Il y a trois ans déjà, notait un télégramme diplomatique de l’ambassade américaine, obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde, rien n’allait plus, en août 2007, entre l’armée égyptienne et les Etats-Unis.
« Les généraux furent longtemps nos meilleurs alliés, mais la situation a changé », regrettait le diplomate signataire. Les choses ne se sont guère améliorées par la suite.
« L’armée égyptienne, note un télégramme américain daté du 23 septembre 2008, est une institution en déclin » mais qui reste « puissante » à l’intérieur du pays en ce qu’elle « garantit la stabilité du régime » et qu’elle opère « un vaste réseau d’entreprises commerciales particulièrement actives dans les secteurs de l’eau, l’huile d’olive, le ciment, la construction, l’hôtellerie et les stations d’essence ». L’armée possède également « de larges domaines immobiliers et des terrains dans le delta du Nil et sur les côtes de la mer Rouge ».
Bien sûr les Etats-Unis apprécient que l’Egypte leur garantisse un accès libre au canal de Suez ainsi que son espace aérien. « Depuis 1980, écrit l’ambassadrice Margaret Scobey dans un mémo envoyé en décembre 2008 au général David Petraeus, qui s’apprête alors à se rendre au Caire en tant que commandant en chef des forces américaines au Moyen-Orient, les Etats-Unis ont investi 36 milliards de dollars [27,1 milliards d’euros] dans les forces armées égyptiennes. »
Problème, l’armée ne cesse, avec ces fonds, de renforcer ses forces conventionnelles (avions, chars d’assaut) et « refuse » les réformes stratégiques que lui suggère son généreux donateur. Pas moyen, par exemple, de l’intéresser à la mise en place en commun de nouveaux outils « antiterroristes » dans la région
« UNE INTOUCHABLE COMPENSATION »
La faute à qui ? « Mohamed Hussein Tantawi, ministre de la défense égyptienne depuis 1981. Cet homme, note la diplomate, a été – et demeure ! – l’obstacle numéro un à la transformation des missions [de l’armée] pour prendre en compte les nouvelles menaces qui émergent. Depuis sa nomination, le degré de préparation tactique et opérationnelle [des armées] s’est dégradé. Mais Tantawi a toujours la confiance de Moubarak et pourrait très bien rester encore en place pendant des années. »
Certes, Américains « et Israéliens », note un mémo de février 2010, se « félicitent » de « l’efficacité » des efforts égyptiens pour contribuer au blocus de Gaza et « combattre le flot d’armes et les fonds illicites » destinés au territoire palestinien contrôlé par le Hamas.
Pour autant, lors d’une rencontre, le 31 janvier 2010, à l’ambassade américaine du Caire entre Colin Kahl, sous-secrétaire à la défense de Barak Obama, et trois pontes du ministère de la défense égyptienne, les généraux en retraite Mohamed Al-Assar, Ahmed Moataz et Fouad Arafa, ce dernier n’y va pas par quatre chemins. Selon les accords de paix de Camp David signés en 1979 aux Etats-Unis entre Israéliens et Egyptiens, Washington avait promis de « récompenser » Le Caire en lui octroyant, chaque année, une aide économique et, surtout, militaire. Considérée comme « une intouchable compensation » par l’armée égyptienne, celle-ci s’établit aujourd’hui à 1,3 milliard de dollars par an.
Cela peut paraître beaucoup, laissait entendre la diplomate, mais ce n’est pas assez pour les généraux égyptiens. En 1979, rappelle le général Arafa, « le ratio » entre l’aide accordée à l’armée d’Israël et celle réservée à son homologue égyptienne s’établissait à 2 pour 3 (environ 2 milliards l’an pour Le Caire, 3 milliards pour Tel Aviv). « Ce ratio, note le général Al-Assar, numéro deux du ministère de la défense au Caire, est passé à 2 contre 5 » en faveur de l’Etat juif. Pour le général égyptien, note un mois plus tard l’ambassadrice, « c’est une violation des accords de Camp David ».
« NE PAS OUBLIER LE PROGRAMME NUCLÉAIRE ISRAÉLIEN »
Lors de la même entrevue, le général Al-Assar revient sur les propos tenus par le président Obama lors de son « adresse aux musulmans », le 9 juin 2009, de travailler à la construction d’un Moyen-Orient sans armes nucléaires.
D’après le télégramme de l’ambassadrice Scobey, le général « nous appelle à ne pas oublier le programme nucléaire israélien. Celui-ci, ajoute-t-il, fournit à l’Iran une justification pour créer le leur ». Colin Kahl ne se laisse pas démonter : « Il n’est pas possible de tracer un strict parallèle : l’Iran est le seul pays du monde à menacer d’effacer de la carte, un autre pays [Israël]. »
Quant au projet antinucléaire énoncé par Obama, ajoute l’envoyé de Washington, « cela prendra dix ou vingt ans », tandis que « la communauté internationale ne peut attendre vingt ans pour trouver le moyen de ralentir les ambitions iraniennes ».
Un an plus tôt, soulignait un mémo rédigé par l’ambassadrice en avril 2009, c’est « Aboul Gheit, le ministre égyptien des affaires étrangères », qui mettait les points sur les « i ». Washington « ne perçoit peut-être pas l’arme nucléaire israélienne comme une menace, mais nous-mêmes, et partout au Moyen-Orient, si ». Si les Etats-Unis « poussaient Israël à renoncer au nucléaire », ajoutait le ministre égyptien, « ils seraient en bien meilleure position d’exiger la fin du programme iranien ».
Non que les Egyptiens cherchent à ménager l’Iran, « un cancer qui s’étend du Golfe jusqu’au Maroc », avait lâché le président égyptien, Hosni Moubarak.