À Miliana, la fierté d’avoir enfanté un héros: Ali La Pointe

À Miliana, la fierté d’avoir enfanté un héros: Ali La Pointe

Le quartier des « Anassers » dans la ville de Miliana, à 119 kilomètres d’Alger, se souvient particulièrement de la guerre de libération nationale. Plus d’une centaine de ses maisons étaient des caches pour les moudjahidines.

Ils s’y rendaient la nuit, cachaient ou récupéraient leurs munitions, soignaient leurs blessés et repartaient avant la levée du jour. Seule une maison n’était pas sollicitée pour cette mission révolutionnaire, celle de « la famille dangereuse », comme l’indiquait durant toute la guerre une plaque apposée à sa porte par l’armée française, c’était la maison d’Ali La Pointe.

Aujourd’hui aucune plaque commémorative n’indique que, dans ce lieu, est né et a grandi l’un des plus valeureux combattants de la guerre de libération nationale et héros incontesté de la bataille d’Alger.

maison ali la pointe

De son vrai nom Ali Ammar est donc né dans cette maison à Miliana le 14 mai 1930 et y a vécu jusqu’à ses 16 ans.

Il ne reste de ce quartier que quelques maisons blotties dans un fourré et où règne un calme presque dérangeant. « On aimerait que ces murs nous racontent la résistance de leurs habitants qui ont subi les affres du colonialisme. Aucune famille n’a été épargnée par la torture et les brutalités, et la nôtre en faisait partie » confie Benyoucef Ammar, cousin d’Ali La Pointe.

Âgé de 72 ans, Benyoucef est aujourd’hui le propriétaire de la maison d’Ali Lapointe. Il se souvient de lui comme d’un grand frère avec qui il a passé une partie de son enfance. Après le décès du père d’Ali Ammar, Ahmed, le père de Benyoucef, est devenu le tuteur légal d’Ali et de ses frères et sœurs.

« On a grandi dans ce quartier où habitaient plusieurs frères et cousins Ammar. Il y avait aussi la maison de nos grands-parents où vivait notre grand-mère qu’on appelait henna » raconte Benyoucef.

Lorsqu’il parle de son cousin, Benyoucef le décrit comme un grand frère, farceur, fougueux, débrouillard mais surtout travailleur. En circulant entre les trois maisons des « Ammar » où habitent aujourd’hui Benyoucef et ses deux autres frères, celui-ci se rappelle d’une visite en particulier d’Ali.

« Après son départ pour Alger, il revenait souvent voir notre grand-mère. Un jour en arrivant il trouve des maçons qui posaient les tuiles sur le toit de la maison d’henna, ils trainaient la savate. Aussitôt il les rejoint et finit le travail avec eux. Et pour annoncer son arrivée, il a déversé sur ma tête un sac de sable », se souvient, amusé Benyoucef.

Quelques années après l’indépendance, dans le jardin qui entoure la maison familiale, l’un des frères Ammar découvre, en travaillant cette parcelle de terre, une arme enfuie sous terre. Benyoucef affirme qu’elle appartenait à Ali La Pointe, il l’a remise à l’État Algérien. Elle est exposée au Musée des moudjahidine.

Un dur… pas un truand

Dès son jeune âge, Ali montrait un caractère d’insoumis et souvent indomptable. Pourtant le cadre familial où il avait grandi avait été équilibré. Son père Ahmed Ammar était un homme instruit, titulaire d’un certificat d’études. Il était membre du MTLD ensuite du FLN. Il vivait de la terre, ce qui rapportait peu mais suffisamment pour la petite famille.

Pourtant cet enfant est rebelle, commence dès son jeune âge à manifester de l’hostilité envers ses instituteurs à l’école. Des réactions justifiées par le racisme de certains de ses professeurs. « À l’école Ali était un enfant turbulent, il manquait ses cours, se chamaillait avec ses camarades, mais il faut savoir que les enfants des Algériens scolarisés à l’époque n’étaient pas les bienvenus, leur scolarité était même interrompue en cours de cycle dès qu’ils apprenaient à lire et à écrire » précise Benyoucef.

À l’adolescence, ce jeune garçon est frappé de plein fouet par le destin. Son père décède alors qu’il a à peine 15 ans, il se retrouve seul avec sa mère et ses autres frères et sœurs, Yamina, Baya, Mohamed et Boualem.

Ali est l’ainé des garçons, le deuxième enfant après Yamina. Il devra donc subvenir aux besoins de sa famille et souvent il employait des moyens peu conventionnels pour être à la hauteur de cette mission.

« Ali était connu pour être l’un des pilleurs des convois de l’armée américaine qui traversaient la route nationale qui mène à Alger. À la tombée de la nuit, les camions chargés de vivres roulaient lentement, ce qui donnait à Ali l’occasion de les pénétrer sans se faire remarquer. Une fois à l’intérieur, il jetait les ballots dans les ravins qui longeaient la route. Et au petit matin, il les récupérait et vendait ce qu’ils contenaient » se souvient Benyoucef.

Mais la chance finit par tourner. Démasqué, Ali est arrêté, il sera emprisonné à Miliana.

Pour Benyoucef, son cousin n’a pas choisi son destin, il n’est pas le malfrat ou le truand que décrivent certains. L’apprentissage de la vie a impliqué pour le jeune garçon de nombreuses concessions. Le poids des responsabilités l’a contraint à adopter une conduite de «bandit».

Deux ans après le décès de son père, la mère d’Ali se remarie et part s’installer à Alger. C’est là qu’Ali Ammar devient Ali La Pointe, un nom de célébrité qu’il tient de son quartier algérois « la Pointe pescade ».

L’identité révolutionnaire

C’est un fait historique connu de tous: c’est dans la prison de Serkadji que les idées révolutionnaires d’Ali La Pointe commencent à naitre. Car en prison, Ali est entouré de prisonniers politiques qui réussissent à canaliser son énergie au profit de la cause de libération nationale.

Mais pour son cousin Benyoucef, Ali avait compris déjà très jeune la situation politique du pays. « Ali était très proche de sa grand-mère. Chaque soir avant de dormir, elle lui racontait les histoires glorieuses de ses ancêtres compagnons de l’Emir Abdelkader. Une histoire en particulier le captive, celle de son grand-oncle déporté et condamné à perpétuité à Cayenne ».

Sa révolte est précoce, l’ennemi est très vite identifié: les colons français. Dès son jeune âge, il persécute les enfants français et s’attire les foudres de la police dans sa ville natale.

À Alger, Ali est toujours ce « mauvais garçon », sa réputation retentit jusqu’à Miliana. L’armée française qui n’arrive pas à mettre la main sur lui, se venge sur sa famille. « Nos maisons étaient constamment fouillées et ses frères et sœurs sans cesse interrogés. L’armée française n’était pas connue pour sa tendresse lorsqu’il fallait obtenir la moindre information sur Ali » se souvient Benyoucef.

Lorsqu’il s’est engagé dans la lutte, Ali revenait de moins en moins dans sa ville natale. Benyoucef se souvient de sa dernière visite, un peu avant le 1er Novembre. « Il était venu assister au mariage de notre cousin. Accompagné de deux moudjahidine, je me souviens qu’il avait passé une soirée comme des jeunes de leur âge, insouciants, loin de montrer qu’ils portaient le sort du pays sur leurs épaules. Au petit matin, il a quitté Miliana pour aller à Oran et depuis nous ne l’avons plus jamais revu ».

Au lendemain de son assassinat par l’armée coloniale le 8 octobre 1957, des militaires français sont envoyés à Miliana interroger sa famille et ses proches. La famille Ammar apprend qu’Ali est tombé.

Les Milianais se souviennent de cette nuit d’horreur où des familles entières ont été maltraitées et emprisonnées. L’armée française avait réservé le pire sort pour la grande sœur d’Ali, Yamina, la torture.

Benyoucef, le cousin d’Ali, aurait aimé que l’histoire se souvienne d’Ali La Pointe comme d’Ali fils de Miliana. Non pas comme un fils de la rue mais d’une famille honorable engagée dans la lutte anticolonialiste depuis des générations.