Sur fond de hurlements de sirènes d’ambulances et de crépitement des armes, des haut-parleurs crachent des chants révolutionnaires pour donner du courage à une foule de manifestants yéménites anti-gouvernementaux prêts à mourir pour leur cause.
«Adieu mes amis, je serai bientôt martyr», crie un homme en fendant une foule de manifestants scandant «Dieu est grand! Liberté!» et brandissant des symboles de paix.
Sur la Place du Changement de la capitale, où plusieurs milliers de personnes campent depuis huit mois pour réclamer le départ du président Ali Abdallah Saleh, les manifestants affirment être prêts à donner leur vie pour ne pas laisser mourir le mouvement lancé en mars rapporte l’agence Reuters.
Avec cette nouvelle stratégie, les militants espèrent mettre fin à l’impasse politique dans laquelle est plongée le pays et accélérer la chute des caciques du régime alors que le mouvement de contestation a montré ces dernières semaines des signes d’essoufflement.

L’intervention de l’armée dimanche, la plus sanglante depuis le début du mouvement de contestation en mars, a fait plusieurs dizaines de victimes dans les rangs de manifestants en trois jours.
Les violences ont éclaté alors que les manifestants tentaient d’étendre leur campement dans la ville et ont rapidement dégénéré en violents affrontements entre les forces de l’opposition et les troupes loyalistes.
Cette nouvelle vague de violence pourrait porter un coup au plan de sortie de crise et aux pourparlers engagés entre les mouvements de l’opposition et le parti au pouvoir. « Nous n’avons pas peur. La mort vaut mieux que l’humiliation », lance Abdelrahman Mawtthaf, un avocat, dont les propos déclenchent aussitôt une salve d’applaudissements. « Si Dieu le veut, nous reviendrons en martyrs », lui répond un manifestant.
Défendre l’honneur
Les manifestants de la place du Changement réclament davantage de démocratie et dénoncent la corruption des dirigeants dans un pays où 40% de la population du Yémen vit avec moins de deux dollars par jour et un tiers souffre de malnutrition. Le chômage touche 35% des Yéménites.
« Avant, nous allions droit dans le mur. On étudie pendant des années et il n’y a pas de travail. Dans les villages, les familles n’ont pas d’eau », explique un étudiant Rami, 23 ans. « On n’a pas grand chose à perdre quand on n’a pas d’avenir. »
Surfant sur cette « vague du martyre », les organisateurs du mouvement, n’hésitent pas à houspiller les manifestants qui restent à l’abri de leurs tentes.
Alors que retentissent des explosions dans des quartiers proches du campement, les militants sont nombreux à passer leur journée à mâcher des feuilles de qat, un narcotique ancestral au Yémen.
« Allez tout le monde se bouge. Allez défendre l’honneur des martyrs. Où sont les hommes libres ? Nos femmes ont plus d’honneur que vous », lance un organisateur en sillonnant les allées du campement.
Les femmes, justement, font du « tente-à-tente » pour encourager les hommes à se joindre aux manifestants et à participer aux affrontements avec les forces de l’ordre.
« Nous avons toujours su que le régime était prêt à tuer, mais cela n’a pas entravé nos plans. Que notre sang coule jusqu’à ce que le monde prenne conscience que les Yéménites veulent la liberté », déclare Manea al Mattari, une jeune manifestante selon Reuters.
Les organisations de jeunes manifestants affirment qu’elles continueront à manifester jusqu’au départ de l’élite politique, y compris au sein de certains groupes d’opposition, comme le parti islamique d’Islah.
Dans une mosquée transformée en hôpital de fortune, les corps mutilés des victimes reposent sur des couvertures, les mains repliées sur la poitrine.