Violence à l’égard des femmes ,La « loi » de l’omerta

Violence à l’égard des femmes ,La « loi » de l’omerta

La violence verbale, physique, morale, les insultes et autres châtiments que font subir les hommes aux femmes à la maison, dans la rue et autres lieux publics sont des comportements tellement banalisés dans la société que rares sont celles qui osent se défendre et, surtout, porter plainte.

La majorité d’entre elles affrontent, bon gré mal gré et en silence, les dérapages de la gent masculine de peur des qu’en dira-t-on. Elles sont victimes de proches parents et de personnes étrangères. Etudiantes, travailleuses, femmes au foyer aucune n’y échappe. Les rapports des parties concernées confirment ce phénomène.

Elles sont nombreuses les jeunes femmes qui se font battre par le frère, le cousin ou le fiancé. Il faut croire que les femmes violentées ne sont pas seulement les femmes mariées ou celles vivant en couple. Dans la société algérienne, encore conservatrice, c’est une sorte d’atavisme que de « corriger les filles ». Le code des traditions familiales, présent toujours dans notre société, veut que bien souvent la mère éduque sa fille dans le but d’être une bonne fille, sœur et épouse en lui inculquant « le respect, la considération envers les personnes du sexe masculin ». Dans l’absolu, le respect que l’on doit aux parents est une prescription divine. Celui dû au père, au frère et à la gent masculine de la famille, (oncle, cousin…) s’inscrit dans le cadre du code des traditions. Cette initiation passe dès le jeune âge, par des phrases comme celles-ci dans certaines régions de Kabylie : « Ton frère est ton berger », ce qui se comprend qu’il est « ton gardien ». Et le gardien de son honneur. Au nom du père, du frère, des oncles et cousins, la fille, depuis des siècles, se voit contrainte d’étouffer sa voix. Dalila, cadre universitaire, a raconté, après une hésitation, comment un jour devant la porte du lycée, elle a été menacée par son cousin parce qu’elle bavardait avec un lycéen de sa classe. Autre exemple donné par Saadia, élève au lycée Omar-Racim qui était littéralement « épiée » par ce grand frère : « Il m’attendait la montre au poignet deux fois par jour, chronométrant le temps passé entre le lycée et la maison. Chez lui, la main était leste. Maintenant, quand j’y pense, je me sens humiliée… » Le chronométrage du parcours maison – collège est une pratique usuelle jusqu’à présent. Aussi, c’est avec fierté que cette dame parle de son garçon, le deuxième homme de la maison : « C’est lui qui ordonne un temps de parcours à ma fille. Si jamais elle vient à traîner avec des copines sur le trajet, il l’a houspille ». Cette soumission « quasi héréditaire » on la retrouvera, évolution sociale oblige, avec le fiancé ou le mari. L’autre face de la dépendance féminine. Nombreuses sont les jeunes filles qui subissent des violences en silence, par amour ou « par peur de rester vieille fille », selon les termes d’une étudiante en archéologie. Le problème du célibat en Algérie est devenu crucial, à tel point que nous assistons à des unions presque singulières. Comme cette informaticienne ayant dépassé les 35 ans s’est mariée avec un gardien de parking illettré et avec qui elle a une petite fille. Moi-même, je suis démoralisée d’avoir vieilli sous le toit familial ». Un aveu qui en dit long sur l’état d’esprit des femmes n’ayant pas trouvé chaussure à leur pied. Badia L., membre d’une brigade de protection de la femme et de l’enfant atteste : « La réalité n’est plus à feindre dans notre société. Les filles taisent ce problème à leur famille, soit parce qu’elles fréquentent un gars en cachette, soit par amour. Il arrive souvent, lorsque c’est un cas grave, nous convoquons les proches des jeunes filles battues. Quand il s’agit du futur époux, les parents ne blâment pas et ne portent pas plainte. Le prétexte avancé est qu’ils sont mariés ‘’officiellement’’. Ce genre d’incidents se répète souvent et, partout, à travers le pays. Dans toutes les couches de la société » dit-elle. A ce sujet, un jeune couple, elle, en tenue de fille sage, lui, habillé de manière élégante, déambulait dans une rue commerçante du centre-ville. Quand, soudain, le jeune homme, du revers de la main gifle sa compagne. Un cri. Comme un gémissement et des larmes silencieuses se mettent à couler sur son visage. Lui, gêné tout de même par les regards réprobateurs des passants, dit à voix basse, pour se justifier : « C’est comme ça que tu me parles ! ». « Se faire battre en public alors qu’elles ne sont pas encore unies ni ‘’devant Dieu, ni devant les hommes’’ et accepter ce dérapage de comportement c’est se sacrifier sur l’autel du mariage. Si mariage il y a ! », observe une femme cadre, célibataire endurcie. Les exemples sont légion. Fatiha, à peine sortie des bancs de l’université, raconte un incident qui l’a marquée : « Au niveau de la Fac centrale, au département Traduction, j’ai assisté à une scène qui m’a choquée. Un étudiant, bon chic, bon genre, tout d’un garçon bien éduqué, a battu à coups de poing sa fiancée inscrite à la même filière que lui. Aucune personne présente ne lui a porté secours. J’avoue que l’on avait tous peur de ce déchaînement de colère, presque hystérique. Du fond du couloir où elle était coincée, ses hurlements nous parvenaient. Une fois son forfait terminé, l’étudiant ajusta ses lunettes, prit son cartable et sortit comme si de rien n’était. La seule chose qu’il lui reprochait, c’est qu’une fois les copies remises au prof, elle sortit de l’amphi … sans lui ». Nabila ne va pas avec le dos de la cuillère : « Il faut appeler un chat, un chat, il existe des filles masochistes. Certaines sont tellement amoureuses qu’elles acceptent les dérives caractérielles de leur copain… ». Nadia Khellassi, psychologue, voit en ce phénomène, « un exemple de domination physique et de soumission le plus souvent lorsque la jeune fille est la benjamine de la fratrie. Trop gâtée, dépendante, elle se laissera dominer facilement, de surcroît si elle éprouve un fort sentiment amoureux pour son copain. Pour celles qui refusent l’autorité du fiancé ou du partenaire, elles sont généralement les aînées de la maison. En psychologie, nous départageons les personnes entre ‘’monkada et kaïda’’. Autrement dit, les soumises et celles ayant une forte personnalité. S’agissant de « monkadate », ce sont généralement les dernières nées ayant été toujours sous tutelle parentale. Les « kaîdate » au comportement rebelle et indomptable, habituellement, sont les aînées des enfants.

La violence, un signe de jalousie ? Zakia, coiffeuse dit avec dérision : « La violence dans le cadre d’une relation amoureuse est souvent perçue par les jeunes filles comme un signe d’amour. Incroyable mais vrai ! » Le psychologue, M. Diffalah, interrogé, met la violence des jeunes gens envers leur fiancée ou compagne sur le dos de « la jalousie » : « On peut comprendre que le jeune homme soit tellement attaché à elle, qu’il éprouve un sentiment possessif et que c’est de cette manière qu’il montre son sentiment… » Pour revenir à Badia. L. « Pas une fois, les parents convoqués, n’ont souhaité porter plainte contre le coupable et ce, afin de ne pas entacher la réputation de leur fille. Car, souvent, ils ne sont pas au courant des amourettes de cette dernière alors que dans la plupart des cas, l’agression se fait sur la voie publique ou dans la voiture interceptée par nos services en patrouille. »

Leila Nekachtali