Yahia Guidoum chef de file des redresseurs du RND,«Pour nous, Ouyahia n’existe plus»

Yahia Guidoum chef de file des redresseurs du RND,«Pour nous, Ouyahia n’existe plus»

On le disait affaibli par la maladie. Pourtant, le Yahia Guidoum qui nous reçoit au quartier général des contestataires du RND d’Ahmed Ouyahia semble avoir retrouvé une seconde jeunesse.

Nommé coordinateur national du mouvement de redressement au début du mois de novembre dernier, il a réussi à rallier à sa cause la plupart des cadres du parti, à commencer, dit-on, par la quasi-totalité des ministres RND. Une crédibilité qu’il doit à son parcours au sein du parti et même en marge, lorsqu’il a été écarté des instances par l’actuel secrétaire général. Une formation politique dont il a grandement pris part à la création. Des témoignages rapportent en effet que Yahia Guidoum, alors ministre de la Santé du gouvernement Sifi, a été le premier à suggérer au président Zeroual, en pleine réunion du Conseil des ministres, de lancer une nouvelle formation politique à même de faire contrepoids au FLN de Abdelhamid Mehri, fer de lance, en cette période-là, du traité de Sant’Egidio. Connu pour son franc-parler, l’homme réitère dans cet entretien sa détermination et celle de ses compagnons à faire tomber celui qui a trôné sans partage sur ce parti depuis 1999.

Vous dirigez depuis quelques semaines un mouvement de redressement du RND, pourquoi ce mouvement ?

Encore une fois, je tiens à préciser que le mouvement initié n’est en aucune façon une guéguerre de personnes mais un rejet total et absolu d’une gestion autoritariste, despotique et totalement injuste depuis plusieurs années. Malgré les appels qui ont été adressés au SG du parti, son aveuglement lui a fait croire que notre silence responsable était de la faiblesse. La glaciation intolérable du parti a justifié notre mouvement.

Mais ce constat ne date pas d’aujourd’hui. Pourquoi avoir attendu jusqu’à maintenant pour mener cette action ?

Il est vrai que depuis plusieurs années, la gestion administrative dévoyée et autoritaire de façade a été la marque déposée du parti à telle enseigne que certains titres l’encensaient. A cette grave dérive nous avons opposé notre silence responsable arrimé à notre éducation et notamment au respect de notre adhésion initiale au parti. Nous sommes et nous mourrons RND !Je dois souligner que nous bannissons toute forme de violence qui perturberait une paix civile chèrement acquise. Nous pensions que notre retrait pouvait induire chez le SG un sursaut d’éveil mais malheureusement pour notre parti, le SG est resté muré dans son aveuglement. Et en toute objectivité, c’est nous et seulement nous qui avons porté le SG à ce poste de responsabilité. A l’époque, nous avions vu en lui un jeune cadre compétent, ouvert à la concertation et surtout rassembleur ; il devait, avec notre concours, porter le RND au sommet des formations politiques. Malheureusement, il a pris le chemin que lui-même au départ dénonçait : gestion despotique, absence totale de dialogue et réflexe absolu des faibles : «Vous n’avez rien à dire, je sais mieux que vous tous !» Mais chaque chose en son temps. Nous avons patiemment attendu le moment où, face à un bilan catastrophique, il finirait par reconnaître son échec. Et comme toujours animé d’un sens pédagogique perfide, il tente de noyer son échec personnel derrière la formule : «C’est un échec collectif !» Même à ce niveau de responsabilité, il cherche à se disculper. Exemple parfait de petitesse. Avouons ensemble l’obligatoire nécessité de réparer notre responsabilité initiale en exigeant son départ, sans exiger réparation des dégâts occasionnés par sa gestion. 

Vous dénoncez votre marginalisation par Ouyahia. Pourtant, il pourrait vous rétorquer que la plupart de ceux qui le contestent aujourd’hui, qui sont – ou ont été – ministres ou élus nationaux, lui doivent leurs parcours…

Je tiens justement à cette occasion à faire une mise au point claire et publique : aucun des membres des gouvernements passés et acquis au mouvement de redressement ne doit son destin politique à la cooptation ou à la bonne grâce d’Ouyahia. Je parle sous le contrôle des amis ici présents (Yahia Guidoum désigne Amar Zegrar, Mouldi Aïssaoui et Bakhti Belaïb). Le fait qu’il se plaigne de l’absence de renvoi d’ascenseur de notre part est dénué de tout fondement, et ce, de quelque manière que ce soit. Les commentaires relatifs aux dernières élections locales et l’apparente appréciation positive des résultats ramenés à la personne du SG sont totalement erronés. A ce sujet, je me dois de souligner que c’est le parti, en tant que tel, qui a bénéficié, encore une fois, de l’estime et de la confiance d’un nombre appréciable de militants. Il faut également souligner que nous avons appelé les militants et sympathisants à une forte participation et au soutien des candidats honnêtes, sincères, intègres, patriotes, engagés et non corrompus. Oui, effectivement, nous avons aidé notre parti, le RND, lors de ces élections. Personne ne peut revendiquer à lui seul les résultats obtenus.

Y a-t-il eu des contacts ou tractations entre le courant redresseur que vous représentez et Ahmed Ouyahia et/ou ses proches collaborateurs ?

Il faut d’abord noter qu’Ahmed Ouyahia n’a pas de collaborateurs au sens classique du terme puisqu’il est convaincu d’incarner à lui seul la quintessence du parti. Il ne saurait y avoir ni contact ni tractation, car toutes les voies de recours ont été épuisées. Jamais l’image de marque de notre parti n’a été autant ternie qu’aujourd’hui. Sinon comment peut-il se réjouir des résultats obtenus dans les dernières élections locales alors qu’il est de notoriété publique que le rôle majeur joué par la «chkara» a été plus que déterminant ? Pourquoi est-ce que ce SG, en qui nous avions cru par le passé et qui tenait un discours anticorruption, de transparence, ferme-t-il les yeux et encourage même des procédés aussi néfastes et aussi nuisibles au pays ?

Pourtant, Ahmed Ouyahia est l’un des rares hauts responsables du pays à parler ouvertement de ce système de «chkara» et de corruption.

C’est justement ce qui nous avait induits en erreur au début. Nous avions cru qu’il s’agissait effectivement d’un militant anti-corruption. C’est ce qui a fait que nous nous sommes tus au début. Il faut dire vrai : notre conscience nous taraude parce que nous l’avons laissé faire lorsque, sous prétexte d’opération mains propres, il a mis un certain nombre de cadres de valeur en prison. Je peux dire que, par notre silence à l’époque, lorsque nous avons baissé les yeux alors que ces cadres étaient jetés en prison, nous avons été passifs et complices visà- vis de ce qu’on croyait qu’Ouyahia était.

Vous vous êtes déclarés tout à l’heure pour le «plus large rassemblement possible » au sein du parti, à l’issue de la dernière réunion du bureau national, Ouyahia avait justement insisté sur une nécessaire préservation de l’unité du RND, n’y a-t-il pas de terrain d’entente possible ?

Le seul terrain d’entente possible et envisageable est qu’Ouyahia quitte la direction du parti ! Chacun connaît le bilan absolument négatif de ce monsieur à la tête du parti. Le fait qu’il prenne conscience tout d’un coup, et qu’il appelle à cette unité qu’il a lui-même détruite, est, à bien des égards, révélateur de son bilan. Son départ scellera l’unité du RND. Comment se fait-il qu’un parti, né dans un contexte très difficile pour le pays et avec l’assentiment et les encouragements de larges pans de la société, et qui avait très vite réussi à imposer sa présence sur la scène politique nationale puisse se retrouver aujourd’hui dans une pareille situation ? Cette situation est, donc, le résultat d’une dérive structurelle que connaît le parti depuis plusieurs années.

Des indiscrétions de presse prêtent à M. Ouyahia l’intention de ne pas briguer un nouveau mandat lors du prochain congrès. Il envisagerait même d’en faire l’annonce lors du conseil national du RND qui se réunira le mois prochain…

Je vous dirais, au nom de tous mes compagnons, que s’il croit aux petites manœuvres et aux petites tactiques dans lesquelles il s’est complu jusque-là – c’est d’ailleurs un domaine où il est devenu orfèvre – nous ne marcherons pas. Qu’il soit candidat ou pas, candidat des uns ou des autres, pour nous, Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND, n’existe plus ! Il est mort dans nos cœurs, dans le cœur des vrais militants et patriotes nourris des sentiments d’égalité et d’équité dans la distribution des chances d’accès. Il est mort car il a recouru à tout ce que la raison et la morale politique réprouvent, et je comprends un certain nombre de collègues et de compagnons qui se sont prêtés au jeu d’Ouyahia. Je suis navré qu’il ait donné l’illusion de statuts nouveaux, de responsabilités nouvelles à des ignorants. Nous en sommes meurtris. Car jouer avec l’innocence des gens et la naïveté de vrais fils de l’Algérie. Notre pays ne mérite pas le sort que cet homme lui a dévolu. On n’a pas le droit de manipuler l’esprit, l’âme et la croyance des Algériens avec autant de facilité et de dérision. Voilà ce qui me révolte. Qu’il manipule un universitaire, qu’il tente d’asservir un égal à lui, cela peut se concevoir chez certains politiques ; mais qu’il profite d’innocents ignorants en leur accordant de faux statuts, cela est monstrueux ! Cet homme a joué et a profité de la fascination de certains vis-à-vis de la chose matérielle. Il a fait montre d’une passivité remarquable face à l’émergence de la corruption, ca je le lui accorde. Mais je ne lui accorderais pas de médaille quand il déclare qu’il préfère un analphabète, un bac moins neuf, à un cadre car l’analphabète me remplit les salles. C’est ça l’Algérie du 21e siècle ? C’est ça le pays d’un million et demi de chahid ? C’est ça la destinée des Algériens ? Mais, c’est plus féroce que Naegelen qui, lui au moins, avait les yeux bleus, les cheveux blonds et qu’il défendait ouvertement l’ordre colonial. 

Mais là, ça vient de quelqu’un qui se dit fils du peuple. Mais face à votre mouvement, M. Ouyahia peut se prévaloir de la confiance des instances du parti, à l’instar du conseil national du RND qu’il réunira en janvier prochain. Où situez-vous, donc, votre combat ? A l’intérieur de ses instances ou en marge ?

Notre combat est mené sur deux volets en apparence distincts mais qui, en fait, constituent un tout. Il y a d’abord notre travail en direction de nos compagnons qui ont été abusés par le SG au niveau du conseil national. A ce niveau, je dirais que beaucoup ont réagi positivement à notre démarche et ont signé le document exigeant la destitution d’Ouyahia et je tiens à exprimer mon admiration vis-à-vis de leur courage. Que quelqu’un qui doit son statut, au sein de cette instance, à Ouyahia et qui fasse son mea-culpa et revienne dans le droit chemin et signe pour la destitution, je trouve cela très beau. Ne serait-ce que le fait que nous ayons recueilli, jusque-là (l’entretien a été réalisé le mardi 18 décembre, ndlr) près de 120 signatures de membres du conseil national, sélectionnés, nommés et entretenus par lui, devrait lui ouvrir les yeux. S’il était vraiment le fils du peuple et le patriote pour lequel il veut se faire passer – ce qui s’est avéré être une immense tromperie – pourquoi ne s’en irait-il pas dans la dignité ? Celle des vrais Algériens, des vrais enfants du peuple. Et nous l’invitons donc à se retirer dans la dignité et l’honorabilité. Dans le cas contraire, ira-t-il jusqu’à prendre la lourde responsabilité de compromettre gravement l’unité du parti ?

Que se passera-t-il concrètement en cas de refus de sa part ? Comptez-vous boycotter ce conseil national ? Imposerez-vous l’adoption d’une motion de défiance ?

Laissez-moi vous dire d’abord que ce conseil national est illégitime. Est-ce que vous comprenez, vous, qu’un secrétaire général de parti, pour les besoins de la cause, rapatrie des membres du conseil national qui l’ont déserté et qui ont concouru lors des élections dans d’autres formations politiques ? Cela ne s’est jamais vu nulle part, et Ouyahia l’a fait ! Secundo, nous l’avertissons solennellement : le conseil national ne se tiendra pas. Nous sommes décidés à le différer, à notre convenance, par tous les moyens. Dans ce cadre, et vis-à-vis de la paix civile, vis-à-vis d’un chahut dont le pays n’a pas besoin, nous lui faisons porter l’entière responsabilité dans le cas où il persisterait à le tenir. Il doit s’attendre à assumer toutes ses responsabilités s’il essaye de jouer les fortes têtes ! 

Vous venez d’avancer le chiffre de 120 membres du conseil national ayant, d’ores et déjà, signé cette motion de défiance. Quand pourra-t-on en connaître la liste ?

Ce sera rendu public. Il y a d’actuels ministres, des sénateurs, d’anciens et d’actuels hauts responsables. La composante qui le refuse n’est pas du «tout-venant», bien au contraire, il s’agit là d’une majorité «qualifiée». C’est pour cela que j’en appelle au sens de l’honneur et du panache dont l’Algérien est connu. Si ses anciens compagnons le récusent, pourquoi ne se retire-t-il pas de la scène ? A-t-il des intérêts occultes à défendre ? Nous n’avons pas d’autres choix, d’autres richesses, ni d’autres intérêts que notre parti. Un parti qui a ses martyrs, comme Abdelhak Benhamouda, un parti qui a versé son obole. Je pense notamment à feu Boutouiga qui a eu à souffrir du sourire narquois du secrétaire général. Un sourire narquois que les Algériens exècrent. Ce sourire qui hante la mémoire de ceux auxquels il a dénié le droit de manger du yaourt ou d’offrir une pomme à leurs enfants. Ce sourire narquois, il le payera.

Les noms de plusieurs ministres et hauts responsables ayant signé ce document circulent dans les milieux politiques. Vous refusez pourtant de les dévoiler. Pourquoi une telle discrétion s’agissant d’une position politique ?

Ne s’agit-il pas de peur d’une capacité de nuisance d’Ahmed Ouyahia ? Je peux vous affirmer sur mon honneur et celui de mes compagnons qu’aucun des responsables qui ont signé n’a jamais émis le vœu de ne pas voir son nom dévoilé, et aucun n’a exigé la discrétion comme préalable à son engagement. D’ailleurs, je tiens à rendre hommage à des ministres qui sont venus signer cette motion et qui n’ont, à aucun moment, demandé que leur signature soit gardée confidentielle. 

Mais quand l’opinion publique les connaîtra ?

L’opinion publique aura la latitude de connaître la liste des signataires au moment voulu. 

Beaucoup d’analystes n’hésitent pas, à l’instar de ce qui se passe au FLN, à établir un lien entre le timing de votre mouvement et l’échéance de la présidentielle de 2014 pour laquelle on prête à Ahmed Ouyahia l’ambition de postuler.

Ouyahia est un citoyen algérien. A ce titre, il a toute la latitude de concourir aux joutes électorales qu’il aura choisies. Nous ne sommes pas contre sa candidature éventuelle à la présidentielle, mais qu’il le fasse ailleurs qu’au RND. Si, dans sa stratégie, il compte utiliser ce tremplin, alors il se trompe lourdement. Nous, nous le récusons et nous ne le laisserons pas faire.

B. M.