Les Algériens hôtes de l’ambassade des Etats-Unis à Alger ne sont pas peu avares d’analyses et distillent volontiers commentaires et informations sur les dessous et les coulisses du pouvoir algérien.
Le câble de l’ambassade US obtenu par Wikileaks et révélé par El Pais et daté du 19 décembre 2007, peu de temps après les attentats kamikazes du 11 décembre à Alger, livre encore une fois une image d’un pays déboussolé, miné par la corruption, une armée divisée sur la question de la réconciliation nationale et un clan qui veut absolument se maintenir au pouvoir quitte à modifier la constitution de 1996 pour permettre à Bouteflika de se maintenir au pouvoir.
Dans ce mémo classé confidentiel, Saïd Sadi, président du RCD, qualifie le clan du chef de l’Etat de « Gang de Tikrit », allusion à Saddam Hussein qui a placé à tous les rouages de l’Etat irakien des fidèles à lui , issus de la même région, Tikrit, au Nord de l’Irak dont lui-même est originaire. Cette allusion de Sadi au clan des Tikriti s’explique par le fait, note le mémo, qu’ « un nombre disproportionné de ministres et de généraux provenaient de la même région dans la région de Tlemcen. En effet, beaucoup dans le cercle intérieur proviennent de la petite ville de Nedromah. La fidélité de ce «Gang», selon XXXXXXXXXXXX et Sadi, est essentielle au maintien de la stabilité, exactement comme l’a fait en Irak Saddam Hussein. »
Abdellah Djaballah, leader d’un parti islamiste, se plaint lui que les autorités algériennes l’empêchent d’activer légalement alors que Leïla Asaloui, ancienne ministre dont le mari a été assassiné par un groupe terroriste au milieu des années 1990, révèle qu’elle a refusé une demande du gouvernement d’appeler à une marche pour dénoncer le terrorisme parce qu’elle ne cautionne pas la démarche des autorités dans la gestion de la question sécuritaire.
Un autre interlocuteur dont le nom a été biffé pour le protéger affirme lui que la corruption est très répandue au sein de l’armée. Said Sadi déclare par ailleurs qu’il est plaint justement de ce phénomène auprès du général Mohamed Mediène, dit Toufik, patron du DRS. « Ce dernier, peut-on lire dans le télégramme de l’ambassade, reconnaît le problème et désigne silencieusement le portrait de Bouteflika qui pendait au dessus de leurs têtes. Il a indiqué à Sadi que le problème emprunte le chemin vers le haut de la pyramide. »
Les 1600 câbles concernant l’Algérie que le site wikileaks affirme détenir, seulement une vingtaine a déjà été publiée par les cinq grands journaux internationaux qui ont obtenu l’exclusivité de ces télégrammes. La suite promet.
Le câble classé confidentiel et daté du 19 décembre 2007
L’ambassadeur américain a discuté, avant début 2008 de la situation du régime en Algérie qui présente une fragilité évidente.
1. (C) Résumé: De récentes discussions avec d’anciens membres du gouvernement, des fonctionnaires, des dirigeants de l’opposition, des journalistes ont dessiné une image d’un régime plus fragile que jamais et qui manque cruellement de perspectives. La corruption a atteint des niveaux sans précédent et des rumeurs font état de division au sein de la hiérarchie militaire.
Nos contacts sont algériens souvent avares de mots, mais nous avons parvenus maintenant à établir avec eux d’amples discussions. Ils évoquent l’incapacité ou le manque de volonté du gouvernement algérien à résoudre les problèmes politiques, économiques et de sécurité. L’attentat suicide du 11 Décembre à Alger, opéré par deux hommes amnistiés en vertu de la Charte pour la paix et la Réconciliation nationale, ont provoqué un débat houleux sur la capacité du programme de réconciliation du président Bouteflika à sortir le pays des griffes des terroristes.
Le débat porte sur la nécessité de mettre en place une approche plus agressive pour juguler la menace terroriste alors que Bouteflika continue de croire que l’amnistie peut régler le problème. Aujourd’hui le pays nous offre l’image d’un président isolé, un processus de réforme stagnant et une approche incertaine de la manière de lutter contre le terrorisme. Ceci intervient au moment où le gouvernement s’échine à vendre aux électeurs un troisième mandat. Cela étant dit nous n’avons pas le sentiment d’une probable explosion dans l’immédiat. Le gouvernement semble à la dérive et poursuit ses politiques de tâtonnement.
2. l’opposition (C) : Le 3 Décembre, le leader du Rassemblement pour la culture et La démocratie (RCD) ,Said Sadi a dressé un aperçu sombre du régime algérien, en affirmant qu’il continue son verrouillage de la société mais ne dispose d’aucune autre capacité de gouverner en sus de son manque de vision. Sadi averti que cette stagnation dans les domaines économique et politique a provoqué une saignée dans les rangs des cadres compétents dans les institutions qui ont été privées de leurs meilleurs éléments. Même constat concernant la société civile.
L’ancien chef du parti islamiste al-Islah, Abdallah Djaballah, évincé de la tête du parti avec l’aide active du ministère de l’Intérieur, nous a fait remarquer le 17 Décembre que le phénomène des harraga, ces jeunes fuient sur des embarcations de fortune vers l’Europe, ne se limite plus seulement aux pauvres et aux jeunes chômeurs. Djaballah affirme que la jeunesse algérienne a le choix « entre la mort en mer et une mort lente et progressive chez-elle ». Une situation due au profond manque d’opportunités économiques durant de longues années de stagnation. Sadi nous a dit qu’il était choqué d’avoir constaté, lors d’une dernière visite en Amérique du nord, que de nombreux cadres universitaires ainsi que des gens de la classe moyenne ont fuit vers le Québec et à un degré moindre aux États-Unis. « Ces gens-là sont censés être l’avenir de Algérie », a déclaré Sadi.
3. (C) XXXXXXXXXXXX, nous a dit le 17 décembre qu’au lendemain des attentats du 11 décembre, le débat s’est focalisé au sein des services de sécurité algériens sur l’apport de la réconciliation nationale et son efficacité.
Un nombre croissant de voix s’est révélé en faveur d’un durcissement de l’approche sécuritaire. XXXXXXXXXXXX dit que le régime n’avait pas une seule approche claire pour lutter contre le terrorisme. Un fait prouvé par son indécision sur la façon de traiter certains cas d’amnistie tel que celui de Hassan Hattab. Selon Sadi et XXXXXXXXXXXX , la majorité des algériens ont déjà perdu confiance dans les programmes économique et politique et sont en train de perdre la foi en la capacité de la régime à les protéger.
Leila Aslaoui, ancienne ministre, militante des droits des femmes et écrivain, a déclaré lors d’un dîner à l’ambassade le 18 décembre qu’une grande partie de la société algérienne n’est plus mobilisée dans la lutte contre le terrorisme. Selon elle, il est scandaleux que le Ministère de l’Intérieur soit au courant que la Cour suprême allait être ciblée et n’a rien fait ni pour améliorer la sécurité du bâtiment ni pour prévenir le public. Elle a été particulièrement virulente sur les déclarations du ministre de l’Intérieur affirmant qu’il était impossible de fournir une protection infaillible contre les attentats à la bombe, se demandant pourquoi les autorités algériennes ne sont plus vigoureusement actives dans la recherche des suspects terroristes.
Le gouvernement algérien a demandé à Mme Aslaoui le 17 Décembre d’organiser une marche condamnant le terrorisme. Dans les années 1990, a-t-elle dit, elle n’aurait pas hésité une seconde. Maintenant, fait-elle remarquer avec amertume, elle ne peut cautionner l’approche du gouvernement algérien de la sécurité. XXXXXXXXXXXX, a déclaré l’ambassadeur américain le 17 Décembre qu’il existe un écart considérable entre les besoins réels des Algériens, leur qualité de vie ce et ce que leur permettent les salaires fixés par le gouvernement. Par conséquent, a-t-il dit, moins d’Algériens sont prêts à aider le gouvernement. Le mot dans la rue, dit-il, est que si vous avez à faire des affaires dans une institution gouvernementale, faites ce que vous avez rapidement et dégagez la voie.
D’autre part, Djaballah a affirmé que le désenchantement est généralisé. Quant à la volonté du gouvernement à partager le pouvoir avec les islamistes, il ne concerne que ceux qui y sont déjà et exclut les autres.
C’est pourquoi il a appelé à boycotter les élections locales du 29 Novembre. Ils comprennent, dit-il, que la nouvelle loi électorale a été conçue pour les marginaliser et perpétuer la mainmise de la coalition au pouvoir. Le verrouillage du champ politique ne fera que stimuler davantage l’extrémisme, a-t-il averti. L’ambassadeur dira à Djaballah que les Etats-Unis sont en faveur de la libéralisation du champ politique en Algérie, mais nous avons comprenons également que cela peut se faire progressivement. Les États-Unis ne veulent pas voir un retour à la violence des années 1990 et travaillent avec les pouvoirs publics algériens contre ceux qu’ils cherchent activement à revenir à cette période.
Il s’est félicité de l’effort de Djaballah à activer dans la légalité. Le point important, souligné par l’Ambassadeur, est que l’évolution politique pourrait être lente mais doit progresser constamment en direction de l’ouverture du champ politique. Djaballah a accepté notre point de vue et semble apprécier notre manière de poser les problèmes et l’analyse du processus électoral.
5. (C) A propos de la stabilité du pays, XXXXXXXXXXXX a souligné que les Algériens « ont vécu des situations pires que celles-là », et que les divisions internes ne doivent pas être confondues avec l’instabilité. Le régime a souligné, XXXXXXXXXXXX, est par conséquent à la fois fragile et stable.
XXXXXXXXXXXX d’accord avec l’analyse faite par Sadi aux services de l’ambassade mais parue également dans la presse, comparant le gouvernement Bouteflika à «une bande de Tikrit » dans lequel un nombre disproportionné de ministres et de généraux provenaient de la même région dans la région de Tlemcen. En effet, beaucoup dans le cercle intérieur proviennent de la petite ville de Nedromah. La fidélité de ce «Gang», selon XXXXXXXXXXXX et Sadi, est essentielle au maintien de la stabilité, exactement comme l’a fait en Irak Saddam Hussein.
Sadi met en garde contre les dangers à long terme dus au silence gardé par les États-Unis sur ce qu’il perçoit comme la détérioration de la démocratie algérienne, comme en témoignent les élections locales.
Sadi considère que le un soutien extérieur est essentiel à la survie de la démocratie et l’engagement politique de la jeunesse algérienne qui constitue 70 % de la population. Si les États-Unis sont complices de ces élections et de la révision de la constitution pour permettre à Bouteflika de briguer un troisième mandat, elle risque, à tout jamais de perdre la confiance des jeunes.
L’Ambassadeur a rappelé Sadi de nos vains efforts de maintenir le programme National Democratic Institute en Algérie, programme que le ministère de l’Intérieur a sciemment récusé. Seuls quelques partis politiques avaient bataillé pour le maintenir. L’ambassadeur dira à Sadi que nous avions soulevé à plusieurs reprises les problèmes liés au processus électoral et à sa crédibilité.
Il a été fait remarquer à Sadi que nous avions entendu les autres parties demander une aide publique des Etats-Unis. Nous avons à maintes reprises exhorté le RCD et les autres partis algériens à faire entendre leur voix. Les États-Unis seraient plus à l’aise d’œuvrer pour le déverrouillage du champ politique algérien si les partis algériens haussaient le ton et faisaient entendre leurs voix. Compte tenu de l’absence de commissions internationales de surveillance des élections élections législatives et locales en 2008, l ‘ambassadeur a informé Sadi d’examiner la possibilité d’avoir des observateurs internationaux pour l’édition le Présidentielles de 2009.
Sadi, qui entretient des contacts avec des éléments de l’armée, des militaires algériens et les services de sécurité, nous ont dit que l’armée n’était plus aussi unifiée comme elle l’avait été quelques années plus tôt.
Deux courants ont émergé, apprend-on. Le premier est celui des jeunes officiers qui connaissent la situation déplorable de l’Algérie qui blâment la vieille garde pour sa négligence et sa mauvaise gestion.
Ces officiers, selon Sadi, veulent le changement et veulent mettre un terme en urgence à la dérive du pays. L’autre partie identifiée par Sadi se trouve dans les rangs supérieurs de la hiérarchie militaire, qui favorisent une approche plus sévère de lutte contre le terrorisme (les «éradicateurs») et ceux toujours aligné sur la politique de réconciliation nationale de Bouteflika. XXXXXXXXXXXX, dont le frère est un officier de l’armée, a dit le Décembre 17, que des colonels de l’armée algérienne estiment que la dérive ne peut pas continuer. La question que chuchote XXXXXXXXXXXX, est de savoir s’ils peuvent s’organiser.
Sadi nous a livré une conversation qu’il a eu récemment avec le général Toufik Médiène, le chef de l’Algérie et du DRS (services de renseignement militaire) qui est largement considéré comme la figure maitresse pour assurer le contrôle et la survie régime. Il dit que Mediene a reconnu que tout n’allait pas bien avec la santé de Bouteflika et avec l’Algérie au sens large.
Cependant, selon Sadi, Mediene dit qu’il fallait une alternative politique viable qui n’est pas susceptibles de déstabiliser le pays. Sadi a également déclaré que de nombreux officiers supérieurs ont commencé à se demander si l’armée pouvait rester totalement en dehors de la politique, sans crainte de représailles pour toutes les violations commises au cours de la guerre civile la guerre.
Sadi, Djaballah, XXXXXXXXXXXX et de nombreux autres contacts nous ont dit que la corruption a atteint des niveaux sans précédent dans le régime actuel. Comme nous l’avons signalé, la décision du FLN, de réclamer un troisième mandat pour Bouteflika, a fait que les responsables locaux placés lors des élections locale l’ont été sur la base de la loyauté au détriment de la compétence. Avec des prix du pétrole et des réserves de change record, l’ancien Premier ministre Benbitour a déclaré à l’ambassadeur au mois de novembre, il y avait moins de volonté à mener à bien les réformes indispensables. Les prix élevés du pétrole apportant une incroyable richesse au pays, dira Benbitour, ne se répercutent pas sur le niveau de vie des lgériens.
Ceux-là ne voient pas d’impact sur leur vie quotidienne. Benbitour a inventé un terme repris par les médias aujourd’hui: L’Algérie est riche, mais les gens sont pauvres. Le leader islamiste Djaballah a souvent attiré notre attention sur la Corruption. XXXXXXXXXXXX , affirme qu’elle a atteint des niveaux alarmants, même au sein de l’armée. Il a cité le Général Ahmad Gaid Salah, commandant des forces armées algériennes, comme étant le fonctionnaire le plus corrompu dans l’armée.
Sadi a mentionné le problème de la corruption en général avec le général Mediene. Ce dernier reconnaît le problème et désigne silencieusement le portrait de Bouteflika qui pendait au dessus de leurs têtes. Il a indiqué à Sadi que le problème emprunte le chemin vers le haut de la pyramide. (Commentaire: De nombreux contacts de l’ambassade pensent que le président Bouteflika lui-même n’est pas
Particulièrement corrompu, mais ils pointent de doigt les frères du président, Saïd et Abdallah, comme étant particulièrement de vrais rapaces. L’armée algérienne, quant à elle, a lancé un programme anti-corruption qui est ambitieux pour les normes algériennes mais a laissé la haute direction relativement à l’abri.)
COMMENTAIRE: un régime en difficulté, un président malade
11. (S) Nos contacts algériens sont avares en mots, mais nous laissent entendre leurs préoccupations quant à l’incapacité du gouvernement algérien et son incapacité à régler les problèmes politiques économiques et sécuritaires.
Les attentats et le débat sur la façon de traiter l’extrémisme islamiste commencent à rappeler les arguments développés au sein de la société algérienne au pire des années 1990. Ces contacts s’accordent à dire que si les années 1990 ont montré la plupart des Algériens peuvent résister à beaucoup de douleur, les attentats du 11 décembre ont mis à nu l’absence de vision du régime et son incapacité à gérer les pressions. Nous commençons à entendre les échos d’un débat au sein de certains milieux sur la mise en place d’une stratégie militaire de plus en plus centralisée.
Le débat sur la réconciliation nationale entraine celui sur la viabilité du gouvernement de Bouteflika lui-même. Selon nos contacts, la stabilité demeure la priorité absolue même pour les fonctionnaires opposés à ce débat. On affirme que la stabilité ne découle pas du leadership de Bouteflika mais plutôt de l’appareil militaire. L’élément nouveau est la poussée du Premier ministre Belkhadem et son parti le FLN, probablement sous l’impulsion des frères Bouteflika si ce n’est pas sous la poussée du président Bouteflika lui-même, pour organiser un référendum pour l’amendement de la constitution pour lui permettre de briguer un troisième mandat. Sadi, affirmera que la santé de Bouteflika et celle de l’Algérie laissent toutes deux à déplorer. Selon Sadi (qui peut connaître ou méconnaitre réellement la chose), Bouteflika souffre d’un cancer de l’estomac en stade terminal, et le régime se trouve sur la table d’opération, le glissement vers un point de non retour avec « chirurgiens non formés ».
Pendant ce temps, l’apparente incapacité du gouvernement à relancer l’économie accable les Algériens notamment les jeunes, et leur donne un triste et sombre aperçu sur l’avenir de leur pays en dérive.