoie aux origines de tous les Algériens. C’est l’un des mythes fondateurs de notre société qu’il serait dangereux de vouloir effacer ou ignorer « , précise Zoubir Arous.
Egalement sociologue chercheur au Cread, il estime que « ce sont les tentatives de récupération politique, de tous bords, qui ont créé chez le citoyen des sentiments régionalistes et qui sont de nature préjudiciable pour notre héritage culturel, notre personnalité, voire pour notre devenir ».
Friandises et ambiance joyeuse pour accueillir positivement l’année
Qu’il s’agisse de « Lâadjouza » pour l’Algérois, « El-Fetacha », « El-Mabdaâ » ou « Djenber » pour la Kabylie et les Aurès, la célébration du 12 janvier répond à la même symbolique : appréhender la nouvelle année sous les bons présages de profusion, de santé, de sérénité, de bonheur.
S’il est évident qu’au fil des décennies, le rite a connu une évolution mais aussi des perditions, il est heureux de constater que Yennayer ne disparaîtra pas de sitôt : fruits secs, friandises en tous genres, amandes et pistaches, consommés après un repas traditionnel spécialement conçu à l’occasion, continuent d’agrémenter les tables algériennes.
Le cérémonial varie selon les goûts et l’appartenance régionale des familles qui, soucieuses de perpétuer la transmission, s’empressent joyeusement de s’y conformer comme il se doit. Certaines coutumes ont hélas dû s’éclipser au profit d’exigences plus modernes, déplorent des nostalgiques de la tradition, à l’image d’Ali, retraité de son état et résidant à Bologhine.
« Je me rappelle que je me déguisais moi-même en simulant Lâadjouza pour effrayer les petits avant de les récompenser par des friandises. Chacun avait droit alors à sa petite bourse. De nos jours, ce rituel est plutôt rare, de même que d’autres démonstrations qui faisaient tant la joie des petits et des moins jeunes », déplore-t-il.
Yennayer est une fête païenne qui renvoie au calendrier agraire lequel était fêté depuis l’antiquité par les populations d’Afrique du nord. Elle correspond également au 1er jour de janvier du calendrier julien, lequel est décalé de 12 jours par rapport au calendrier grégorien.