La femme, du fait de son statut de mineure à vie, continue à être le souffre-douleur d’une société machiste où l’homme se croit supérieur à la femme.
Les violences faites aux femmes prennent une ampleur inquiétante. Il n’est un secret pour personne qu’en Algérie, en dépit de toutes les campagnes de sensibilisation, la femme continue à subir les foudres du milieu où elle évolue. Aujourd’hui, apparaît l’impérieuse nécessité de stopper ce mal et de prévenir la récidive de tels actes. Les femmes ont peur.
Elles ont peur que le projet de loi qui criminalise les violences faites aux femmes soit bloqué. Elles ont peur que l’adoption d’un cadre législatif et réglementaire de lutte contre les violences ne soit pas concrétisée. «La violence constitue un dangereux fléau qu’il convient de combattre sans répit avec le renforcement des textes législatifs qui abondent dans le sens de la protection de la femme», a estimé Yasmina Chouaki, présidente d’une association de protection de la femme. «Les pouvoirs publics doivent encore durcir les lois pour protéger les femmes et les enfants contre toutes les violences, physiques ou psychologiques». Après que le projet de loi sur les violences faites aux femmes, adopté par l’Assemblée populaire nationale en mars 2015, n’ait pas été adopté par le Conseil de la nation, une polémique a explosé. Contactés par nos soins, plusieurs sénateurs sous le couvert de l’anonymat ont déclaré à L’Expression, que ce projet de loi n’a pas été bloqué. Pour eux, il sera programmé, fort probablement au mois de septembre. «C’est une question de programmation et non de blocage. Cet avant-projet se trouve actuellement au bureau du président du Conseil de la nation. Il pourra être programmé pour la prochaine session», a indiqué l’un des sénateurs contactés.
Vulnérabilité d’une très grande partie de la société
Les autres sénateurs se sont contentés des mêmes déclarations que leur collègue. Liès Saâdi député FLN de la wilaya d’Alger depuis les dernières législatives, a estimé de son côté que ce projet de loi adopté par l’Assemblée populaire nationale en mars dernier ne va pas éradiquer la violence faite au femme. «Il nous faut un projet de société, le problème qui se pose aujourd’hui, n’est pas un problème de législation car les lois existent déjà.» «La violence n’est pas seulement en milieu familial, mais elle existe partout. C’est une question de culture et d’éducation.»
Les violences conjugales qui sont généralement le fait du conjoint sont dans la plupart des cas vécues par la femme dans les milieux défavorisés, où naissent et se développent les comportements violents liés à la promiscuité, le chômage et la mal-vie, source d’incivilités et de délinquance. La femme, du fait de son statut de mineur continue à être le souffre-douleur d’une société machiste, où l’homme se croit supérieur à la femme et il le lui fait ressentir à travers la violence verbale et physique. «Le silence que s’imposent les femmes battues est en partie lié à l’absence d’une batterie de lois qui les mettrait à l’abri de ces violences», constate un cadre des services de sécurité en soulignant que le silence de la loi face à certains comportements répréhensibles de l’homme participe au développement de la violence et il est temps de mettre le holà à ces comportements d’un autre âge qui confinent ces violences à la sphère familiale privée. Le Conseil de la nation doit absolument emboîter le pas à l’APN et voter rapidement la loi criminalisant la violence contre les femmes et renforcer la répression des violences qui leur sont faites. «Les statistiques des services de sécurité ne reflètent pas la réalité du vécu de la femme, tant cette dernière hésite toujours à porter plainte pour de multiples raisons…pressions de la famille, souci de cohésion conjugale, incertitude liées aux conséquences judiciaires et familiales, impunité réelle ou fictive dont se prévalent les hommes, etc», regrette le même observateur. Il a ajouté dans ce sens, «il me semble utile que pour une meilleure prise en charge des femmes battues au stade de l’enquête policière, que les services de police mettent en place une formation spécifique pour des éléments qui seront spécialement chargés du contentieux des violences faites aux femmes, qui soient à même de leur témoigner l’écoute nécessaire et d’évaluer la gravité de la situation et le type d’intervention».
La loi et la violence..
«La violence faite aux femmes est déjà prise en charge par le Code pénal, puisque les dispositions des articles 264, 266 et 442 du Code pénal punissent clairement toute personne qui cause des blessures volontaires à autrui», a expliqué un magistrat. Pour lui, les dispositions existantes assurent une protection juridique aux femmes. «Beaucoup de poursuites ont été engagées sur la base de telle disposition contre les personnes qui ont agressé les femmes y compris leur époux», précise-t-il en notant que ce projet de loi concernant la protection de la femme contre toute forme de violence ne contient aucune nouveauté. «Ce projet, n’a fait que provoquer une polémique tentatrice à la cohésion du tissu social.» Maître Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (Cncppdh) a réagi de son côté en estimant que c’est intolérable de ne pas adopter ce projet de loi et de le bloquer. «C’est extrêmement important de combattre toutes les formes de violences avec des articles de loi. Cette loi est une urgence.» Contacté par nos soins, Mme Bouatta Cherifa, professeur de psychologie clinique à l’université de Béjaïa, membre de l’Observatoire contre les violences faites aux femmes (Oviff) a mis l’accent sur les conséquences effroyables de la violence faite aux femmes. «Conséquences psychologiques: les symptômes dont souffre la majorité des femmes sont les suivants: insomnies, troubles cognitifs (oublis fréquents), cauchemars, phobie sociale, angoisse, dépression: pleurs permanents, absence de désir, perte d’appétit (anorexie), idées suicidaires, tentative de suicide.» La professeure, a noté dans son observation qu’il y a là des symptômes qui peuvent être intégrés dans la catégorie Ptsd et qui relèvent donc des traumatismes psychiques. Ces symptômes (ou troubles) sont l’expression d’une grande invalidité. Leur massivité et leur durée restreignent fortement la vie psychique des femmes et par conséquent leur vie relationnelle, leurs investissements narcissiques et objectaux et empêchent l’accès au plaisir d’être avec soi et avec l’Autre. Dans ce même contexte, il faut noter que les dégâts peuvent durer toute une vie. Pour les enfants qui sont témoins de violence, ils sont plus susceptibles de vivre des relations violentes une fois arrivés à l’âge adulte. En effet, les parents qui maltraitent leurs enfants ont souvent eu eux-mêmes une enfance pénible. «Le fait d’être témoin de violence familiale est aussi mauvais que de l’avoir vécue directement.»
Témoignages et statistiques…
La violence conjugale touche des femmes de tous les milieux, des plus aisées aux plus modestes et de toutes les catégories, jeunes comme âgées. En l’absence d’une dénonciation, les chiffres restent incertains en sous-estimant le nombre de victimes réelles. En 2014, les chiffres dévoilés par la direction de la police judiciaire sur les violences ont fait froid dans le dos. Le constat est effrayant. En effet, le bilan a indiqué que plus de 7000 femmes ont été victimes de violences et de pratiques sauvages durant les neuf premiers mois de 2014. «Les services de sécurité ont recensé, lors des neuf premiers mois de 2014, des cas de violences contre 6985 femmes», avait souligné lors d’une conférence de presse Mme Kheira Messaoudène, commissaire divisionnaire chargée du Bureau national de la protection de l’enfance et de la délinquance juvénile à la direction de la police judiciaire. Sur le total des femmes violentées, l’officier supérieur a indiqué que «plus de 5160 femmes ont subi des violences corporelles soit plus de 73%, 1508 ont souffert de maltraitance, 205 ont été victimes d’agressions sexuelles. Les femmes mariées sont les plus touchées par ces violences avec 3 847». Près de 100 femmes âgées de plus de 75 ans ont été victimes de violences, 27 femmes ont été victimes d’homicides volontaires et plus de 2000 femmes ont été agressées sexuellement durant les neuf premiers mois de l’année précédente. Face à une loi qui ne protége pas et une société qui ne dénonce pas, les fillettes, les femmes enceintes et les vieilles femmes de plus de 70 ans sont violentées, insultées et malmenées par des inconnus dans la rue comme par des proches au domicile. «Les violences faites aux femmes reçues aux urgences sont de type varié. On enregistre la violence verbale, qui conduit généralement les femmes aux structures de santé pour un état psychique critique et qui conduit à des crises d’anxiété ou ce qu’on appelle communément l’hystérie», a souligné docteur Amin Mazit, radiologue au Centre hospitalo-universitaire de Bab El Oued. «La violence physique est un motif de consultation journalière également, commise par le frère ou l’époux dans la majorité des cas, sinon une tierce personne suite à une agression de rue pour motif de vol», note-t-il en précisant que la gravité est variable, mais la plupart subissent des blessures par objet contondant, plus rarement tranchant, ce sont les femmes qui ne cèdent pas. «Nous médecins, nous devons dénoncer les violences faites aux mineurs, et les cas particuliers des sujets fragiles (handicapés par exemple). Les patients reçus ne souhaitent pas généralement porter plainte, surtout dans un contexte conjugal», conclut le même médecin. Enfin, aucun combat n’est facile et l’obscurité ne peut être éternelle…