WikiLeaks : Otages au Sahel, un marché juteux

WikiLeaks : Otages au Sahel, un marché juteux
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Dans la région du Sahel, il est très difficile de trouver à qui se fier après un enlèvement par Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Et pour cause, tout le monde s’improvise négociateurs et médiateurs.

Les télégrammes émis par l’ambassade américaine de Bamako et rapportés par le quotidien Le Monde (Mali), après le rapt, le 22 février 2008, de deux touristes autrichiens, décrivent l’extrême complexité de la tâche des diplomates dans un univers de manipulations.

Cette fois, l’épisode a connu une fin heureuse puisque Wolfgang Ebner et Andrea Kloiber, enlevés dans le sud tunisien et transférés dans le nord malien, ont été libérés après 252 jours de captivité. Mais pas pour les cinq Français qui sont à leur troisième mois de captivité. Les diplomates américains décrivent la façon dont leurs deux collègues autrichiens arrivés de Vienne «tentent de naviguer dans la bureaucratie malienne tout en subissant un cours intensif sur les dynamiques sécuritaires et politiques complexes du Nord Mali». Ils notent le naïf espoir des Autrichiens de «capitaliser leurs bonnes relations avec le monde musulman» et le rôle de négociateur qu’entendent jouer «le Libyen Mouammar Kadhafi et le leader d’extrême droite autrichien Jörg Haider».

Comment entrer en contact avec l’AQMI ? Les Américains analysent les raisons pour lesquelles les Libyens recherchent des intermédiaires non pas chez les Touareg mais parmi les Arabes berabiches «qui parlent une langue similaire à l’arabe algérien», «ce qui ne signifie pas qu’ils soient plus réceptifs au message» islamiste. Trois personnes identifiées comme des «hommes d’affaires» pourraient jouer ce rôle, dont l’un est proche des services secrets maliens.

De ce fait, si une rançon est payée, analyse un télégramme, un pourcentage pourrait échoir non seulement à l’intermédiaire berabiche, mais aussi au fonctionnaire ma-lien qui l’informe et qui le protège. Un peu plus tard, un responsable de la rébellion touaregue, présenté comme «un trafiquant de renom», propose aux Américains de «chasser les islamistes des territoires touareg». Il accuse les autorités de Bamako de «collaborer avec AQMI», en jouant sur deux tableaux : d’abord en tentant de discréditer les Touareg en les assimilant à des islamistes, et en traitant avec AQMI «afin de s’assurer un pourcentage sur une éventuelle rançon». Le responsable touareg en question propose d’aider les Américains à repérer les ravisseurs des Autrichiens. Les diplomates américains n’ont aucune confiance en cet intermédiaire, notant qu’il est réputé avoir aussi prêté main forte à AQMI dans le passé.

Mais ils comprennent l’intérêt que peuvent avoir les Touareg à défendre une certaine autonomie à l’égard du pouvoir pour protéger leurs trafics, et leur hostilité à l’égard de l’aide que les Etats-unis apportent au pouvoir de Bamako, au nom de la lutte contre le terrorisme. Au nord du Mali, les groupes terroristes trouvent une grande facilité de communication avec les plus hautes autorités de Bamako pour négocier des rançons ou faire passer des quantités de drogue. Dans ce marché, chacun des intervenants trouve son compte. La bataille entre vrais négociateurs et agents doubles, faux intermédiaires et vrais profiteurs bat ainsi son plein dans cette région.

H.L.