5 octobre : Vingt-deux ans après Entre blessures et interrogations

5 octobre : Vingt-deux ans après Entre blessures et interrogations
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Le 5 octobre 1988, les Algériens sont sortis dans la rue à Alger, Constantine, Tizi Ouzou et autres villes d’Algérie pour dire «barakat» à la misère sociale et à la dictature politique.

I l y a eu des morts, des blessés et des disparus. Toutefois, 22 ans après, ceux qui ont vécu l’indépendance de l’Algérie gardent toujours les blessures causées par ces événements tragiques, alors que la nouvelle génération se pose des questions sur l’utilité de ce qui s’est passé.

Des responsables et d’ex-responsables déclarent qu’il y avait d’autres parties derrière l’évènement. Ainsi, on s’interroge : fallait-il que ces événements aient lieu ? Pourquoi il y a eu des morts ? Qui a profité de ces événements et surtout qu’est-ce que cela a changé ? Enfin, qu’est-ce qui reste du 5 octobre 88 ? Aujourd’hui, c’est le 5 octobre 2010, il y aura comme d’habitude le Rassemblement action jeunesse (RAJ) qui essayera d’organiser un sit-in à la place des Martyrs à Alger. Mais sachant que l’état d’urgence est toujours maintenu, les rassemblements et les marches restent interdits dans la capitale.

Qui se souvient réellement de ses événements ? Est-ce que ceux qui y ont participé remarquent après plusieurs années que les changements ne sont pas aussi fondamentaux, comme par exemple la Constitution de 89, le multipartisme, le départ de Chadli Bendjedid, l’apparition de la presse privée, un processus électoral arrêté en 92, des années de terrorisme, une démocratie «limitée», la dégradation du pouvoir d’achat, le chômage, la crise du logement, le banditisme et autres.

Après toutes ces années, l’ex-président de la République, Chadli Bendjedid fera des révélations dans un document historique et académique algérien, récemment publié au Japon (interview qu’il a accordée à deux chercheurs japonais, Kisaichi Masatoshi et Watanabe Shoko), d’après ce qui a été rapporté par le journal «Liberté».

Sur le 5 octobre 1988, l’ex-président aurait précisé que «certains membres du FLN étaient derrière les évènements». Selon lui, «la cause des manifestations était due au fait que plusieurs responsables de l’appareil du FLN, et d’autres aussi, étaient contre la démocratie que j’essayais d’appliquer.

La démocratie, la liberté de la presse et le fait de permettre au peuple de choisir ses représentants allaient mettre la lumière sur les erreurs des responsables. Tout cela mettait en danger les avantages qu’ils avaient obtenus grâce au parti unique». La génération qui a vécu ces événements se souvient bien du discours prononcé par M. Bendjedid le 19 septembre 1988. Est-ce que l’ex-président tient toujours à affirmer qu’il n’a rien à voir avec ces événements ? En 2008, Ahmed Ouyahia qui était Chef du gouvernement, actuellement Premier ministre, avait donné sa vision des évènements du 5 octobre 1988. Selon lui, «ce n’était pas un sursaut démocratique, mais une vaste manipulation».

M. Ouyahia, qui s’exprimait lors d’une conférence de presse tenue au lendemain du 1er conseil national de son parti, avait ajouté que «ce n’est pas la rue qui a amené le pluralisme, mais les contradictions internes du système». Et bien avant, le Président Bouteflika avait déclaré que «le peuple a été sorti».

Assassiné en juin 1993, le sociologue M’hammed Boukhobza a écrit dans son étude «Octobre 88, évolution ou rupture ? », qu’«octobre a été un moment d’extériorisation ou plus exactement un moment de contestation sociale d’une situation de crise générale latente».

La symbolique du 5 octobre tient-elle toujours ?

Où est la vérité et est-ce qu’aujourd’hui ces événements ont le mérite d’être considérés comme un tournant dans le processus social, économique et politique de l’Algérie ? La symbolique de ces évènements est de jour en jour remise en cause. Dans ce cadre, la vision de quelques citoyens algériens que nous avons pu interroger est différente.

Pour R.L. âgé de 70 ans, qui fait partie de la génération qui a vécu le 5 octobre 88, «ces événements ont ramené le multipartisme et la liberté de la presse», alors que pour Mme S.N. qui a aujourd’hui 67 ans «ces événements n’ont rien changé». Pour elle, «le peuple algérien vivait mieux avant ces événements».

Elle ajoutera : «On savait que quelque chose allait se passer le 5 octobre et c’est ce qui est arrivé». Mais pour Mlle R.T., «ces événements rappellent une profonde blessure», avant d’enchaîner : «On ne pouvait plus respirer à Bab El Oued à cause des bombes lacrymogènes.

C’était un vent de folie». Du côté de la nouvelle génération qui n’a pas vécu ces événements, l’image n’est toujours pas claire. A ce propos, le jeune H.M. dira que «ces événements sont une victoire pour la démocratie et le pluralisme mais sur le plan social rien n’a changé».

Selon lui, «les leçons n’ont pas été tirées de ces événements». Un autre jeune de 28 ans dira : «Ces événements sont le début de la transition démocratique mais beaucoup de non-dits restent à éclaircir». Selon lui, «il faut que cette date soit célébrée au nom des jeunes et des citoyens qui se sont sacrifiés».

En tout cas, l’Algérie se souviendra encore aujourd’hui des évènements tragiques du 5 octobre 1988 qui ont vu la mort de plusieurs jeunes Algériens qui avaient exprimé leur colère. Il faut souligner que selon le bilan officiel il y a eu 110 morts, alors que d’autres sources parlent de 500 morts et plusieurs milliers de blessés. Mais ces jeunes croyaient-ils vraiment à un changement ?

Par Nacera Chenafi