Des remontrances, réprimandes et mises en demeure verbales, le ministre de la Justice en a fait à profusion, avant-hier à Oran. Que ce soit sur chantier ou en salle de conférences, à l’occasion d’un point de presse, M. Tayeb Belaïz, le ministre de la Justice et garde des Sceaux, s’est montré peu flatteur à l’égard des chefs de projets et des responsables locaux de son secteur.
Presque à tous les acteurs intervenant dans les trois ouvrages qu’il a eu à visiter jeudi matin, et aux entreprises de réalisation en particulier, le premier responsable du département de la Justice a exprimé sa désapprobation quant aux retards «injustifiés» des délais contractuels de livraison des structures dont ils ont eu la charge d’exécution.
Le garde des Sceaux s’est montré intraitable en matière de respect des clauses du contrat, y compris celles relatives aux délais, et de la conformité des travaux. « Il est temps que la grande métropole d’Oran ait la place dans le paysage judiciaire qui est la sienne ! Cela commence par des tribunaux dignes de ce rang », a-t-il lâché à la face des responsables qui l’entouraient, entre deux éclats de colère, au cours de sa visite du site qui abritera le futur siège de la Cour d’Oran. C’était par ce point, situé à l’USTO, sur un ancien espace vert à cheval entre le rond-point des trois cliniques et les HLM de Gambetta, que Tayeb Belaïz avait entamé sa visite de travail et d’inspection à El-Bahia.
D’une superficie totale de 31.300 m², dont 23.000 bâtis, le nouveau Palais de justice d’Oran, siège de la Cour, a été confié, à l’issue de l’appel d’offres national et international lancé par la DLEP d’Oran (le maître d’ouvrage) qui gère ce projet au profit du ministère de la Justice (l’utilisateur), à une entreprise chinoise de BTP, en l’occurrence ZIEC, qui a installé son chantier il y a peu de jours. C’était donc pour la pose de la première pierre, en guise de coup d’envoi officiel des travaux, que le ministre s’était rendu sur place. Accompagné d’au moins cinq cadres centraux de son département, M. Belaïz a eu droit à des informations chiffrées et graphiques récapitulant la fiche technique de ce consistant projet, d’un coût de près de 1,5 milliard de dinars. D’une structure de R+5, plus un niveau sous-sol, le nouveau siège de la Cour d’Oran est un vrai joyau architectural… du moins d’après sa maquette. Encore faut-il que le produit final soit identique à l’ébauche mise au point par les maquettistes chinois.
L’épée de Damoclès brandie par Belaïz
Cette question, du reste légitime, est en droit d’être posée, d’autant plus que le fiasco total de la structure de Cité Djamel -destinée à l’origine à faire office de Cour mais qui a dû être déclassée finalement en tribunal correctionnel- avait accouché d’un scandale qui s’est achevé devant la barre avec la condamnation de nombre de responsables de ce projet défaillant dont le maître d’œuvre.
Et cette mésaventure, Tayeb Belaïz n’a d’ailleurs pas omis de l’évoquer avant-hier, en guise de rappel, une épée de Damoclès brandie sur les têtes des intervenants dans l’actuel projet de Cour.
La nouvelle structure comprend huit salles d’audience, une salle de conférence, 200 bureaux, un salle d’archives de 2.000 m², une salle d’honneur, une bibliothèque, une salle de réunion, une cafétéria, une salle de permanence, une infirmerie, une salle de pièces à conviction, un magasin, une station de lavage, une cellule pour détenus, ainsi que les salles des délibérations, celles des témoins, le hall des pas perdus, le département du parquet général, celui du président de la Cour, le greffe, le secrétariat général, le siège du barreau des avocats avec le bureau du bâtonnat ainsi qu’un parking couvert pour 200 véhicules, entre autres dépendances. Parmi les griefs relevés sur place par le ministre, l’on retiendra notamment «le surnombre des salles d’audience» et «la longueur du délai d’exécution».
En effet, Belaïz a demandé de réduire le nombre des prétoires à six, tout au plus, pour récupérer cet espace pour d’autres fonctions. Et, sur un autre registre, il a donné séance tenante l’ordre d’écourter le délai contractuel de deux mois. En d’autres termes, les Chinois auront 18 mois à compter de jeudi dernier, pour livrer l’ouvrage au lieu du délai initial de 20 mois. Le DG de ZIEC en a pris acte. La délégation ministérielle s’est par la suite rendue au chantier du Centre régional des archives judiciaires.
Ce projet, réalisé par l’entreprise chinoise CSCEC, accuse un énorme retard (taux d’avancement de 80%), à cause notamment d’une longue série d’appels d’offres infructueux concernant le lot des courants faibles (réseaux internes de la téléphonie, des transmissions numériques, de l’alarme et de la signalisation,… etc.).
Un lot qui a fait l’objet d’un réajustement financier: 826 millions de dinars au lieu de 806 millions de dinars. Après avoir relevé certaines failles dans le projet, le ministre a averti: « Il est hors de question que le projet soit livré par à-coups.
Le jour J, je veux un centre achevé et opérationnel à 100% ». Situé à l’USTO, à califourchon entre le nouveau Centre national des techniques spatiales (CNTS) et le nouveau Centre des recherches en anthropologie et sciences sociales et culturelles (CRASC), le futur CRAJ est conçu pour le dépôt et la gestion des fonds d’archives de l’ensemble des Cours de justice de la région ouest, projeté sur une assiette de plus d’un hectare (précisément 10.676 m²).
LES CHINOIS ÉPINGLÉS À BIR EL-DJIR
Le troisième et dernier point visité par le ministre était le nouvel établissement pénitentiaire de Bir El-Djir, d’une capacité d’accueil de 1.000 détenus. D’emblée, Belaïz épinglera les Chinois (l’entreprise MCC) pour la lourdeur des travaux et les « faux-fuyants » et autres « tergiversations » qu’ils avançaient pour justifier le gros retard enregistré. « Vous avez largement dépassé le délai de 12 mois. Vous n’avez pas respecté notre contrat. Maintenant, dites-moi quand vous allez me remettre les clés; je veux une date précise », a vociféré le ministre. Et de renchérir après un temps de silence: « Je vous donne jusqu’à février 2012. Passée cette échéance, vous assumerez vos responsabilités ! »
Par ailleurs, M. Belaïz n’a pas approuvé l’idée du parloir commun, où tous les détenus, quelle qu’en soit la catégorie selon le degré de gravité (prisonnier en détention provisoire, primaire, condamné à une courte peine, condamné à une lourde peine, perpétuité, condamné à mort, détenu ultra dangereux,… etc.) reçoivent de l’autre bout de la grille leurs proches dans le même espace clos. Il a demandé à ce qu’on réalise un parloir indépendant pour chaque bloc de détention.
LA COUR D’ORAN, «LE MAUVAIS ÉLÈVE EN MATIÈRE DE TIG»
Lors d’un point de presse qu’il a animé dans la Résidence d’El-Bahia, à l’issue de son périple à travers les chantiers, le ministre a eu à répondre à une question d’un journaliste, faisant état d’« une utilisation rarissime au niveau de nos tribunaux du dispositif du travail d’intérêt général (TIG), malgré l’entrée en vigueur de ce mode alternatif à la prison depuis deux ans, en ce, en dépit du fait que bon nombre de mis en cause remplissent toutes les conditions légales pour bénéficier de ce régime alternatif ».
Le journaliste voulait, à l’évidence, savoir les raisons de cette sous-exploitation de cette nouvelle disposition de loi. De quoi faire sortir le ministre de ses gonds. «Vous avez absolument raison. C’est notamment le cas de la Cour d’Oran. De toutes les Cours du pays, celle d’Oran est le mauvais élève en matière d’application du TIG. Oran est la lanterne rouge après Saïda», a-t-il répondu.
Il a demandé au procureur général près la Cour d’Oran le nombre de prévenus ayant bénéficié du travail d’intérêt général. «Une vingtaine (seulement)», lui fait-il savoir. La raison: « Dans la plupart des cas, c’est l’accusé lui-même qui refuse le TIG, préférant purger la peine de prison». Et au ministre de riposter sur un ton autant sec qu’ironique: «Préférer faire la prison au lieu de rester libre et travailler dans une structure publique ! Il doit être fou celui qui fait ce choix. Peut-on préférer l’enfer au paradis ?!»
Le ministre ajoutera: « Non, la vraie raison de cette réticence chez les juges, c’est qu’ils ne veulent pas se casser la tête, en faisant un double travail, car prononcer une décision de TIG revient à faire une procédure de plus que lors d’un verdict de prison. Voilà la vraie raison», a lâché le ministre, non sans demander aux deux chefs de Cour d’exhorter leurs magistrats de siège à appliquer cette disposition à chaque fois que les conditions légales s’y prêtaient.
Il est à noter que le ministre était arrivé par route à Oran, en fin d’après-midi, en provenance de Saïda, wilaya où il avait effectué hier une visite de travail après avoir effectué une visite similaire dans la wilaya voisine d’El-Bayadh, indique-t-on de même source.
Le ministre avait tenu une réunion avec les chefs de Cour d’Oran, en l’occurrence son président M. Medjati Ahmed et le procureur général (PG) Saâdallah Bahri, et ce, en présence des autorités locales civiles et militaires, à leur tête le chef de l’exécutif local, le wali d’Oran.
Loudani Mehdi