Un livre noir publié hier par le réseau Wassila pour dire halte à l’impunité vient d’être édité afin d’éradiquer les violences conjugales en Algérie.
En trois ans, 1855 femmes violentées ont contacté les centres d’écoute du réseau Wassila. Parmi elles 556, soit 30%, sont victimes de violences conjugales, dont 20% ont un niveau universitaire. C’est la réalité tragique mise en évidence par le livre noir sur les violences conjugales en Algérie.
Pour marquer son dixième anniversaire et à la veille du 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violence à l’égard des femmes, le réseau Wassila a rendu public, hier, son livre noir sur les violences conjugales en Algérie, réalisé à «la mémoire (…) de chacune des femmes que les violences conjugales ont fini par tuer. En souvenir de toutes ces victimes de crimes impunis, dont la tragédie secrète a été ensevelie dans l’anonymat et l’indifférence, avec la complicité de tous.
En marque de solidarité avec les innombrables femmes interdites de parole et qui continuent à vivre l’intolérable. En hommage à celles qui ont le courage de briser le silence, de réagir’ (…)». Son but : dire «halte à l’impunité» et «plaidoyer pour la criminalisation de la violence conjugale mais aussi la mise en place de dispositifs pour la protection des femmes victimes».
Coordonné par Dalila Imarene-Djerbal, en collaboration avec Louisa Aït Hamou, Dr Malika Amrouche, Leïla Benabderrahmane, Pr Fadhila Chitour, Nadia Hamza, Fatma-Zohra Mokrane et Dr Rekia Nacer, le livre retrace les témoignages de nombreuses victimes de violence, «afin de rendre visible et palpable cette douloureuse réalité qu’est la violence conjugale» et de faire entendre «la voix étouffée de toutes les victimes qui restent, en secret, enfermées dans la honte, l’isolement, le silence, la peur».
Qu’ils soient directs ou indirects, ces récits révèlent la gravité des violences, confortée d’ailleurs par l’analyse du bilan des activités des centres de prises en charge du réseau Wassila et de ses centres d’écoute, durant la période comprise entre 2006 et août 2009. Les chiffres même alarmants restent en deçà de la réalité, puisqu’il ne s’agit que de la violence déclarée par celles qui ont osé parler.
Ainsi, le bilan des centres d’appel, établi entre février 2007 et août 2009, fait état de 1855 victimes à avoir appelé au moins une fois dont 559 sont mariées, soit 30% des appelantes. Parmi ces dernières, 336 (60%) sont victimes de violences conjugales, 32% des victimes ont un niveau secondaire, 33, soit 20%, sont universitaires, 30, soit 18%, ont un niveau moyen et 18, soit 18%, ne dépassent pas le niveau du cycle primaire.
L’écoute montre que les femmes subissent différentes formes de violence à la fois, physique, sexuelle, économique et psychologique, c’est-à-dire qu’en même temps qu’elles sont battues, elles sont dévalorisées, insultées, diminuées, séquestrées, expulsées du domicile. Sur 205 femmes victimes de violences conjugales, 136 ont été suivies sur une période plus ou moins longue.
Le système de permanence hebdomadaire, instauré entre 2006 et 2009 dans les centres d’accueil, a permis d’enregistrer 350 victimes, dont 73 souffrent de violences conjugales, avec un pic de 27 cas en 2007, et 21 en 2008. Agées entre 25 et 65 ans, avec une prépondérance pour la catégorie des 35-45, les victimes ont dans leur majorité une moyenne de 2 à 4 enfants, et quatre seulement n’en ont pas.
Le plus grand nombre de ces femmes ne travaillent pas en dépit du diplôme dont disposent certaines. Trente-cinq d’entre elles sont mariées, seize divorcées et quatre célibataires. Pour la plupart, la raison principale du divorce, de la demande de divorce ou de la séparation, est la violence répétée de l’époux.
Les femmes plus sujettes aux violences physiques
Les agressions les plus utilisées par le mari sont l’abandon du domicile conjugal avec 18 cas, l’abandon de famille avec 11 cas, la répudiation un cas et le remariage hors consentement avec 5 cas.
Néanmoins, les violences les plus récurrentes sont celles physiques : 65% des femmes sont victimes de violences diverses par «armes naturelles» – telles que les gifles, coups de poing, coups de pied – ou à l’aide d’objets : table de nuit, ventilateur, marteau, bouteille de verre, barre de fer, balai, eau chaude, cigarette allumée.
Ce type de violence entraîne dans la majorité des cas des ecchymoses en diverses parties du corps, plusieurs fractures au niveau des membres. Six femmes ont subi des blessures par arme (couteau). Quatre ont été menacées avec des armes (couteau, arme à feu) et trois ont été menacées de mort. Mais les coups et blessures volontaires viennent en premier avec 38 cas sur 73. Parmi elles, 3 victimes ont été battues à coups de hache, une à coups de couteau et une (enceinte) a reçu des coups au ventre.
Deux victimes ont eu une fracture au bras et à l’épaule, une autre a été torturée avec des décharges électriques ou des brûlures avec des mégots. Au niveau des centres d’écoute, sur les 336 femmes qui ont appelé entre février 2007 et août 2009, 205 ont été victimes de coups et blessures volontaires (dont six étaient enceintes), trois d’avortement forcé, 37 d’insultes et d’humiliation, 15 de violences sexuelles, six de menaces avec une arme, trois de menaces de mort, quatre ont fait état d’inceste sur enfants, 15 ont été victimes d’ extorsion de salaire, biens, bijoux, voiture, héritage, 29 ont été abandonnées, 30 menacées d’une mise à la rue, de répudiation ou de divorce, cinq dont l’époux s’est remarié, huit ont été menacées de remariage, 13 ont évoqué les relations extraconjugales, 18 de privation de ressources, 13 victimes de séquestration et de réclusion, 12 d’interdiction de travailler et trois de refus de soins ou de médicaments.
Les violences psychologiques et économiques, moins évoquées
Les violences psychologiques sont citées par 37 femmes sur 336 prises en charge dans les centres. Il s’agit de victimes âgées ayant subi des violences physiques plus tôt dans leur vie conjugale, mais qui continuent à être insultées ou menacées de répudiation. Humiliées, déconsidérées, 13 cas des femmes ont déclaré être enfermées, ou est interdit pour elles d’aller travailler à la condition de remettre leur salaire. D’autres interdits, comme celui de travailler, ont été soulevés par 12 femmes.
Les violences économiques sont dénoncées par 15 femmes et se définissent par l’extorsion du salaire, parfois par ponction directe sur le compte postal, l’époux signant et encaissant les chèques avec la complicité d’agents administratifs, vol de la pension ou de l’aide des parents, des revenus du travail à domicile, de biens divers comme voiture, de l’héritage, des bijoux.
Dix-huit femmes sont laissées sans entretien ni nourriture, elles et leurs enfants, 29 femmes ont été abandonnées, 30 ont été expulsées de la maison conjugale, 11 ont été menacées d’être mises dehors ou répudiées, 13 femmes ont été victimes d’adultère tandis que cinq femmes ont vu le remariage de l’époux.
Sur 205 femmes victimes de violences conjugales, 136 ont été suivies sur une période plus ou moins longue. Pour mieux rehausser l’enquête, des témoignages poignants font de ce livre noir un réel «un cri d’alarme». «La plupart des récits contiennent une telle douleur que la violence conjugale mérite de sortir définitivement de la banalisation et du laxisme.
Il est inacceptable aussi qu’elle demeure encore un sujet tabou alors qu’elle casse, rend malade, tue parfois et détruit un nombre de femmes qui restera toujours impossible à évaluer parce qu’en réalité il sera, quoi qu’on fasse, toujours bien supérieur à ce que les meilleures statistiques quantifieront.»
A ce titre, il est important qu’elle soit qualifiée de «violence spécifique et non pas noyée dans le chapitre des violences en général, des coups et blessures volontaires (CBV) ou accidentels (…) Elle permettrait d’introduire un facteur aggravant lié à l’identification de l’agresseur : l’époux …»
Salima Tlemçani