Wikileaks et le Maroc : L’immobilier sous influence royale

Wikileaks et le Maroc : L’immobilier sous influence royale

Un câble du consulat général américain de Casablanca daté de décembre 2009 pointe des pratiques en cours au plus haut sommet de l’Etat où des pots-de-vin sont exigés des entreprises engagées dans des projets immobiliers. Les proches parmi les proches du roi Mohamed VI sont cités comme ceux qui ont institué une sorte de « droit de péage » illégal.

Le regard américain sur les pays du Maghreb, quelles que soient la qualité des relations avec les capitales concernées, est factuel. Ainsi, autant que pour l’Algérie avec qui les rapports sont en dents de scie, les vieilles amitiés « stratégiques » avec Tunis et Rabat du temps du monde bipolaire n’empêchent nullement les diplomates américains en poste dans ces capitales de répercuter ce qu’ils voient et entendent sans prendre d’inutiles précautions oratoires. Les questions économiques et sociales sont le terrain propice aux observations cliniques des diplomates impériaux.

De ce point de vue au moins, les fonctionnaires américains font leur travail sans œillères politiques et les trois principaux pays du Maghreb semblent être traités sur le même pied. Il était inévitable que dans la masse des dépêches livrées – au compte-goutte – par Wikileaks une partie ait trait à la corruption et aux passe-droits qui sévissent au Maghreb. Wikileaks a ainsi mis à la disposition du public, un télégramme intitulé « La coercition exercée par le Palais, plaie du secteur immobilier » émanant du Consulat Général des Etats-Unis à Casablanca, capitale économique du Royaume Chérifien. La transmission classée « secret » est composée d’un compte-rendu d’entretien avec un homme d’affaires marocain et d’un commentaire, lapidaire mais éloquent, du diplomate américain en charge et rédacteur du rapport.

Trois décideurs au Maroc

La dépêche, datée du 11 décembre 2009, reprend les termes d’une conversation avec un entrepreneur marocain. Le propos est direct et expose sans fioritures l’instrumentalisation des Institutions et des procédures du Royaume ainsi que le rôle du tout-puissant Omnium Nord Africain (première holding du pays, propriété de la famille royale) pour contraindre les entreprises engagées dans des projets immobiliers à payer des pots-de-vin. Selon l’homme d’affaires amplement cité par la dépêche les « principales décisions en matière d’investissement sont prises en réalité par trois personnes: Fouad Ali Al-Himma, ex-ministre délégué à l’Intérieur et maintenant à la tête du Parti Authenticité et Modernité (PAM), Mohamed Mounir Al Majidi le chef du secrétariat particulier du roi, et le roi lui-même ».

Pour illustrer son propos, cet homme d’affaires relate un voyage à Doha qui lui a été imposé pour « rencontrer de riches investisseurs qataris et les responsables d’Al-Jazira ».

Le message dont il était chargé avait au moins le mérite de la clarté, l’interlocuteur du diplomate américain a « clairement signifié à ses interlocuteurs qataris que les décisions relatives aux investissements importants au Maroc sont en réalité prises par trois individus… ». Et, sans doute pour lever toute équivoque, l’entrepreneur enfonce le clou « Discuter avec quelqu’un d’autre serait une perte de temps »

Un « conte de proportion royale »

L’intertitre du mémorandum : Un conte de proportion royale (A tale of royal proportion) exprime, avec un brin de sarcasme, l’importance de la prédation régalienne dans le secteur immobilier. L’image d’évolution vertueuse du Maroc et de modernisation de ses usages est sérieusement écornée « Au contraire de la croyance populaire, la corruption dans le secteur de l’immobilier sous le règne du roi Mohammed VI n’a pas reculé, elle est de plus en plus présente »

« …Les pratiques de corruption (qui) existaient sous le règne du roi Hassan II… se sont institutionnalisées avec le roi Mohammed VI » affirme carrément l’interlocuteur du Consul général. « Des institutions comme l’Omnium Nord Africaine (ONA), société holding de la famille royale, qui délivre les autorisations des projets de développement les plus importants, force régulièrement les développeurs à accorder des participations silencieuses (beneficial rights) à l’ONA ».

Le commentaire conclusif du Consul Général, qui ne met à aucun moment en doute ni la personnalité ni les propos de son interlocuteur, vaut le détour : « L’expérience (de cet entrepreneur, NDLR) montre une réalité, que la plupart des Marocains n’évoquent qu’en murmurant : l’influence et les intérêts commerciaux du Roi et de certains de ses conseillers dans pratiquement tous les projets immobiliers importants ici. Un ancien ambassadeur américain au Maroc, qui reste étroitement liée au palais, a regretté en privé avec nous ce qu’il a appelé l’épouvantable cupidité des proches du roi Mohammed VI. Ce phénomène nuit gravement à la bonne gouvernance que le gouvernement marocain s’emploie activement à promouvoir. »

Confusion entre domaine privé et l’Etat

La corruption et la confusion entre domaine privé et Institutions d’Etat sont un obstacle majeur à toute dynamique solide de progrès économique et social. La prévalence de ces pathologies n’est certainement pas liée à la qualité des élites entrepreneuriales mais réside plutôt dans les graves déficits démocratiques et l’absence de reddition de comptes d’autorités qui détiennent un pouvoir sans partage.

La gestion de l’image du pays comme son classement en milieu de tableau par Transparency International dans son rapport 2010 – le Maroc se situe à la 85ème place sur 178 pays, deuxième au Maghreb derrière la Tunisie – ne doit pas faire illusion. La modernisation effective et la résorption des retards sont conditionnées au Maroc comme ailleurs par la souveraineté du droit et l’élimination de pratiques d’autant plus préjudiciables qu’elles paraissent systématiques.