Raouf, 9 ans, est un garçon éveillé d’une localité de la Wilaya de Blida qui adore aller à l’école. A son retour à la maison, il raconte avec volubilité ce qui s’est passé en classe, ce qu’il a appris. Il a ainsi développé un mode de révision particulier qui en a fait, depuis son entrée à l’école, ce qu’on appelle un bon élève.
Depuis le début de l’année scolaire 2015, sans que ses parents s’en rendent compte, Raouf a cessé de parler de l’école. Il ne révise plus en racontant à sa sœur ce qu’il a appris en classe.
En fait, il a perdu pratiquement son enthousiasme pour l’école où il s’est mis à aller comme pour une corvée obligatoire. C’est une tante attentive qui a remarqué le changement et s’est demandé pourquoi.
Raouf a mis du temps à lui expliquer que la nouvelle instructrice l’a pris en grippe sans raison et qu’elle prend plaisir à l’humilier devant les autres élèves, à se moquer de ses grandes oreilles…
La tante est allée voir l’institutrice qui s’est perdu dans des explications sur le caractère « agité » du garçon… La tante lui a fait remarquer que son instituteur durant les années précédentes louait au contraire le caractère paisible de Raouf.
Souffre-douleur
La discussion est devenue tendue. La famille de Raouf a saisi le directeur de l’école pour que l’instructrice cesse de faire du petit garçon son souffre-douleur ? Sans effet. Une demande de changement de classe a essuyé un refus catégorique.
« Il a fallu recourir à une connaissance à la direction de l’éducation pour obtenir un changement d’école. Depuis, c’est l’ancien Raouf est de retour. Un garçon qui aime son école, son instituteur et qui révise ses cours en les rejouant avec sa sœur » raconte la tante.
Raouf, lui, dit simplement, que son « nouveau maître est bien », comme si l’enthousiasme initial pour l’école s’est ralenti. Sa tante, elle, a confiance. « Il ira mieux », dit-elle.
Tous les enfants n’ont pas la chance d’avoir une tante aussi observatrice qu’entreprenante que celle de Raouf ? Combien sont-ils des enfants à être, sans raison aucune, les souffre-douleurs dans les classes ? Combien sont-ils à subir des violences physiques ?
Des cas isolés ?
Comme toujours, on n’a pas une idée chiffrée de ces comportements agressifs des enseignants à l’école mais on sait, par les récits familiaux et aussi parfois par les journaux, que le phénomène existe.
Et il n’a rien de marginal même si la ministre de l’éducation, Nouria Benghebrit, a tenu à le minimiser devant le Conseil de la Nation où elle était interrogée sur les châtiments corporels pratiqués par les enseignants.
Mme Nouria Benghebrit avait évoqué des attitudes « irresponsables » de la part de certains enseignants « dont le nombre est minime », des « cas isolés ».
En Algérie, la loi d’orientation sur l’éducation nationale interdit le châtiment corporel et toutes formes de violence ou d’atteinte morale. Dans la pratique – et souvent on invoque le besoin d’imposer la discipline dans des classes surchargées – des enseignants y ont recours. La violence morale, indétectable, est bien pratiquée.
Le président de l’Association nationale des parents d’élèves, Khaled Ahmed, soulignait, en mars dernier dans une déclaration à El Watan qu’au » moins 10 cas de « châtiment » sont dénoncés quotidiennement par des parents.
Un chiffre qui, a-t-il précisé, est « loin de refléter la réalité car de nombreux élèves subissent des violences à l’insu de leurs parents et des responsables concernés. Certains parents préfèrent passer l’éponge, au lieu d’exposer leurs enfants à d’interminables représailles ».
Le ministère de l’éducation semble en tout cas décidé à s’occuper de manière plus serrée des châtiments corporels infligés aux élèves. Le directeur de l’enseignement secondaire a déclaré au journal El Khabar que le ministère de l’éducation entend maîtriser le phénomène de la violence en milieu scolaire au cours des prochaines années.
Des mesures plus rigoureuses vont être prises contre les auteurs de violence qu’ils soient élèves ou enseignants. Selon lui, ceux qui pratiquent la violence verbale ou physique n’ont, le plus souvent, pas conscience de la gravité de leurs comportements.
La commission mise en place par la ministre de l’éducation sur la lutte contre les violences doit proposer un certain nombre de mesures : conseil de discipline pour les enseignants qui ont recours aux châtiments corporels, la révocation pure et simple en cas de récidive. Le recours à la justice dans les cas où ces châtiments entraînent des blessures chez les élèves.
En fait, il s’agit d’un rappel de la loi et des règlements qui semblent bien ignorés… »Ce qui est fondamental est que la loi est claire: la violence est interdite » a déclaré Mme Benghebrit à la radio nationale. Un rappel qui n’est pas inutile pour certains enseignants à la main dure et au verbe blessant.