Yasmina Khadra candidat à la présidentielle, De l’écriture à la politique

Yasmina Khadra candidat à la présidentielle, De l’écriture à la politique

L’annonce par Yasmina Khadra de sa candidature à la présidentielle de 2014, a été une surprise pour beaucoup, dans la mesure où personne ne s’attendait à voir l’écrivain s’engager dans une pareille aventure.

Remplissant toutes les conditions exigées par la Constitution, nul ne peut lui contester ce droit, certes, mais le fait est déjà matière à discussion parmi son public et même en dehors.

D’autant qu’à l’heure où peu de candidatures sont annoncées parmi ceux qu’on appelle les « présidentiables », la sienne apparaît comme parfaitement à contresens de la tendance générale chez un personnel politique qui cultive l’attentisme. Et pour cause, tous se disent qu’il n’y aurait aucune chance de victoire en cas de confirmation de la candidature de l’actuel président de la République à sa propre succession.

De la sorte, Yasmina Khadra confirme son habituel anticonformisme et son attrait pour ce qui s’éloigne des sentiers battus. Lui qui se bat contre le folklore dans lequel la bureaucratie a confiné une culture qui respire malgré tout. Il faut juste préciser que cette fois, c’était là où on l’attendait le moins.

Car il y a tout un monde entre la littérature et la politique. Le premier domaine est celui des mots, le second est le royaume des arrière-pensées. Autant on doit s’évertuer à dire le plus et le mieux possible dans le premier, autant il vaut mieux dire le moins possible et, parfois, savoir quand ne rien dire du tout, car un bon politique n’est jamais catégorique et se doit constamment de se ménager des issues de secours suivant les retournements de la fortune.

Et si, encore une fois, Yasmina Khadra a parfaitement le droit de se porter candidat à la présidentielle, on ne s’improvise pas homme politique, du moins pas si l’on se suffit de son expérience avec les Lettres. Oui, l’homme est un ancien militaire, a rempli des fonctions dans l’administration et on ne doit pas confiner son parcours à quelques connaissances livresques. Mais encore, faut-il qu’en tant que candidat et durant la campagne qu’il compte mener, il ait des choses différentes à dire de ce qu’il a l’habitude de proposer pour ses lecteurs. Les écrivains (titre que lui contestent certains de ses confrères, dont Rachid Boudjedra pour qui, il n’est pas plus qu’un auteur), sont la conscience d’une société.

Parfois, ils en sont même la mauvaise conscience. C’est à leur niveau, via leur art, que sont parfois tranchés tous les débats de société. Ils vivent en marge de la société, non pas pour lui tourner le dos, mais pour mieux l’observer et la critiquer et, à travers leur travail, se faire le miroir de l’état de nos valeurs et de nos symboles. Mais Yasmina Khadra, cet auteur à succès, peut-il être considéré comme un penseur de l’Algérie ? On ne sait malheureusement pas encore ce que Yasmina Khadra pense de la politique nationale, des dossiers internationaux et des problèmes économiques.

On ne peut pas non plus, pas encore, l’étiqueter politiquement, car s’il se défend d’être un produit du système, il est difficilement vu comme un opposant au sens entier du terme. D’autant que ses détracteurs, surtout ceux qui ne prennent même pas la peine de le lire, considèrent que son passage à la tête du Centre culturel algérien de Paris, l’a plus rapproché du « système » que mis au service de la culture algérienne.

Il n’y a pas bien entendu de quoi s’autoriser de mauvais procès, ni de procès tout court. Mais on reste en attente du programme électoral de ce dernier, où il ne s’agit pas de critiquer ce qui ne va pas seulement, mais aussi de proposer des idées nouvelles et, donc, de faire des promesses. En attendant cela, on ne peut pas dire, cela dit, que Yasmina Khadra (peut-on au passage se présenter à une chose aussi sérieuse qu’une élection présidentielle avec un pseudonyme ?) que Yasmina Khadra se présente comme une totale alternative à Abdelaziz Bouteflika.

Il donne, pour l’heure, l’impression de vouloir courir dans son propre couloir, toujours en marge de la politique telle qu’elle se fait encore. Ce qui, il faut le dire, et compte tenu aussi de sa fraîcheur dans ce domaine, empêche, pas mal de monde, de considérer sa candidature comme une entreprise sérieuse. Il y en a qui verraient, à tort ou à raison, une magnifique opération de promotion d’un nom qui, bien que déjà parfaitement installé dans le marché de l’édition, gagnerait une assise nettement plus importante. Pour beaucoup de journalistes, il représente un sujet vendeur à tous les coups, une bonne tête d’affiche comme on dit. Et il est vrai que son engagement dans la présidentielle aura vite fait de réveiller l’intérêt médiatique pour ce rendez-vous. Mais peut-être que ce n’est pas cela que Yasmina Khadra veut vraiment.

S’il n’entend pas être président de la République pour de vrai, c’est qu’il n’agit que pour faire passer un certain message. De cela, il en a le droit, encore une fois, mais il y a quelque chose de dérangeant dans cette manière avec laquelle, il semble concevoir sa nouvelle vie d’intellectuel organique. La campagne va lui permettre de retrouver un second souffle et nourrir son inspiration autour de sa passion avouée, son propre pays. Mais Yasmina Khadra sera-t-il le même par la suite ? Et il y a aussi cette autre préoccupation.

Autant nous avons besoin que nos intellectuels cessent de déserter les débats de société, autant il est nécessaire que ces derniers s’impliquent en restant eux-mêmes, c’est-à-dire en ne concédant rien de leur art et de leur talent et, cela va de soi, de leurs idées et convictions. Ce qui implique aussi, qu’ils ne sortent pas non plus de leur fonction sociale première, aussi noble que lourde de responsabilité, qui consiste à produire de la culture pour mieux éclairer la société.

Par Nabil Benali