Yasmina Sellam, une passion pour la cuisine du terroir

Yasmina Sellam, une passion pour la cuisine du terroir

Après trente années d’enseignement à l’École normale supérieure et à l’Institut national d’agronomie, Yasmina Sellam ­— agronome titulaire d’un magistère en protection de la nature — a rendu son tablier de pédagogue pour porter celui de gastronome et se consacrer à ce qu’elle aime le plus, cuisiner bio et diététique aux saveurs du terroir. En 2011, elle ouvre une table d’hôte, à son domicile à Bouchaoui, qu’elle appelle “Dar Djeddi”. Depuis, elle a lancé une série de produits bio, qu’elle a même réussi à exporter. Il y a deux jours, “épicerie fine”, sa boutique a ouvert ses portes à Saïd-Hamdine. Récit d’une reconversion largement réussie.

“Mélanger des aliments et des ingrédients en appliquant des recettes pour cuisiner, c’est facile”, annonce spontanément Yasmina Sellam, dans un sourire presque indéfectible.  “Mais connaître les aliments que nous mangeons, comprendre comment la manière de les cuisiner influence leur goût et surtout comment en tirer le meilleur pour manger sainement, c’est toute une autre histoire”, ajoute l’agronome, devenue depuis quelques années chef cuisinière.

Elle ne cherche pas ses mots en s’exprimant et semble donner un peu de sa personne à chaque parole énoncée. Elle a le contact facile et se confie généreusement et sans filtres. Il n’est pas étonnant qu’elle aime particulièrement les moments de convivialité partagés atour d’une table joliment dressée. Elle peut passer des heures aux fourneaux à la recherche de la bonne alchimie. Elle apprécie les ingrédients frais qu’elle utilise et mélange avec soins.

Puis quand arrive le moment de la dégustation, elle scrute ses invités pour reconnaître dans leur regard, ce plaisir de découvrir des saveurs qui flattent le palais. Elle se plaît alors à leur raconter l’histoire et les particularités de chaque plat.

Son leitmotiv est de “mettre de la science dans les assiettes”, mais aussi d’entretenir un savoir-faire ancestral de peur qu’il se perde. Yasmina Sellam, la soixantaine à peine entamée, déborde d’une énergie qu’elle s’est habituée à consacrer à la prise de parole et à la transmission. Après trente années d’enseignement à l’École normale supérieure et à l’Institut national d’agronomie, Yasmina Sellam — agronome titulaire d’un magistère en protection de la nature — a rendu le tablier en 2009 pour se consacrer à ce qu’elle aime le plus, cuisiner bio et diététique aux saveurs du terroir.

En 2011, elle ouvre une table d’hôte, à son domicile, au fond de son grand jardin, situé sur le tapis verdoyant de Bouchaoui. Elle développe son concept autour du terroir, avec un menu respectueux des différentes régions du pays, qu’elle divise en quatre parties : “Un menu pour la région côtière à base de poissons, des recettes plus consistantes pour les régions montagneuses, un menu citadin constitué des plats connus et reconnus des grandes villes et pour finir les plats typiques du désert”, expose-t-elle.

Après avoir reçu ces premiers convives, son label “Dar Djeddi” prend vie et forme par le bouche-à-oreille dans un Alger avide de cuisine typiquement algérienne, servie dans un cadre authentique et apaisant.

Les repas qu’elle propose, sous le citronnier qui domine son jardin, font très vite sensation, notamment auprès des délégations étrangères en visite dans le pays. À leur contact, elle réalise les préjugés tenaces qui entament l’image d’une Algérie qu’elle veut chaleureuse et accueillante.

Elle prend plaisir à les déconstruire et à défendre une vision de l’Algérie d’antan, qui vacille entre traditions et modernisme sans verser maladroitement ni dans l’une ni dans l’autre.

Dar Djeddi à Miami

Quelques années après l’ouverture de sa table d’hôte, Yasmina a puisé ses recettes dans les produits du terroir pour concevoir une série de préparations bio, proposés à la vente. Vinaigre, compotes, hydrolat, ail noir, tomates séchés, confitures. “Nous avons actuellement une soixantaine de produits disponibles mais je peux étendre et aller jusqu’à 200 préparations”, annonce-t-elle, spontanément.  Il y a deux jours, “épicerie fine”, sa boutique a ouvert ses portes à Saïd-Hamdine. En 2016, ces produits ont été mis en valeur aux États-Unis (Miami), lors d’une exposition dont elle parle avec émotion. “Nous avons passé la nuit, mon mari, mon fils et moi à remplir avec une louche ce jus de gingembre dont je tiens la recette de ma grand-mère”, se rappelle-t-elle, en riant.

“Nous avons collé les étiquettes nous-mêmes, une à une”, ajoute-t-elle. Mais avant d’en arriver à ce moment de consécration, elle a dû parcourir un long chemin.

Cette envie de faire des produits du terroir sa matière lui vient de loin. Originaire de Mila, la dame se souvient de ses premiers voyages à l’intérieur du pays, alors qu’elle venait d’avoir son premier emploi. “Spécialiste en bioclimatologie, j’ai été recruté en 1983 au secrétariat d’État aux forêts. J’étais chef de bureau chargé d’installer un réseau de station météo. J’enchaînais les visites de terrain à travers le pays. Comme j’étais la seule femme de la délégation, pendant que mes collègues mangeaient dehors, j’étais toujours reçu dans des maisons”, se souvient-elle.

“J’ai eu de très beaux échanges avec des femmes des quatre coins du pays, c’était extraordinaire, je découvrais des produits, des recettes, l’Algérie dans sa diversité à travers sa gastronomie”, conclut-elle. Cet élan de recherche est vite interrompue par une autre envie dont elle ne se prive pas de vanter les mérites : l’enseignement.

“C’était un choix pris par passion et par conviction : j’aimais être dans la transmission avec mes étudiants, c’était très gratifiant”, confie-t-elle. “Peut-être suis-je un peu narcissique”, lâche-t-elle encore dans un rire, avouant qu’elle aimait capter leur attention et leur parler pendant des heures.

Une forme de militantisme

Pour captiver ses étudiants, elle usait souvent d’humour pour rendre les cours plus “digestes”. Mais elle se souvient avoir ressenti une immense démotivation, lorsque, au fil des années, ses étudiants ont cessé d’être réceptifs à son sens de l’humour. Islamisme oblige. “Il y a eu une rupture dans les esprits qui m’a ôté l’envie d’enseigner”, souligne-t-elle. Elle se souvient d’un étudiant en particulier, qui lui a reproché, en 1995 alors que le terrorisme battait son plein, d’être “une impie”.

C’était la première d’une série d’atteintes du genre. Elles se sont succédé durant plus de dix ans. “Je suis musulmane pratiquante, attachée à mes traditions mais l’obscurantisme me révulse. Je n’ai jamais pu accepter que des étudiants me donnent des leçons de bonne conduite et remette en question ma bienséance au nom de pratiques religieuses venues d’ailleurs.”

Lasse et déçue, l’enseignante jette le tablier et prend sa retraite. Depuis, Dar Djeddi est devenu son subterfuge. Elle y recrée à souhait l’Algérie “perdue”. “Ce qu’on apprend chaque jour dans nos médias n’est pas réjouissant. Nous avons besoin d’espoir.” S’engager dans une telle initiative est justement, pour elle, une forme de militantisme où se joue la survie d’un certain esprit qui ne se raconte presque plus.

F. B.