Nuit du jeudi, quartier de Ruisseau, après la rupture du jeûne. Affluence inhabituelle, les gens arrivent par grappes. C’est à ce niveau que se trouve l’extrémité ouest de la double voie du tramway d’Alger.
La double voie vient de la rue de Tripoli puis contourne le grand bâtiment qui avait abrité Carrefour. Presque achevés les rails sont néanmoins parsemés ça et là de trous qui attendent de recevoir, qui un poteau qui, un revêtement. Le tram échoue au pied du téléphérique qui assure le va-et-vient entre le Palais de la Culture et le quartier du Ruisseau. Il échoue également aux pieds de la bouche du métro baptisée « Les Fusillés ». On est là au cœur névralgique du futur dispositif de transport d’Alger. Les gens affluent, vous l’avez deviné, pour visiter l’une des stations du mythique métro d’Alger dont la mise en service est prévue en novembre prochain. Car la visite est désormais autorisée dans les stations suivantes : Jardin d’Essai, Khelifa-Boukhalfa et Grande-Poste tous les jeudi du 28 juillet au 18 août. La nouvelle s’est propagée via les médias. Le point d’accès à la station des Fusillés et cela vaut pour toutes les autres stations est formé d’un long escalier roulant ainsi que d’un escalier ordinaire qui vous invitent à descendre dans la galerie souterraine. Il y a une file interminable de visiteurs. Ce ne sont pas tous les Algériens qui ont pu visiter Paris et fait des emplettes chez Tatti, on le voit à la mine mi-ébahie, mi-inquiète qu’ils adoptent en se laissant entraîner par l’escalier roulant. Heureusement, n’étant pas contraints par des horaires limités et n’étant pas obligés de rester toute la soirée comme dans les concerts, les Algérois se sont relayés donc dans cette gare, un groupe la quittant et un autre la rejoignant comme l’eurent fait des voyageurs. Certainement des milliers de personnes ont dû faire cette visite.
« Maintenant nous y croyons » lance une vieille dame. Fait qui confirme la popularité phénoménale du métro, l’on est venu en famille, en groupes de jeunes, grands et petits. Le sourire est sur tous les visages. On y lit même une certaine fierté à la vue de la qualité des constructions et des équipements. L’escalier métallique vous amène d’abord à un premier étage. A ce niveau, on traverse un hall avant de prendre des escaliers qui débouchent sur le second étage soit la gare proprement dite. La gare est une immense galerie dont les murs sont tapissés d’un carrelage blanc cassé. On découvre les guichets ainsi que les tourniquets à débloquer avec des tickets. En outre, deux sorties sont aménagées de part et d’autre de la galerie. Une débouche sur le quai desservant la cité Amirouche, Cité Mer et Soleil et Hai el Badr. L’autre dessert la voie allant en direction de la Grande-Poste (Jardin d’essai, Hamma, Aïssat Idir, 1er Mai, Khelifa-Boukhalfa et Grande-Poste). La gare dispose d’une fenêtre vitrée de laquelle on peut observer les quais et les rames. Si les visiteurs pour les raisons qu’on devine n’ont pas eu droit à un voyage en train, ils ont pu par contre voir de visu les rames en mouvement, car il a été procédé à des simulations d’arrivées et de départs de train. Déjà on prend des photos souvenir attestant qu’on a été présent sur les lieux avant même le lancement du métro. Il y a même des caméras de particulier qui filment. De la fenêtre on prend aussi des photos des rames. Le métro d’Alger semble être en passe de préfigurer un espace de développement et de modernité. Beaucoup de gens que nous avons croisés étant encore sous le charme, admettent volontiers que ce qu’ils sont en train de voir est trop beau pour pouvoir durer. La nature humaine est ainsi faite, après qu’on ait cessé de croire à ce projet datant des années 80, et qu’on ait prononcé la sentence que le métro ne verrait jamais le jour, on passe maintenant aux critiques, en anticipant sur « la mauvaise éducation de certains jeunes qui vont tout casser ». Les avis sont bien sûr contradictoires. Le sentiment de joie est décliné selon les humeurs des uns et des autres. Amine, étudiant explique à une mère de famille que « comparativement à certains métros d’Europe, celui-là n’est rien ». « Nous sommes au seuil d’un nouveau monde, celui dit développé. Il faut préparer la population à de tels ouvrages, c’est nouveau pour nous, il faut avoir une culture, il faut assurer la sécurité qui est primordiale puisqu’on est sous terre, et il faut entretenir en assurant l’hygiène » nous dit M. B., architecte. « Ce métro est un bijou, la question est de savoir si on va le préserver » renchérit D. F. Djaâfar soutient de son côté que « 40 ans pour réaliser un métro, c’est un peu trop » et d’asséner « on n’y croit pas encore ». Pour Yacine « il est bien fait, il ressemble aux métros de l’autre côté (de la Méditerranée, NDLR), mais les « Indiens » du football ne vont pas le laisser
tranquille ». « Ne les écoutez pas, on est en présence d’une œuvre qui va éduquer le peuple, il ne se passera rien de tout ça (actes de vandalisme, NDLR), les gens auront honte de toucher à un tel acquis » croit savoir Nabil. On peut vous jurer que la foule a passé une très belle soirée ramadanesque, elle a quitté ce souterrain, très détendue et surtout la tête pleine d’espoir, un sentiment rarement ressenti depuis l’indépendance du pays.
Par : LARBI GRAÏNE