Yachir, Karim, Layachi, Mohcin…La liste de ces Algériens qui ont tenté de se suicider en s’immolant par le feu s’est allongée cette semaine avec le décés de Yachir Boumediene (photo). Agé de 32 ans, Yachir, marchand de fruits et légumes, s’est donné la mort par immolation dans la région de Béchar, à 550 kms au sud –ouest d’Alger. Depuis janvier 2011, l’Algérie a enregistré plus d’une trentaine de cas de suicide.
Issu d’une famille d’extraction modeste, le père à la retraite et la mère au foyer, Yachir Boumediene vit de petits boulots. Son passé de repris de justice – il est passé par la case prison trois fois pour des petits délits-, n’étant pas de nature à l’aider à trouver un emploi fixe, le jeune homme tire le diable par la queue en vendant des fruits et légumes devant le marché Souk Bouhelal, situé au centre-ville de Bechar.
Comme chaque matin, ce dimanche 19 juin, Yachir pose ses victuailles sur sa petite table dressée sur le trottoir qui jouxte le marché. Mais ce dimanche-là, la police décide, sur ordre du wali (préfet), de délocaliser les marchands ambulants pour tenter de mettre fin à ce commerce informel.
Une opération qui aurait été décidée suite aux multiples doléances des commerçants de ce marché lesquels se plaignent d’une concurrence déloyale. Et l’étalage de Boumediene en faisait visiblement partie.
Selon le témoignage recueilli par DNA auprès d’un ami de la famille, Yachir s’est fait rabrouer par un agent de l’ordre. Celui-ci aurait renversé la marchandise de Yachir d’un coup de pied faisant valdinguer sa petite table de fortune.
Révulsé par l’attitude du policier, le jeune homme s’éloigne du trottoir avant de revenir quelques instants plus tard avec un bidon d’essence. Yachir s’asperge les vêtements, craque une allumette et s’immole.
Toujours selon le témoignage de cet ami de la famille Boumediene, un officier de police qui dirigeait l’opération de délocalisation, tente de venir en aide au désespéré. Il finira lui aussi par être touché par le feu qui a déjà consumé les vêtements et la chair de Yachir.
Brûlée au troisième degré sur la totalité du corps, la victime est évacuée à bord d’un taxi pour recevoir les premiers soins à l’hôpital de Méchéria (350km au nord de Béchar).
Il succombera à ses profondes blessures lors de son transfert dans un hôpital spécialisé à Oran. Des passants présents sur les lieux filment, à l’aide de téléphones portables, la victime courant dans la rue, la chair en lambeaux, les vêtements consumés par le feu.
Acte spontané ou suicide prémédité ? Le père de Yachir qui s’est exprimé dans les colonnes du quotidien arabophone Echorouq ( jeudi 23 juin) estime que son fils a été poussé à bout. Il accuse directement la police d’être à l’origine de la mort de Yachir.
« Mon fils a subi plusieurs provocations durant la semaine de la part de l’officier de police avec qui il a eu maille à faire, ce qui a provoqué chez lui un sentiment d’injustice, raconte-t-il. La veille de sa mort, il a été frappé par le même policier, ce qui l’a poussé à réfléchir à préméditer son acte. Mon fils ne s’est pas suicidé, il a été plutôt tué par la hogra (injustice) et l’avilissement. »
La rapidité avec laquelle Yachir s’est procuré un bidon d’essence avant de s’immoler laisse croire que le jeune a longuement réfléchi avant de passer à l’acte fatidique.
Aujourd’hui, la famille Boumediene souhaite l’ouverture d’une enquête judiciaire pour déterminer les circonstances exactes de cette mort tragique. « Je ne cherche pas une indemnisation, dit encore le père, mais je ne veux pas que l’on pousse nos jeunes au désespoir. »
Le décès de Yachir Boumediene porte, au moins, à quatre le nombre de personnes qui se sont données la mort par immolation depuis janvier 2011 en Algérie.
Poussés par le désespoir d’une vie terne, victimes d’injustice et de brimades, souffre-douleurs d’une administration aussi obsolète que corrompue, plus d’une trentaine d’Algériens ont décidé d’emboiter le pas à Mohamed Bouazizi, ce jeune tunisien qui s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010 dans la ville de Sidi Bouzid, dans le sud de la Tunisie.
La mort de Bouazizi aura été le prélude à la révolution en Tunisie qui a balayé le régime du président Ben Ali.
Morts de désespoir, tués par le feu
Mohamed Aouichia. Mercredi 12 janvier, Bordj-Menaiel, à une centaine de kilomètres à l’est d’Alger. Mohamed Aouichia, 41 ans, agent de sécurité, s’asperge d’essence et allume le feu, dans l’enceinte de la sous-préfecture où il travaille. Relogé après des inondations en 2001 et le séisme de Boumerdès en 2003, il s’était inscrit sur une liste d’attribution de logements sociaux. Mhamed attendait une réponse à sa demande depuis sept ans.
Karim Bendine. Mardi 18 janvier, Karim Bendine, 35 ans, célibataire et souffrant de troubles mentaux, s’asperge d’essence avant de craquer une allumete. La scène se passe en plein centre-ville de Dellys, dans l’est de l’Algérie. Cinq jours plus tard, il meurt des suites de ses brûlures.
Mohcin Bouterfif. Lundi 24 janvier, Mohcin Bouterfif (photo ci-contre), chômeur résident dans la commune de Boukhadra, wilaya de Tébessa, rend la mort neuf jours après s’est brûlé. Samedi 14 janvier, accompagné d’un groupe de personnes, devant le siège de la mairie pour soumettre leurs doléances au président de l’APC (Assemblée populaire communale), Mohcin s’est fait rabrouer par le maire qui lui a lancé : « Si tu as du courage, fais comme Bouaziz, immole-toi par le feu ».
B. Lyachi. Samedi 5 mars, Lyachi, chômeur âgé d’une trentaine d’années décède des suites de ses brûlures.La veille il s’est immolé par le feu devant le siège du commissariat de police de la ville d’Aokas, à l’est de Béjaia.