“Les Américains ne veulent pas faire émerger l’islamisme : il se propage de lui-même !” Voilà l’assertion livrée hier par le politologue américain, William Lawrence, au Forum de Liberté. À prendre ou à laisser…
“Le Printemps arabe, ce n’est pas une question de saison ni d’arabe. Les peuples sont confrontés à des forces nationales et parfois même internationales qui s’opposent à leur épanouissement et progrès personnel. Au début, les émeutes des peuples étaient dirigés contre les États. Maintenant, les conflits sont entre États et entre peuples”, constate le chercheur américain qui, selon lui, cette évolution n’est pas encore prête de se terminer. Dans sa définition de la guerre, l’invité du Forum de Liberté estime que ce sont souvent des gens qui ne se connaissent pas qui s’entretuent à cause de gens qui, eux, se connaissent très bien. “On déclenche généralement une guerre pour des raisons différentes de celles qui président à sa poursuite. De même qu’on finit souvent une guerre sur une autre logique”. William Lawrence s’est dit d’abord désolé que les opinions arabes cherchent d’abord la manipulation au lieu de chercher la vérité. Et de leur trouver, quand même, quelques circonstances atténuantes.
“De toute manière, dans chaque guerre, la première victime, c’est toujours la vérité. Il existe parfois des preuves manipulées comme il existe aussi une manipulation du renseignement”. Pour l’ancien conseiller à la Maison-Blanche, les Américains ne voient que leurs intérêts. Et partant de ce postulat, quand ils font la guerre, c’est toujours pour des raisons conjoncturelles. Interrogé sur les faveurs dont disposeraient les mouvements islamistes de la part des Américains, l’orateur s’est inscrit en faux contre cette “allégation”. “J’ai travaillé au gouvernement américain et je n’ai jamais constaté de parti pris pour les islamistes”. Pour le politologue, les Américains ne sont pas pro-islamistes même s’ils ont eu à nouer “tactiquement” de nombreuses alliances avec des groupes islamistes. D’après lui, les Américains sont de bons tacticiens. Ils réagissent, selon lui, plus vite que les autres et sont plus habiles à voir où le vent va tourner. “Dans la conjoncture, ils font de bons choix”, assure-t-il même si en Syrie les Américains se retrouvent, au su et au vu de tout le monde, du côté des rebelles appartenant à Al-Qaïda.
“Enfin, s’il existe réellement des forces laïques capables de stabiliser leur pays, les Américains les soutiendront sans aucun doute”, assure-t-il, toutefois. Quant aux mensonges “éhontés” prêtés à Colin Powell, ancien secrétaire d’État américain à la Défense, Lawrence révélera qu’avant son témoignage à l’ONU, le général avait passé 3 jours et demi avec les services secrets américains et les spécialistes du Moyen-Orient qui l’ont briefé. Powell avouera plus tard que ce sera la plus grande erreur de sa carrière et qu’il n’était pas convaincu lui-même de ce qu’il avançait au palais de verre de Manhattan. “Détrompez-vous, il existe aux USA des débats d’une âpre férocité. Les officiers américains ont toujours, ainsi, le droit de s’opposer à une stratégie, et ce, au moment de sa discussion. Mais une fois entérinée, ils exécutent tout simplement les ordres”. Lawrence, qui se présente résolument comme un militant actif du mouvement anti-guerre en 2003 lorsque Colin Powell “risible à la télé avait choqué mes compatriotes en les trompant par de faux justificatifs”, tente d’arrondir tout de même un peu les angles s’agissant des “salades” racontées par le général américain. “Non, ce n’était pas un mensonge pur et dur”, tempère-t-il. L’information a été donnée, d’après lui, par Ahmed Chalabi, l’opposant à Saddam Hussein qui, selon lui, a été le premier à parler de l’existence d’armes de destruction massive en Irak et de la présence de membres d’Al-Qaïda en Irak. Et puis, par ailleurs, ce sont, d’après lui, les services pakistanais qui ont inventé les talibans… Il reconnaît surtout que les actions militaires américaines dans le monde sont souvent subordonnées à leurs intérêts mais jamais motivées par une idéologie précise. Et de rappeler ensuite une chose que tout le monde a, semble-t-il, oublié, selon lui. “Lors de la guerre en Irak, les Américains, les flics du monde ou encore les mercenaires du monde ont travaillé et ont même été payés par le Koweït et l’Arabie Saoudite. Parfois, les Américains suivent leurs alliés du pays du Golfe qui, eux, sont toujours prêts à payer pour leur sécurité mais parfois c’est aussi l’inverse…”. Lawrence reconnaît, toutefois, l’importance du principe de la non-ingérence dans les relations internationales mais il estime que la première responsabilité d’un responsable est de protéger la population et non sauver l’État.
Adresser “un petit message à Al-Assad
S’agissant des accusations d’utilisation d’armes chimiques en Syrie, l’invité de Liberté a sa petite idée… Pour lui, le président Al-Assad a, bel et bien, failli et le gouvernement syrien est responsable des atrocités commises. “L’histoire de l’utilisation des armes chimiques n’a pas été inventée. Ceci dit, je ne suis pas convaincu qu’Al-Assad ait donné, lui-même, le feu vert pour une utilisation du gaz sarin”. D’après lui, il existe au sein du régime syrien des forces internes pour et d’autres contre. À la remarque selon laquelle l’opinion occidentale était globalement opposée à une intervention en Syrie qui finirait inéluctablement par porter au pouvoir des islamistes, Lawrence souligne le fait que le Premier ministre britannique, David Cameron, a donné la possibilité au Parlement anglais de décider alors qu’il n’était pas obligé de le faire. “En réalité, les Anglais sont aujourd’hui amers parce qu’on leur a déjà mentis en 2003. Ce sera alors la première résolution anti-guerre du Parlement britannique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.” Idem pour le président américain Barack Obama qui, selon lui, ne se précipite pas vraiment vers la guerre. “Il va surtout utiliser la crise syrienne pour débloquer la politique américaine obstruée ces dernières années par les positions des Républicains et de la droite isolationniste. Sur le plan de la politique intérieure américaine, il n’y a plus rien qui sort du Congrès. Les budgets ne sont plus votés.” Sur ce plan, d’après lui, Obama n’est pas aussi “piégé” que le président français François Hollande, un va-t-en-guerre que personne n’aurait soupçonné. Pour lui, le président américain n’a, ainsi, aucune contrainte constitutionnelle pour mener des frappes en Syrie. Comme il peut passer outre le Congrès. Obama voudrait, ainsi, seulement pousser ses détracteurs à se prononcer en leur demandant : “Est-ce que vous êtes contre moi cette fois aussi ?”. Enfin, quelle que soit la réponse du Congrès, Obama sera, selon lui, gagnant dans les deux cas. Sur un autre plan, Lawrence est persuadé que les enquêteurs de l’ONU ne vont pas donner de réponse précise sur l’origine des armes chimiques. Il révélera que devant une opinion américaine à 90% contre une intervention militaire en Syrie, le secrétaire d’État, John Kerry s’emploie actuellement à expliquer à ses compatriotes qu’il ne s’agit pas de l’Afghanistan ou encore de l’Irak mais qu’il s’agit simplement d’adresser un “petit message” à Al-Assad pour qu’il arrête enfin de massacrer son peuple (sic). Ceci dit, il n’est pas sûr, selon l’orateur, que les assurances américaines sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une guerre qui va durer et qu’il n’y aura pas de troupes au sol, mais juste des frappes aériennes ultra-ciblées comme en Libye en 1986 soient suffisantes pour convaincre une opinion maintes fois désabusée. S’il reconnaît que les Américains ont déjà utilisés, par le passé, des armes chimiques notamment à Falloudja en Irak, de même que les Israéliens du reste, le chercheur US est persuadé qu’il existe des “preuves irréfutables qui n’ont pas encore été divulguées” quant à l’utilisation par le régime syrien d’armes chimiques. “Même Poutine a dit que s’il y avait des preuves, il renoncerait à soutenir le régime syrien”. Lawrence croit même savoir, à ce sujet, que la position algérienne n’est pas pro-Al-Assad comme celle de la Russie ou encore de la Chine. Il avance, ainsi, sans donner de détails que “les Algériens sont déçus par le régime syrien”… Autre volet de son intervention, l’Égypte où les Américains sont très impliqués par tout ce qui se passe mais sans contrôler quoi que ce soit… Un peu comme la France en Tunisie lors du déclenchement du Printemps arabe. “En Égypte, il se déroule presque un conflit américo-américain puisque Morsi détient la nationalité américaine”, a-t-il révélé. Il annoncera, en outre, qu’à un moment donné, les USA pensaient que pour éloigner l’Égypte du chaos, les Frères musulmans et les islamistes modérés constitueraient un bon rempart contre les radicaux. Ce qui, semble-t-il, n’a vraiment pas été le cas… Quoi qu’il en soit, toujours pragmatiques, les Américains seraient, d’après lui, en train d’évaluer, en ce moment même, la situation en Égypte. “Si les putschistes arrivent à stabiliser le pays, les USA les suivront.” S’agissant de la cession du Sinaï, un projet prêté au président égyptien déchu Morsi, l’invité de Liberté considère que cette idée est une pure hérésie. “Je ne pense pas qu’il y ait eu d’accord. Comment les bédouins du Sinaï qui détestent cordialement le gouvernement central égyptien vont réagir à une telle proposition ? À mon avis, ils sont déjà plutôt prêts à s’allier avec Israël”. Pour Lawrence qui s’attend à plus d’instabilité en Égypte, notamment à cause du rôle flou de l’Arabie saoudite et du Qatar, la crise n’est pas terminée. “On ne peut pas prédire l’avenir. Mais, en tant qu’historien de formation, je crois que beaucoup de choses vont se passer en Égypte. Il y a deux ans, l’armée égyptienne avait procédé à 12 000 arrestations et pratiqué sur des femmes des tests de virginité et parfois même des viols.” Revenant sur le Printemps arabe, un concept qui aurait été inventé, dit-il, par un ami à lui, Mark Lynch, suite aux révolutions colorées, le politologue américain estime que “sur ce coup, on n’a pas tout compris avec une simultanéité des événements et le manque de recul pour prendre conscience des transformations et de ses effets futurs”. Il est vrai que dix-huit pays arabes connaissent en même temps des émeutes.
C’est, en effet, du jamais vu !
M.-C. L.
Bio-express
Né le 7 août 1963 à Boston (Massachussetts), William Lawrence est docteur en relations internationales. Ancien cadre au département d’État américain, il travaille sur le Maghreb et l’Égypte depuis 28 ans. Il a été conseiller à la Maison-Blanche au moment de l’initiative Global Engagement (l’engagement mondial) du président Obama liée au discours du Caire. Lawrence était, ainsi, conseiller principal et chef de l’équipe responsable de la mise en œuvre de cette initiative au département d’État américain. De 2011 jusqu’en juillet 2013, il était directeur du projet Afrique du Nord de International Crisis Group, une organisation non gouvernementale mondiale qui œuvre dans le domaine de la prévention et de la résolution des conflits.