Soucieux d’utiliser à des fins politiques le repli, voilà quelques années, de l’ex-GSPC sur son territoire, le Mali agit comme s’il entendait sanctuariser cette organisation (appelée aujourd’hui AQMI) et en faire un moyen de pression contre l’Algérie.
Pays voisins, l’Algérie et le Mali sont censés coopérer pour résoudre les problèmes qui se posent à eux, notamment sur le plan sécuritaire. La région du Sahel est de plus en plus affectée par le phénomène terroriste. Les Américains y sont fortement attentifs et leur projet d’installer la base militaire Africom dans la région (en Algérie de préférence) reste d’actualité, d’autant que la situation est devenue préoccupante à bien des égards.
Les enlèvements d’étrangers, les paiements de rançons pour la libération d’otages et les attentats se doublent de trafic de drogue, de banditisme et d’autres fléaux qui font planer une menace d’aggravation dans une région où la pauvreté et les rebellions constituent déjà un terreau fertile. Face à la menace d’intervention extérieure, les pays du Sahel tentent de conjuguer leurs propres efforts pour affronter les problèmes.
Mais cette volonté se heurte, paradoxalement, à de nouvelles difficultés qu’exprime une tension qui va crescendo, alimentée par des campagnes médiatiques, dans les rapports entre ces pays. Comme si le fait même de vouloir s’entendre pour lutter contre un adversaire commun a suscité plus de problèmes qu’il n’en a résolu. L’exemple des relations avec le Mali est de ce point de vue éloquent.
Sans doute soucieux d’utiliser à des fins politiques le repli, voilà quelques années, de l’ex-GSPC sur son territoire, le Mali agit comme s’il entendait sanctuariser cette organisation (appelée aujourd’hui AQMI) et en faire un moyen de pression contre l’Algérie.
Pour lui, la priorité est de neutraliser la rébellion touarègue qui sévit au Nord après que la médiation algérienne, sur demande de Bamako, ait servi à apaiser la situation critique qui prévalait dans cette région. La prolifération des groupes terroristes apparaît, dans le raisonnement malien, non plus comme un danger mais comme un instrument pour parvenir à ses fins.
Il s’agit donc de leur aménager une autonomie d’action, voire même de les encourager dans un jeu de prises d’otages et de paiement de rançons où le gouvernement exercerait ses bons offices et tirerait les marrons du feu en faisant miroiter les possibilités d’y mettre un terme ou, au contraire, de les amplifier, selon cette logique qu’ils sont avant tout les ennemis de l’Algérie (puisqu’ils y viennent) et non du Mali.
Comment officiellement les Maliens argument-ils leur position ? En accusant leur voisin algérien d’avoir «exporté» le terrorisme chez eux ! Un terrorisme, disent-ils, manipulé par notre pays en vue de leur nuire.
L’Algérie, vue du Mali, est décrite comme un pays gangrené par la mafia politico-militaire, qui finance et se nourrit du terrorisme, et qui s’enrichit avec le trafic de drogue dont le Mali pâtit. Il y a clairement une volonté d’escalade progressive même si le président ATT veut conserver un langage diplomatique qui ne trompe personne.
En fait, l’Algérie est accusée exactement de ce que le Mali tente de réaliser : instrumentaliser la rébellion touarègue et en faire une arme contre leurs dirigeants. Si tel était le cas, on ne comprend pas pourquoi l’Algérie a été sollicitée pour faciliter les négociations entre les deux parties maliennes opposées, pourquoi elle a tout fait pour calmer la situation à un moment où elle se dirigeait vers l’affrontement et pourquoi la médiation algérienne a réussi et a été saluée chaudement par le président ma-lien lui-même.
Des petits calculs
La paix est-elle oui ou non revenue dans le nord de ce pays? En retour, ce sont les revendications des Touaregs qui n’ont pas été satisfaites.
Le gouvernement du Mali n’a pas tenu ses engagements, il s’est servi de ces négociations et du rôle joué par l’Algérie, comme d’une astuce pour réaliser ses desseins qui sont aux antipodes d’une solution pacifique apportée à un problème réel – l’exploitation d’une région riche avec une population défavorisée, principalement pour des raisons qui relèvent du «racisme anti-musulman».
Ce sont là des petits calculs qui peuvent se retourner, à terme, contre leurs auteurs. De fait, il est reproché lourdement à l’Algérie d’avoir accueilli des dirigeants touaregs à Alger, pour une réunion, comme si, en faisant la médiation, l’Algérie n’a contracté ni engagement moral à l’égard des deux parties ni engagement politique. Comme si, en n’honorant pas les accords réalisés grâce à l’Algérie, les dirigeants maliens attendaient de leurs homologues algériens qu’ils oublient et se renient.
Aujourd’hui, les choses en sont là. Mais comment expliquer la surenchère malienne, aussi bien politique que médiatique, une surenchère qui se présente comme la réponse à une autre surenchère, celle-là imaginaire puisque inexistante, algérienne ? Il faut dire que les petits calculs du Mali ont trouvé un écho dans la région et même au-delà. Trois pays au moins espèrent y trouver leurs comptes. Le Maroc, pour qui toute mésentente avec l’Algérie est une occasion pour tenter de l’aggraver.
On voit dans la tonalité des discours développés par certains journaux et certains politiques maliens la référence aux classiques de la monarchie : implication d’Alger dans les attentats terroristes régionaux, création artificielle d’un GSPC manipulé, pour nuire aux voisins, profits tirés par les dirigeants algériens civils et militaires du terrorisme et des activités illégales (drogue, banditisme, rançons) qu’il génère et, dans le sillage, l’obscur Polisario qui se tient en embuscade, tel est, résumé, l’éventail de la propagande déployée. Le Mali veut utiliser le Maroc pour ses desseins et celui-ci veut se servir du Mali pour l’entraîner dans une hostilité irrémédiable avec l’Algérie.
Logiques aventureuses
Les petits calculs de Bamako dérapent, on le voit. Ensuite, la France, dont le rôle jusqu’ici n’apparaît pas clairement. Les deux pays en question (malien et algérien) sont dans sa sphère d’influence, mais la donne terroriste complique le jeu.
D’autant que, sur ce plan, les Etats-Unis ont leur mot à dire. L’une et l’autre de ces puissances ne peuvent que suivre avec attention, à défaut de les susciter pour des raisons qui relèvent des coups fourrés de la mauvaise géopolitique, les évolutions qui caractérisent aujourd’hui les rapports entre l’Algérie et le Mali.
Ce dernier pays croit sans doute pouvoir jouer avec le feu en toute impunité, en privilégiant des rapports conflictuels avec son voisin algérien plutôt que des rapports de coopération que nécessite, outre le bon sens, sa situation intérieure même. Il se trompe. Il ne faut pas confondre sagesse et faiblesse. L’Algérie quant à elle ne doit pas se laisser entraîner dans des logiques aventureuses.
Qu’elles viennent du Mali ou d’ailleurs. Renforcer sa présence militaire dans le Sud, en particulier le long des frontières avec nos voisins du Sahel, doit demeurer sa priorité constante. Ne pas être demandeuse de coopérations bilatérales, surtout lorsqu’elles s’avèrent douteuses, ni répondre aux sollicitations dont la manœuvre est de l’impliquer dans des conflits qui ne la concernent pas.
Dépassionner les relations, poursuivre son combat contre le terrorisme comme elle a toujours su le faire, seule, et laisser aux apprentis sorciers (qu’ils soient ma-liens, libyens ou marocains) le soin de s’embourber eux-mêmes dans leurs propres marécages. Le Mali a-t-il pour vocation de devenir un pays hostile ? Grand bien lui fasse, pourvu seulement qu’il en ait le souffle et les moyens.
Aïssa Khelladi