Les combats dans la ville stratégique de Hodeida, dans l’ouest du Yémen, ont été particulièrement meurtriers vendredi, avec une forte résistance des rebelles Houthis tentant par tous les moyens de ralentir la progression des forces progouvernementales. Point d’entrée de trois quarts des importations et de l’aide internationale dans un pays menacé par la famine, la ville portuaire de Hodeida est sous contrôle des rebelles depuis 2014. Les forces fidèles au président Abd Rabbo Mansour Hadi, appuyées militairement par les alliés saoudiens et émiratis, tentent de la reconquérir depuis juin. Pour la première fois jeudi, les troupes loyalistes, soutenues par les raids de l’aviation saoudienne, sont entrées dans la cité où elles ont progressé de quelques km à partir du sud et de l’est en direction du port. En riposte, les rebelles Houthis, dont le chef a promis que ses hommes combattraient jusqu’au bout, ont intensifié leurs contre-attaques pour ralentir leur avancée. Ils «mènent des attaques intensives» en tirant des obus sur les positions reprises par les troupes loyalistes dans le sud de la ville, selon des responsables militaires progouvernementaux. Les rebelles ont en outre affirmé avoir réussi à couper les voies d’approvisionnement de leurs adversaires dans quatre secteurs de la province de Hodeida, à l’extérieur de la ville. Mais cela n’a pas été confirmé par les responsables progouvernementaux. Les Houthis ont creusé des tranchées et posé des mines sur des routes en périphérie de la ville, selon des sources loyalistes. Ils ont aussi positionné des snipers sur les toits et derrière de grands panneaux publicitaires.
Risque de «sabotage»
Malgré la résistance des rebelles, les forces loyalistes ont réussi à avancer de nouveau, mais très lentement dans l’est de la ville, ont ajouté les responsables. Barricadés derrière des conteneurs remplis de débris, à bord de véhicules lourdement armés ou des fois même à pied, les loyalistes avancent dans des rues de la ville au milieu de tirs de mitrailleuses et de bruits incessants d’explosions, selon un correspondant de l’AFP. Les combats des dernières 24 heures à Hodeida ont fait 110 morts parmi les rebelles, selon des sources médicales. Un responsable militaire des forces loyalistes a de son côté fait état de 22 morts parmi les combattants progouvernementaux. Ce nouveau bilan porte à 382 le nombre de combattants des deux camps à avoir été tués depuis l’intensification le 1er novembre de la bataille de Hodeida. Selon un rapport du cabinet de conseil IHS Markit, l’assaut contre le port de Hodeida devrait commencer «dans les prochains jours». Le texte pointe le risque de «sabotage» des infrastructures du port par les Houthis, s’ils étaient forcés de se retirer. «L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis estiment nécessaire de prendre Hodeida (aux rebelles) avant d’entamer des pourparlers de paix avec les Houthis, et cela permettrait au gouvernement yéménite d’avoir beaucoup plus de poids politique à la table des négociations», ajoute IHS Markit. Depuis 2015, les forces loyalistes, aidées d’une coalition militaire sous commandement saoudien, tentent de chasser les Houthis, soutenus par l’Iran, de vastes régions conquises dans le nord et le centre du pays, y compris la capitale Sanaa. En près de quatre ans, le conflit au Yémen a fait quelque 10.000 morts et provoqué selon l’ONU la pire crise humanitaire au monde. L’offensive sur Hodeida a été suspendue en juillet pour donner une chance aux efforts du médiateur de l’ONU. Après l’échec en septembre de la médiation onusienne pour trouver un règlement politique, la coalition a annoncé la reprise de l’assaut sur Hodeida qui s’est intensifié à partir du 1er novembre. La bataille de Hodeida menace les efforts de paix des Etats-Unis et de l’ONU qui espère pouvoir convoquer des pourparlers «d’ici la fin de l’année».
«Exténuation et anxiété»
Elle accentue également les craintes des ONG opérant sur place ou ailleurs dans le pays menacé par la famine. A Hodeida, le coordinateur de projets de l’ONG Islamic Relief, Salem Jaffer Baobaid, décrit «l?exténuation et l’anxiété» sur le visage de ses voisins, et les nuits blanches des habitants, rythmées par les bombardements. «Les gens nous demandent plus de nourriture, mais quoi que nous fassions, les organisations d’aide ne sont pas équipées pour nourrir une nation entière», explique ce travailleur humanitaire, cité par l’agence de presse humanitaire Irin. Pour le Conseil norvégien pour les réfugiés, «il y a un très fort risque que davantage d’attaques aériennes ou terrestres coupent (…) la dernière voie de ravitaillement en produits alimentaires, essence et médicaments des quelque 20 millions de Yéménites qui dépendent des importations passant par Hodeida». Amnesty International a condamné les frappes de la coalition et accusé les Houthis de déployer leurs hommes sur le toit d’un hôpital «rempli de civils blessés» à Hodeida. A Istanbul, une conférence sous la houlette du prix Nobel de la paix yéménite Tawakkol Karman a appelé l’ONU à «oeuvrer sérieusement» pour mettre fin à la guerre au Yémen et préconisé la création d’un tribunal spécial pour juger les «crimes» commis lors du conflit.