Un environnement hostile, des alliés régionaux peu sûrs, un futur incertain : tel est le Proche-Orient vu par les responsables israéliens, selon les télégrammes diplomatiques américains obtenus par WikiLeaks et révélés par Le Monde.
La menace iranienne contribue pour beaucoup à la mentalité obsidionale qui transparaît dans ces comptes rendus. Lors d’une rencontre avec des parlementaires américains, en avril 2009, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, se lance dans une leçon d’histoire en prenant l’exemple du roi Hussein de Jordanie, « le meilleur allié arabe d’Israël, un homme très attaché à la paix ».
Quand Saddam Hussein a envahi le Koweït, le roi Hussein a soutenu les Irakiens, rappelle le premier ministre israélien, convaincu que si l’Iran accède au nucléaire, « tous les [Etats] arabes se transformeront en Qatar », l’un des rares pays du Golfe qui entretient de bonnes relations avec Téhéran. Mais les craintes israéliennes portent également sur le « camp arabe modéré », allié aux Etats-Unis, sans épargner les pays avec lesquels Israël est pourtant lié par des traités de paix : l’Egypte et la Jordanie.
« Les Israéliens s’inquiètent de l’usure de leurs relations avec l’Egypte et n’ont pas de certitudes sur le leadership égyptien qui succédera [au président Hosni] Moubarak. Israël entretient d’excellentes relations avec le palais royal jordanien et les services de sécurité, mais n’a aucun contact avec la société civile jordanienne, largement palestinienne », détaille un mémo rédigé à la veille de la visite du président américain George Bush en Israël, en mai 2008, et qui fait une bonne place à cette « anxiété » israélienne.
UNE PAIX « TROP MINCE, TROP SUPERFICIELLE »
Un peu plus d’un an plus tard, alors que les relations avec la Turquie se tendent, un autre télégramme présente des Israéliens « encore plus anxieux que de coutume ». « Les relations d’Israël avec ses voisins se détériorent, au moins du point de vue de la rhétorique, dans tous les domaines. »
En juillet 2007, lors d’une rencontre avec un responsable militaire israélien, Amos Gilad, chargé des affaires politiques et qualifié de « particulièrement franc », des diplomates entendent ce diagnostic : le ministre de la défense égyptien, Mohammed Hussein Tantawi, continue d’entraîner et de préparer ses troupes « comme si Israël était le seul ennemi ». Notant des signes jugés troublants dans les rues égyptiennes, comme le fait que les femmes s’habillent d’une manière plus conservatrice que par le passé, Amos Gilad déplore une paix avec Israël « trop mince, trop superficielle ».
Dans une autre rencontre, à la même époque, M. Gilad regrette que le « pilier principal » pour la sécurité d’Israël que constitue la coopération avec la Jordanie se réduise à « une paix avec le régime, pas avec le peuple ». « Le partenariat sécuritaire israélo-jordanien reste robuste alors que les relations politiques sont profondément tourmentées. A un certain point, le partenariat sur la sécurité finira par être affecté par le désserrement des liens politiques », analysent les diplomates américains.
« L’AVANTAGE MILITAIRE QUALITATIF »
Dans ce contexte troublé, la relation israélo-américaine prend toute sa signification, notamment dans le domaine militaire. En août 2007, le chef du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, Meir Dagan, se félicite de l’accord prévoyant une assistance militaire de 30 milliards de dollars sur la période allant de 2008 à 2018. Le nom de code de ce lien est « l’avantage militaire qualitatif » (« Qualitative Military Edge ») qui revient en permanence dans les échanges israélo-américains. Pour Israël, il est hors de question de perdre du terrain à propos de la supériorité militaire qui est une donnée fondamentale depuis la première guerre israélo-arabe de 1948-1949.
Pour les Etats-Unis, cette priorité peut heurter ponctuellement leurs objectifs régionaux ainsi que leurs intérêts commerciaux : vente d’avions F-35SA à l’Arabie saoudite, voire simples transferts d’armes à l’armée libanaise. Au nom de cet avantage militaire revendiqué, les autorités israéliennes ne cessent d’exprimer leurs « réserves » ou leurs « inquiétudes ». Le chef du Mossad, en 2007, exprime le sentiment suivant : les pays du Golfe et l’Arabie saoudite veulent augmenter leurs capacités militaires défensives pour contrer l’Iran, mais ils ne sont peut-être pas capables d’utiliser la quantité de matériel militaire qu’ils veulent acquérir.
DROIT DE REGARD SUR L’ÉQUIPEMENT
L’armée israélienne dans la bande de Gaza, en septembre 2005.AP/TSAFRIR ABAYOV
Dans une autre rencontre avec des responsables de l’armée israélienne, en juillet 2009, les diplomates américains entendent un autre argument : certes, les Israéliens préfèrent des ventes d’armes américaines à des armes chinoises ou russes, mais les clients que sont aujourd’hui les pays arabes modérés alliés aux Etats-Unis peuvent dans le futur se transformer en adversaires.
Les Américains se justifient en expliquant que l’assistance militaire à ces pays arabes est un message pour signaler aux régimes en place qu’ils disposent de solides alliés en Occident. Revenant sur la fourniture d’avions à l’Arabie saoudite quelques semaines plus tard (le contrat sera conclu en 2010), les responsables militaires israéliens s’inquiètent de la perspective de les voir stationnés sur la base de Tabouk, au nord du royaume et donc près des frontières israéliennes. Dans la même réunion, les Israéliens s’expriment également sur la livraison de missiles air-air à la Jordanie.
Dans cette perspective, l’objectif de « l’avantage militaire qualitatif » dépasse de beaucoup la seule question du nucléaire iranien. Il peut y avoir des différences entre les Etats-Unis et Israël sur l’état des lieux qui peut être dressé de la région, concède le chef des affaires politiques de l’armée israélienne, Amos Gilad, lors d’une rencontre en novembre2009 avec un diplomate américain, mais la clé des relations entre les deux pays est d’éviter « les surprises ». L’Etat juif dispose donc d’un quasi-droit de regard sur l’équipement militaire des alliés arabes des Etats-Unis.