L’affaire Djezzy n’est pas près de connaître son dénouement. Après une année de négociations entre le gouvernement algérien et la maison mère, Orascom Telecom Holding (OTH), surgit le problème de VimpelCom, qui insiste sur la reprise de Djezzy et menace de poursuivre en justice l’Etat algérien.
Il veut aussi imposer un prix de près de 8 milliards de dollars pour une société de services qui n’a aucun apport à l’économie algérienne. Des experts contactés hier sont formels : l’Algérie pourra retirer la licence d’exploitation de la deuxième licence GSM, comme le stipule la législation des télécoms.
Au lendemain de l’annonce de nouvelles amendes contre Djezzy par la Banque d’Algérie pour infraction à la législation des changes, le géant russe a menacé de poursuivre le gouvernement algérien, qui affichait sa décision d’avoir le contrôle sur Djezzy. Alexander Izosimov, patron de VimpelCom,
a lui-même rendu publique l’information via le Financial Times de samedi, en annonçant qu’il pourrait recourir à une action en justice si le prix offert par l’Algérie pour le rachat de Djezzy était jugé insuffisant.
«Si le gouvernement algérien effectue des mouvements ou extrait des actifs – nationaliser ou autres -, nous essayerons de défendre nos intérêts», a-t-il précisé, ajoutant que l’action en justice contre l’Etat algérien «constituerait un ultime recours».
Le géant russe, nouveau propriétaire d’OTH, a fixé à 7,8 milliards de dollars le prix de vente de Djezzy. Un prix jugé trop élevé, puisque l’évaluation réelle de la filiale est fixée par des experts entre 3 à 4 milliards de dollars.
Alexander Izosimov a révélé avoir rencontré le ministre des Finances, Karim Djoudi, mercredi à Alger, lors de la visite de Dmitri Medvedev, pour discuter d’une solution à l’amiable sur l’affaire en question.
«Mon sentiment est qu’il y a une volonté de trouver une solution amiable à tout cela», a dit M. Izosimov. Pour lui, même si le gouvernement algérien insistait sur la reprise de Djezzy, l’accord conclu avec Weather Investments du milliardaire Naguib Sawiris ne serait pas remis en cause.
Abderrahmane Mebtoul : VimpelCom en position de force
Pour Hind Benmiloud, juriste spécialisée en économie, VimpelCom n’a pas le droit d’ester en justice l’Algérie. Elle ajoute qu’on ne peut pas décider du jour au lendemain de la valeur des actions (7,8 milliards de dollars) sans au préalable faire une évaluation exacte. Il y a, selon elle, des experts internationaux pour faire cette expertise réelle de la filiale.
La valeur de la société a sensiblement chuté, dit-elle, notamment suite au match de foot historique ayant opposé l’équipe nationale à celle de l’Egypte, où plusieurs clients de Djezzy ont abandonné leur ligne téléphonique en guise de soutien aux Verts. L’Etat, dira-t-elle, est souverain et détient le droit de préemption et a, à son actif, des arguments solides.
Le groupe russo-norvégien peut toujours, poursuit-elle, faire le forcing contre le gouvernement algérien. Mais ce dernier peut ne pas leur renouveler la licence, et de cette manière le groupe aura tout perdu. Mme Benmiloud estime qu’il serait préférable de trouver un consensus à l’amiable. «Les deux parties doivent se mettre autour d’une table et négocier.
Il peut y avoir un audit international», ajoutant : «Il y a des textes de loi de 2004 qui sont très clairs. La licence d’exploitation est personnelle et en cas de changement d’actionnaire, il faut soumettre le dossier à l’autorité de l’ARPT. Celle-ci se réserve le droit d’accepter ou de rejeter.»
Plus explicite : «Je ne vois pas comment un pays étranger peut venir imposer à un pays souverain le rachat forcé de ses actions ?» «La loi est très claire, affirme-t-elle, et l’Algérie a toujours une porte de sortie très large et personne ne peut l’obliger à vendre ses actions à des partenaires à qui elle ne veut pas vendre.»
Contacté par nos soins, l’expert et économiste algérien M. Mebtoul a estimé que «l’affaire Djezzy a été très mal gérée par le gouvernement algérien». «Nos ministres ne connaissent pas le commerce international et encore moins le droit international, imposé par la mondialisation.» «VimpelCom peut réellement poursuivre l’Algérie en arbitrage international.
D’ailleurs, poursuit-il, ce qui m’a étonné, c’est que Moussa Benhamadi, ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, a déclaré à la presse qu’il a appris l’information par la presse. Il considère que des contradictions sont souvent enregistrées dans les déclarations des ministres algériens sur la même affaire.»
«D’après moi, dit-il, l’Algérie a perdu trois milliards de dollars. Elle aurait pu acquérir la filiale lorsqu’il était en position de force à 3 à 4 milliards de dollars.» Actuellement, poursuit-il, «le gouvernement algérien n’a pas le droit d’évoquer l’article 62 de la loi inclus dans la LFC 2009, car il n’y a pas de rétroactivité en droit international, sauf si la loi est meilleure pour le client que la précédente. Or, Orascom a conclu le contrat Djezzy en 2002».
M. Mebtoul rappelle qu’il «avait averti le gouvernement que si Sawiris vendait en bloc la société, l’Algérie ne peut pas s’y opposer. Au départ, l’opérateur égyptien pouvait céder la filiale algérienne à un prix évalué entre 4 et 5 milliards de dollars.
Les Algériens lui avaient proposé 2,5 milliards de dollars. Face à cela, l’homme d’affaires égyptien Naguib Sawaris a déclaré, le 6 mars, à un journal émirati, qu’il envisageait de céder une partie de son capital ou la possibilité d’une fusion avec un groupe émirati, Etisal, avant d’annoncer en mars son projet avec l’opérateur sud-africain MTN pour la vente d’une partie de sa propriété.
Le gouvernement algérien s’y est opposé». Suite à la décision de l’Etat algérien d’exercer son droit de préemption prévu par la législation nationale sur les cessions d’actions de la société OTA envisagée par la société mère, l’homme d’affaires égyptien a conclu sa fusion avec le groupe VimpelCom.
Etant en position de force, Vimpelcom a offert de céder Djezzy à l’Etat algérien à un prix équitable de 7,8 milliards et Djezzy ne représente que 10% du business du nouvel ensemble issu de la fusion entre VimpelCom et Weather.
Par ailleurs, il estime qu’il est de l’intérêt de l’Algérie de trouver une entente à l’amiable avec le groupe russo-norvégien, pour ne pas entacher l’image de l’Algérie à l’échelle internationale. «L’Algérie doit s’en sortir sans dégâts», conclut-il.
Par Samira Azzegag