Le grand écrivain algérien Yasmina Khadra analyse la présidentielle française. De la montée du Front national à l’image dégradée de Nicolas Sarkozy de l’autre côté de la Méditerranée.
Dans L’équation africaine vous évoquiez la montée du terrorisme en Afrique et la difficulté croissante qu’éprouvent les Occidentaux pour se rendre dans cette région du monde?
Yasmina Khadra – L’Equation africaine ne parle pas de terrorisme, mais du rapport à la mort. J’ai convoqué deux attitudes extrêmes diamétralement opposées; la notion du suicide en Occident et la notion de la survivance en Afrique. J’ai essayé de situer la faille dans le dispositif humain, de comprendre pourquoi dans les pays riches on se tue pour une promotion ajournée ou pour un boulot perdu, et pourquoi, dans les pays miséreux, malgré la terreur, l’instabilité, les exodes massifs et les pandémies, on s’accroche à la vie.
Slate Afrique – Quel est le thème de votre prochain roman? La montée des antagonismes entre les civilisations sera-t-il aussi présent?
Yasmina Khadra – Je pense revisiter l’époque coloniale, retourner dans cette Algérie fracturée où tant d’ombres narguaient la lumière. Depuis Ce que le jour doit à la nuit, je suis obsédé par cet épisode de l’histoire de mon pays que je trouve absolument propitiatoire à mes inspirations.
Slate Afrique -Quel regard jetez vous sur la présidentielle française? La montée du Front internationale vous surprend-elle?
Yasmina Khadra – Je souhaite de tout mon coeur que les Français choisissent un bon président. Les temps s’annoncent durs, et il est urgent de reprendre confiance et de surmonter cette maudite crise mondiale qui s’est invitée sans préavis et qui semble en mesure de chambouler jusqu’à nos plus banales habitudes. Je trouve navrant que les politiques paniquent devant la faillite du système économique alors qu’il suffit de mobiliser le génie français pour trouver une nouvelle voie. La France n’a pas à se comparer à l’Allemagne. Elle est capable d’ériger son propre modèle et de s’en sortir grâce à son savoir-faire. C’est parce qu’elle essaye de copier les autres qu’elle se disperse. Quant à la montée du Front national, cela ne m’inquiète pas, cela m’afflige. C’est l’image de la France qui est défigurée.
Slate Afrique – Les Algériens sont-ils toujours aussi intéressés par la politique française?
Yasmina Khadra – Quel est l’Algérien qui n’a pas un proche, un ami ou un souvenir en France ? Bien sûr que nous suivons attentivement ce que se passe dans votre pays. Vous êtes notre premier partenaire économique.
Slate Afrique – Quelle est l’image de Nicolas Sarkozy en Algérie?
Yasmina Khadra – Son image s’est dégradée. Le traitement que son gouvernement fait subir aux musulmans, aux Arabes et aux émigrés en général, la guerre qu’il a provoqué en Libye, son copinage avec les despotes des pays arabes et ses volte-face ahurissantes ont appauvri sa crédibilité. Je crois qu’il ne dispose d’aucun soutien auprès de nos peuples.
Slate Afrique – Que vous inspire la montée de l’islamophobie en France ?
Yasmina Khadra – Lorsqu’on ne trouve pas de solution à son désarroi, on lui cherche un coupable. L’islamophobie est devenue cette quête névrotique d’un coupable, qui est en même temps le souffre-douleur et le bouc émissaire de la société. Il s’agit d’une réaction dérisoire, de la poudre aux yeux. Ca fait mal, ça aveugle, mais ça ne solutionne pas le vrai problème. Dans cette fuite en avant, qui va droit dans le mur, on recouvre ses instincts grégaires et ses peurs et on perd de vue le minimum de lucidité capable de nous aider à nous reprendre en main.
Slate Afrique – Comment les Algériens réagissent aux propos islamophobes de la droite française?
Yasmina Khadra – Avec beaucoup de sang-froid et de dignité. Ils encaissent en silence, mais jusqu’à quand ?
Slate Afrique – François Hollande est-il apprécié par les Algériens?
Yasmina Khadra – Il n’a pas encore fait ses preuves. Vous savez ? Il y a deux endroits où une personne accède totalement à son authenticité : le trône et le cachot. Le pouvoir nous découvre à nous-mêmes. Comme les grandes épreuves. On a beau séduire, convaincre, promettre, ce n’est qu’une fois intronisé que l’on se révèle à sa propre vérité. Combien de sauveurs dans la lutte contre l’injustice, combien de héros, de militants vaillants sont devenus des tyrans une fois souverains? Les Algériens ont été tant de fois séduits puis abandonnés qu’ils refusent de se laisser conter fleurette. Ils veulent voir d’abord, et croire ensuite. Et quand ils croient, ils se donnent en entier.
Slate Afrique – Quelles sont les conséquences de l’intervention de la France en Libye?
Yasmina Khadra – Avant la guerre en Libye, j’avais accordé une interview à Der Speigel. J’y ai dit que s’attaquer à la Libye, c’est faire sauter les verrous de la boite de Pandore. Kadhafi avait sous son aile toutes sortes de mercenaires, de rebelles, de dissidents armés venus du Niger, du Tchad, du Mali, de la Somalie. Indésirables dans leurs pays, où devaient-ils aller après la chute du tyran? Rejoindre El Qaïda, bien sûr. Avec armes, bagages et butins de guerre. Il était évident que la région, déjà trop fragile, allait s’embraser. Ce qui se passe au Mali est l’une des premières conséquences de la guerre de Libye. Et ce n’est pas fini. Ce n’est que le commencement.
Propos recueillis par Nadéra Bouazza et Pierre Cherruau