Parc national du ban d’Arguin. À peine quelques heures de Nouakchott, au sud de Nouadhibou, la capitale économique de la Mauritanie, le temps est clément. Frais par rapport à la chaleur de Bassikounou.
Le vent balaie les poussières et le sable fin, prolongement du désert qui va à la rencontre avec l’eau de l’Atlantique, dans une surprenante fusion. Avec une façade en caps, falaises abruptes constamment grattés par les rafales de vent. Au loin des îles, des ilets qui apparaissent et disparaissent au gré des mouvements de la marée. Des caps avec des noms occidentaux, berbères et arabes. Cap d’Arguin, cap Tafarit, cap Tagarit, cap El-Zass…
Le parc s’étale sur 170 km de longueur avec une surface de 1 200 km2, un peu plus grand que la superficie du Liban, avec une moitié maritime et l’autre continentale.
Le conseiller du directeur de parc, Ahmed Ould Hamadi, nous sert de guide. Hormis la fraicheur, le sol et le relief sont une copie du désert, avec des dunes de sable et une rare végétation.

On met le cap sur le village de pêcheurs Imraguens, Iwik en passant par Tin Alloul.
Les habitant des villages sont les seuls à être autorisés à rester dans le parc et à exercer leur métier, la pêche artisanale avec des lanches, des embarcations à voile latine (triangulaire) héritées des pêcheurs canariens. Les Imraguens utilisent pour leur pêche de consommation 140 embarcations toutes identiques.
Le parc a été crée en 1976 avec des lois spécifiques à sa gestion et son fonctionnement à partir des années 2000. Et devient patrimoine mondial de l’Unesco en 1989. La réserve sera par la suite encadrée par un dispositif très strict. Des interdictions tous azimut pour la protéger de toute sorte de nuisance.
Sur une plage à proximité du village, des tentes sont alignées. Mais ce n’est pas un camping. Ce n’est pas un lieu de tourisme, affirme notre guide qui précise que le camping dans le parc est soumis à une autorisation. Les véhicules aussi sont interdits sur le site sauf pour les agents du parc et les autochtones.
Les Imraguens qui participent à la gestion, notamment la surveillance du parc, veillent au respect des règles. Garde-côtes, représentants du PNDA et des autochtones, surveillance radar…
Imraguens, berbères héritiers des pêcheurs canariens
Au large, quelques embarcations sont de retour de pêche. Des jeunes se hâtent de décharger “la cueillette” sous l’œil vigilant d’un contrôleur. Il contrôle chaque “cargaison” pour voir si des espèces protégées sont dans les filets. Auquel cas, il les saisit et sanctionne les pêcheurs concernés.
Outre la circulation dans la partie continentale du parc, plusieurs autres activités et matériels sont interdits. Les embarcations motorisées, la pêche “industrielle” et commerciale, l’introduction des armes et des munitions, la coupe des arbres, le survol du site et la pêche tout court puisqu’elle ne concerne que les Imraguens qui peuvent lever des espèces “comestibles”. Mais la pêche sportive est acceptée sous certaines conditions alors que les seuls moteurs à avoir accès sont ceux des garde-côtes et des scientifiques.
Fin d’après-midi. Marée basse. Deux chercheurs néerlandais sont de retour. Des milliers d’oiseaux viennent pour le “goûter” dans les vasières et les îlets libérés des eaux.
Des flamants roses, des pélicans, des mouettes, des sternes, des spatules blanches… magnifique spectacle que vient perturber un gros poisson en chasse. Les oiseaux reviennent quand même. La prochaine marée est dans peu de temps. Ils doivent constamment se nourrir pour prendre des graisses avant la migration. Plus de 200 espèces d’oiseaux ont été recensées avec une dominance de spatules blanches qui viennent d’Europe en cette période.
D’autres espèces sont devenues sédentaires. D’autres espèces viennent des côtes ouest africaines pour un court séjour avant de continuer leur chemin vers l’Europe. Des oiseaux ont réussi la traversée de l’Atlantique comme le prouve la découverte des chercheurs d’une espèce baguée aux États-unis. Sans escale. Comme ces espèces qui font le voyage jusqu’en Sibérie.
Le pélican en guest star
L’habitat protégé est occupé également par d’autres animaux comme le fennec, la gerbille, la gazelle dorcas qui s’est stabilisée sur une île inaccessible au “bipède prédateur” et le chacal doré qui en fait sa principale proie.
Nombre d’espèces d’oiseaux se sont sédentarisées et se reproduisent dans le parc. Un changement d’habitude et de comportement que l’on ne s’explique pas encore.
On avance cependant le facteur du changement climatique.
Plus en profondeur des falaises, des vasières et herbiers, vit aussi toute une faune avec quelques espèces des plus rares et protégées. Il y a au moins 145 espèces de poissons avec le mulet jaune comme espèce dominante.
Une espèce délicieuse, largement consommée par les villageois et dont une partie est vendue dans sa forme séchée très répandue en Mauritanie.
On y trouve aussi une grande concentration de raies et de requins. Deux espèces interdites à la pêche. Les embarcations sont parfois accompagnées par des dauphins à bosse et souffleurs. Ou des tortues vertes. Pas question de s’y approcher au risque de se voir infliger une amende. Le parc abrite aussi l’une des dernières concentrations des phoques moines au monde. Elle est la deuxième après celle qui existe en Grèce.
La majorité des espèces marines profitent du courant chaud, de la quiétude pour se reproduire. Le parc est ainsi devenu le premier fournisseur des pêcheurs de l’Atlantique.
Des espèces en voie d’extinction
Début de soirée, la marée remonte rapidement laissant juste le temps aux oiseaux de quitter le sol ferme et les vasières pour aller se cacher sur les sommets. La température baisse sensiblement. Il fait trop frais ici alors que le reste du pays sent l’été. Le village s’endort dans la torpeur et le silence de la nuit que perturbe quelques cris d’oiseaux dérangés.
Des points de lumière comme de lointaines torchères indiquent la présence humaine dans cet agencement de maisonnettes en bois ou en tôle entourées de vestiges des activités des habitants allant de vieilles ancres en carcasses de pirogues.
Mais le coucher du soleil offre une vue sublime. Même décor au lever avec un soleil naissant rosâtre foncé sous des nuages bas à l’horizon. Après le topo théorique, fallait-il jouer les explorateurs. Curiosité oblige. On embarque sur deux lanches avec comme seule sécurité des gilets de sauvetage chinois. Les voiles déployées, les deux embarcations sont emportées par l’élan du vent. Des oiseaux tournoient au- dessus des voiles alors que d’autres ont déjà envahi les vasières et les herbiers en quête de nourriture.
Ils ne s’envolent qu’à la vue de mouvements brusques des “pirogues”.
Le conseiller et un guide du PNDA se chargent des explications. Les noms des oiseaux, leur mode de vie, leur nature, leurs familles… au bout, en face du village, le cap Iwik et l’île Tidra forment une sorte d’entonnoir où viennent s’entrechoquer des vents contraires.
Demi-tour toute, en raison du risque. La manœuvre s’avère alors très difficile. Pour s’en sortir de ce tourbillon, la manœuvre doit se passer en slalom. On oublie vite les espèces, la faune et l’on ne voit que ce village au loin qui tarde à se rapprocher. Et il a fallu l’arrivée des gardes-côtes pour ramener tout le monde sur la berge. Ce fut une belle expérience. Sans être écolo ou explorateur. Juste curieux et contents de voir les pélicans de près.
D. B