Liberté : L’adolescent, le lycéen et, dans notre cas, le jeune étudiant sont-ils, au même titre que l’adulte, réceptifs aux messages des réseaux de recrutement des jihadistes ?
Yazid Haddar : Les politiques suivies par les pouvoirs publics au niveau de l’éducation nationale, de la culture, du social, du juridique… sont imprégnées par l’idéologie identitaire. Ainsi, le projet social, imprégné par la théocratie islamique, est devenu un idéal à atteindre pour beaucoup de nos jeunes. Le psychanalyste, Fathi Benslama, dans son dernier ouvrage Les guerres des subjectivités en Islam (2014), évoque l’agonie de soi ou le soi agonique, qui caractérise, selon lui, l’existence de tant de jeunes musulmans, les rendant aptes à tuer et à se faire tuer.
Un phénomène qui ne peut pas être compris sans l’état de belligérance généralisée entre les détachements subjectifs dont ils sont à la fois les supports et les serviteurs. Donc, les jeunes Algériens ne sont pas immunisés contre cette idéologie, cependant, ils ne souhaitent pas vivre ce que nous avons vécu pendant la décennie noire, car certains en furent témoins. Autrement dit, l’idéologie est fort présente, mais la mettre en pratique prendra un peu plus du temps.
La Toile s’avère être un mégasalon de recrutement des candidats au jihad. Au même moment, elle passe pour devenir la première source de documentation pour les élèves et les étudiants dans un système de valeur où le livre n’a pas sa place. Peut-on concilier le côté cour et le côté jardin du Net ?
Oui, nous pouvons les concilier par l’esprit critique. Sauf que ni l’école ni notre culture patriarcale ne permettent de développer ce dernier. Par exemple, la faiblesse de l’enseignement de la philosophie dans les parcours scolaires et universitaires rend la capacité de se remettre en question difficile.
Or, les outils de communication modernes ont été conçus dans un environnement moderne où l’esprit critique est le fondement de la construction de la pensée. Un esprit qui permet de prendre ses distances quand il le faut. Ni les politiques menées ni la société civile n’ont évolué pour faire émerger le libre arbitre, cette condition sine qua non au développement ! Cela dit, nos jeunes sont élevés dans un environnement où la pensée est imprégnée par la religiosité, et les conséquences nous les vivons au quotidien.
(*) Psychologue clinicien
spécialiste en neuropsychologie