Le visage comme un masque de douleur, Chen Yaping est toujours sous le choc d’avoir perdu son mari et n’arrive pas à comprendre comment il a pu être battu à mort lors des émeutes ethniques il y a dix jours à Urumqi.
« Mon mari ! Je veux te ramener à la maison. Pourquoi est-ce que je ne peux pas te ramener à la maison ? », dit cette femme de 29 ans en sanglotant.
Ses genoux plient sous la douleur et deux femmes la relèvent dans cette morgue située à l’extérieur d’Urumqi.
Dix jours après les émeutes entre Ouïgours, musulmans et turcophones, et Hans, ethnie majoritaire en Chine, de nombreuses personnes touchées par la tragédie tentent de réparer les vitres cassées par les émeutiers ou les magasins saccagés.
Mais les proches de ceux qui sont morts doivent reconstruire toute une vie de famille et leurs rêves, ce que le sentiment général d’absurdité des violences rend encore plus difficile.
Le mari de Chen, Ding Haohua, a été battu à mort le soir du 5 juillet lorsque des Ouïgours ont fondu sur des Hans, selon des amis de la famille, alors qu’il ne faisait que marcher dans la rue.
Les violences ce soir-là ont fait officiellement 184 morts (bien plus selon les exilés ouïgours), aux trois quarts des Hans tués par des Ouïgours qui se disent poussés à bout par la répression de leur culture sous tutelle chinoise.
De grandes couronnes mortuaires en papier se sont entassées le long des murs de la morgue de Yanerwo, entourées de messages disant, comme pour Ding, un Han de 35 ans qui laisse aussi un fils de seulement un an : « Fais un voyage paisible, mon frère, mon père, mon ami ».
Des pétards résonnent au loin alors que d’autres familles en deuil organisent des cérémonies à la mémoire d’un proche, tandis que du crématoire monte de la fumée brune vers le ciel.
Violences aveugles
« On était du même village et je le connaissais depuis qu’on était tout petits », dit Chen Baochun, 40 ans, au sujet de Ding.
« Pourquoi est-il mort ? C’était un brave garçon qui essayait d’améliorer le niveau de vie de sa famille », dit Chen.
Comme beaucoup de victimes hans dont des proches se retrouvent à la morgue, Ding était venu à Urumqi il y a plusieurs années comme migrant économique de la province pauvre de l’Anhui (est) pour ouvrir une boutique.
Lui aussi avait été attiré par la promesse de développement économique du Xinjiang et a été la victime de Ouïgours exaspérés par l’afflux de Hans.
Un autre migrant de l’Anhui, Fu Guanli, a été tué dans les rues par des Ouïgours, selon ses proches.
La tête recouverte d’une capuche pointue blanche de deuil et portant une photo de son père, le petit Fu Qiqi, 12 ans, les larmes qui coulent sur ses joues, conduit la triste procession pour son père.
Fu, qui avait 47 ans, laisse aussi derrière lui une épouse et deux petites filles, et une famille encore plus grande dans sa province natale qui comptait sur son salaire d’ouvrier dans la construction.
« Nous ramènerons (les cendres de) Fu chez lui. Le reste de la famille ne viendra pas ici », dit son frère Fu Guanxia, 49 ans, les yeux rougis d’avoir trop pleuré.
« Maintenant on va devoir compter sur l’aide du gouvernement. » Celui-ci a promis 200.000 yuans (un peu plus de 20.000 euros) aux familles de chaque « victime innocente » et 10.000 yuans pour les funérailles.
Mais beaucoup d’habitants d’Urumqi porteront très longtemps les cicatrices psychiques et physiques aussi.
En sortant d’un centre d’aide aux familles de victimes, Yi Ling enlève sa casquette, faisant découvrir, sur son crâne rasé, une plaie enflée.
Le soir du 5 juillet, elle a été frappée avec un objet contondant. Elle ignore par qui.
« Mes sentiments après tout ça sont très confus, cela ne fait aucun sens pour moi », dit-elle, ravalant ses sanglots alors que son fils de 10 ans la regarde.
« Ce n’était pas des actes d’êtres humains », ajoute-t-elle. « J’ai peur que les violences recommencent. Les contradictions ethniques ici sont trop fortes pour que le gouvernement les résolve. »