Yacef Saâdi, héros de la Bataille d’Alger et sénateur, mais Algérien au-dessus de la loi?

Yacef Saâdi, héros de la Bataille d’Alger et sénateur, mais Algérien au-dessus de la loi?

Un héros de la révolution, sénateur du tiers présidentiel, mais un algérien au dessus de la loi ? La plainte pour diffamation déposée le 30 mai 2011 par la moudjahida Louiza (Louisette) Ighilahriz contre Yacef Saâdi, héros de la Bataille d’Alger, aujourd’hui sénateur du tiers présidentiel, dort toujours dans les tiroirs du tribunal d’Alger. Dans une déclaration rendue publique samedi 15 octobre, Mokrane Ait Larbi, avocat de la plaignante, dénonce le « mépris » du parquet et réclame justice pour sa cliente.

Une plainte qui traine depuis 4 mois et demi. Lundi 30 mai 2011, Louiza Ighilahriz, héroïne de la guerre d’Algérie, arrêtée le 28 septembre 1957 avant d’être torturée par les paras de l’armée française, dépose plainte pour diffamation au tribunal d’Alger contre Yacef Saâdi.

Celui-ci avait accusé publiquement Mme Ighilahriz d’être une menteuse, une fabulatrice, une comédienne.

Ces « femmes qui prétendent avoir pris part à la guerre »

C’était mercredi 27 avril 2011, en marge de la présentation à Alger d’un film documentaire intitulé « Fidaiyett », consacré aux combattantes de la guerre d’indépendance.

Ce jour-là, Yacef Saâdi lance une charge violente contre ces « femmes qui prétendent avoir pris part à la guerre » et « excellent dans l’art de faire de la comédie ».

Dans le viseur direct de Yacef Saâdi, Louisette Ighilahriz. « Je vous confirme qu’elle n’a aucun rapport avec la guerre de révolution », affirme-t-il ce jour-là.

« Elle n’a pas été torturée »

« Elle n’était pas parmi les poseuses de bombes. Et elle n’a pas milité aux côtés de Said Bakel. Said était avec moi, il me l’aurait dit. Je n’ai connu Louisette Ighilahriz qu’après l’indépendance. Elle n’a pas été torturée », ajoute-t-il.

Avant de demander à l’intéressée d’exhiber les preuves de sa participation à La Bataille d’Alger. Qu’elle montre les « traces de balles sur son corps », lance Saâdi pour mieux appuyer son acte d’accusation.

Immunité parlementaire

Scandalisée par les propos de ce dernier, Mme Ighilahriz dépose plainte et demande au président Bouteflika de déchoir le sénateur de son immunité parlementaire pour qu’il puisse répondre de ses propos devant un tribunal.

A l’adresse de son contempteur, elle le défie avec cette phrase : « Sois un homme, Yacef ! Ne te cache pas, sors et viens en face de moi.»

Quatre mois et demi après le dépôt de la plainte, le dossier dort encore dans les tiroirs du parquet.

Aujourd’hui, l’avocat Mokrane Ait Larbi s’offusque de ces lenteurs prises par le parquer pour instruire cette affaire.

Mépris total, dit l’avocat

« Le Parquet d’Alger devait, conformément à la Constitution et au Code de procédure pénale, entendre la plaignante sur procès-verbal et transmettre la plainte au Sénat par la voie du ministère de la Justice pour la levée de l’immunité parlementaire, procédure préalable aux poursuites. Mais quatre mois et demi après le dépôt de la plainte, la plaignante n’a reçu aucune notification. C’est le mépris total », écrit-il dans sa déclaration.

Comprendre, la justice s’assoie sur le dossier pour protéger le sénateur Yacef Saâdi.

Nommé sénateur dans le tiers présidentiel en janvier 2001, Yacef Saadi demeure toujours à l’abri de poursuites judiciaires dés lors qu’il bénéficie de son statut de parlementaire.

Pour qu’il puisse affronter sa « victime » devant une cour de justice, il faudrait qu’il soit ou déchu de son immunité ou qu’il renonce à son mandat de sénateur.

Chef de la zone autonome d’Alger durant la guerre d’Algérie, Yacef Saâdi a été arrêté le 24 septembre 1957 en compagnie de Zohra Drif (également sénatrice du tiers-présidentiel), dans une maison de la Casbah où ils s’étaient réfugiés.

Richissime homme d’affaires

Condamné à mort, Saâdi a vu sa peine commuée en 1958 après le retour au pouvoir du général De Gaulle.

Producteur de cinéma après l’indépendance en juillet 1962 via sa société de productions Casbah Films – il incarne son propre rôle dans le film La Bataille d’Alger sorti en 1966 -, richissime homme d’affaires versé dans l’import-export, Yacef Saâdi demeure une icône intouchable.

Agé de 83 ans, son double statut de héros de la révolution et de sénateur le met encore au dessus de la justice? Il faut le croire pour le moment.