Violences à l’égard des femmes : Un phénomène qui évolue dangereusement

Violences à l’égard des femmes : Un phénomène qui évolue dangereusement

Déclarée Journée mondiale de lutte contre les violences à l’égard des femmes, le 25 novembre de chaque année doit servir de halte pour mettre les projecteurs sur la situation en Algérie.

Même si elles restent loin de refléter la réalité du terrain, les statistiques relatives à ces violences montrent que le fléau évolue dangereusement en dépit des stratégies officielles visant à le prendre en charge. Durant les six premiers mois de l’année en cours, 4800 femmes ont subi des violences sous toutes leurs formes, soit le même nombre que l’année dernière. En 2008, les services de police ont enregistré 9517 plaintes pour violence contre les femmes, alors que durant les seuls six premiers mois de cette année, le nombre a atteint 4409 cas.

Ce qui est énorme dans la mesure où ce chiffre ne représente que les affaires traitées par la Sûreté nationale, c’est-à-dire en zone urbaine. Les mêmes statistiques reflètent une hausse considérable des plaintes, puisque durant les six premiers mois de l’année 2008, elles étaient au nombre de 2675, pour passer à 4409 durant la même période en 2009. Ces agressions sont aggravées par d’autres formes de violences beaucoup plus pernicieuses mais qui dénotent de la situation de précarité dans laquelle se trouve la moitié de la société algérienne, tiraillée entre ceux qui veulent aller vers la modernité et l’égalité et ceux qui veulent nous renvoyer à l’ère où les femmes étaient enterrées vivantes.

Si beaucoup de femmes ont fait des progrès dans l’éducation et dans de nombreux domaines professionnels jusque-là consacrés aux hommes, d’autres, malheureusement plus nombreuses, sont en première ligne des victimes de l’exclusion et de la pauvreté. Elles constituent la catégorie la plus importante qui subit les affres du chômage et vit une vraie discrimination en matière d’accès au travail, mais également aux postes de responsabilité et de décision, y compris au sein de la cellule familiale.

Même amélioré, le code de la famille reste encore discriminatoire à l’égard des femmes, puisque certaines de ses dispositions les lèsent, notamment en matière de succession et des conséquences matérielles du divorce.

Les plus vulnérables comme les femmes divorcées ou abandonnées, les mères célibataires et les femmes qui vivent dans la rue, ne bénéficient pas de prise en charge institutionnelle et restent totalement exclues des politiques de soutien de l’état. La violence contre les femmes s’exerce également dans le milieu professionnel et reste souvent impunie et non reconnue au sein de la société, alors que dans la sphère publique, le harcèlement et les abus sexuels au travail sont devenus une préoccupation majeure pour le mouvement associatif féminin et les syndicats, d’autant que les victimes sont souvent confrontées à d’immenses pressions sociales qui les empêchent de signaler ces violences. Plus grave, même du côté de l’Etat, les institutions n’ont pas mis en place des structures à même de soutenir les victimes qui acceptent de se plaindre.

Les lourdes lacunes de la législation pénale ainsi que l’absence de structures de prise en charge pour les victimes de violences, l’accueil partial au niveau des commissariats et des brigades de Gendarmerie nationale et les condamnations symboliques des auteurs de violences n’ont fait qu’aggraver la situation et augmenter de ce fait le nombre des victimes.

Ce constat a été dressé d’ailleurs par la rapporteuse spéciale de l’ONU contre les violences à l’égard des femmes, Yatin Erturck, à l’issue de sa mission en Algérie, au mois de juillet 2007, poussant l’Algérie – qui a ratifié la convention sur l’élimination des violences contre les femmes le 22 janvier 1996 mais avec des réserves – à répondre aux nombreuses recommandations de ce rapport au mois de mai 2009. Dans ce document d’une centaine de pages, le gouvernement a avancé des statistiques sur la prise en charge des victimes de violences sur 4 années et fait état des efforts consentis pour l’application de la Cedaw.

Ainsi, selon le document, de 2004 à 2008, 755 femmes ont été admises au centre d’accueil d’Oran, dont 142 ont bénéficié d’une réinsertion et 302 ont été placées dans leurs familles. Parmi ces victimes, 151 souffraient de violences psychologiques et 255 de violences corporelles. A Constantine, 500 femmes ont été prises en charge durant la période allant de 2005 à 2008. Le Samu social a quant à lui assisté 6747 femmes sur un total de 27 662 SDF, entre 2004 et le premier semestre de 2008.

Selon le rapport du gouvernement, le niveau de ces violences reste moyen comparativement à celui enregistré dans de nombreux pays, affirmant que dans les couples mariés, ce taux est de 2,5% pour les violences psychologiques et 9,4% physiques, alors qu’au sein de la famille, la violence physique représente 5,2% des cas et les agressions sexuelles 0,6%.

Ce n’est là que l’arbre qui cache la forêt puisque depuis l’enquête de 2006, qui reste loin de refléter la réalité, les études sur le phénomène de la violence sont inexistantes. Les pouvoirs publics sont ainsi interpellés et doivent impérativement revoir leur politique d’élimination de toute discrimination et violence à l’égard des femmes afin qu’elle sorte du cadre de la campagne ponctuelle à l’occasion des cérémonies du 8 mars ou du 25 novembre.

Par Salima Tlemçani