«Ah si Belloumi avait signé dans un club européen !».
«Face au Real, le Mouloudia a joué à l’espagnole».
«Dans le vestiaire, Zizou ne parlait pas, mais par un simple regard, on savait qu’il était en colère».
Depuis que l’Espagne a remporté la Coupe du monde, l’été dernier en Afrique du Sud, le trophée a fait le tour du pays, outrepassant les rivalités existant entre les communautés autonomes… Ainsi, tous les Espagnols ont-ils pu toucher et poser fièrement avec le prestigieux trophée. En parallèle, M. Vicente Del Bosque, le sélectionneur espagnol, a été invité un peu partout dans la Péninsule, pour recevoir des prix comme le fût Rabah Saâdane au lendemain de la qualification historique des Verts au Mondial.
Del Bosque répondait sans broncher à toutes les sollicitations pour ne pas faire de jaloux vu les sensibilités qui existent entre Castillans, Catalans, Basques, Andalous, Galiciens… en Espagne. Lundi dernier, en soirée, veille de notre rendez-vous avec lui au siège de la fédération espagnole de football, Vicente Del Bosque était à Malaga pour les mêmes devoirs. On avait un moment craint qu’il n’annule notre rencontre.
Carlos Martinez, le photographe du quotidien As, qui nous accompagnait, a vite fait de nous rassurer, connaissant la correction et la ponctualité de l’homme à la moustache grisonnante : «Ne vous inquiétez pas, Don Vicente est un homme de parole, s’il vous a donné rendez-vous, il viendra». Effectivement, quelques minutes plus tard, l’attachée de presse de la RFEF est venue nous dire que Del Bosque nous attendait dans son bureau. Il fallait marcher quelque 400 mètres pour y arriver. Del Bosque venait de prendre le premier avion pour Madrid afin de nous accueillir.
El Hombre, très élégant dans un costume gris, sans doute de grande marque, était bien là, assis dans son fauteuil, en compagnie de Paco Grande, son fidèle adjoint. «C’est vous le journaliste algérien ? Je suis content de m’adresser à vous parce que votre pays me rappelle un excellent souvenir de jeunesse», nous lance le champion du monde, en nous serrant la main chaleureusement. Le premier contact était rassurant et l’inquiétude qu’on pouvait avoir se dissipait et quittait les lieux par la porte restée entrouverte. Tout au long de l’interview et même après, Del Bosque s’est montré très courtois, disponible et bienveillant.
Comme il l’avait été en zone mixte durant le Mondial, répondant sans aucun problème aux questions des journalistes du monde entier. On n’avait pas l’impression d’être face à l’homme qui a offert à l’Espagne sa première Coupe du monde. Et n’allez surtout pas penser que Del Bosque ne connaît rien au football algérien. Constatez de vous-même !
Quand on vous parle de l’Algérie, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit en premier ?
Je vais peut-être vous surprendre, mais l’Algérie me rappelle un match que j’ai joué chez vous il y a très longtemps déjà au Stade olympique, le stade d’Alger s’appelait comme ça, non ? C’était en 1969.
Si c’est en 1969, c’est au stade municipal…
Oui, c’est ça, c’était en plein Alger. C’était, je crois, à l’occasion d’un match amical entre la sélection d’Espagne amateur, dont je faisais partie et une sélection régionale algérienne. A l’époque, il n’y avait pas encore les sélections espoirs et olympiques (Ndlr : En fait, c’était un tournoi international junior organisé chaque fin d’année par Air Algérie).
Notre sélection était dirigée à l’époque par un grand monsieur du football espagnol qui s’appelle Santamaria (Ndlr : sélectionneur de l’équipe d’Espagne durant les années 1980). Ne me demandez pas le score du match ni le nom des joueurs adverses, je n’ai pas une mémoire aussi prodigieuse, mais je me rappelle de l’engouement qu’il y avait pour une rencontre pourtant amicale. Il n’y a pas de doute, les Algériens adorent le foot. Quand on était sortis dans la rue à cette époque-là, je me suis dit : ce pays est tellement différent de l’Espagne alors qu’il est si proche de nous.
Et quelle est l’image que vous gardez du football algérien ?
Une image plus récente, celle du dernier mondial en Afrique du Sud et le match Algérie – Angleterre. Franchement, j’ai vu des joueurs algériens qui maîtrisent bien le ballon et qui jouent un football joyeux. Un football que personnellement j’aime beaucoup. Ils ont fait un grand match.
Y a-t-il un joueur en particulier qui a attiré votre attention ?
Non, pour la simple raison que les Algériens ont joué un football collectif. Pour moi, tous les joueurs ont été bons, notamment les défenseurs qui savent jouer en bloc et sortir le ballon proprement.
Mais les Algériens n’ont pas réussi à passer le premier tour…
C’est vrai, mais ils ne doivent pas avoir de regrets parce qu’ils ont tout donné. Dans un tournoi comme ça, il faut le talent, la volonté, un grand buteur et de la chance. Les Algériens ont le talent et beaucoup de volonté, cela n’a pas suffi. Parmi les équipes africaines, j’ai aimé aussi le Ghana qui avait les moyens de bousculer tout le monde s’il n’avait pas manqué de chance à un moment important du match. Vous convenez avec moi que je garde un excellent souvenir de cette première Coupe du monde en Afrique. Votre continent a été un porte-bonheur pour l’Espagne et les Espagnols.
C’est juste un retour d’ascenseur car l’Espagne a également porté bonheur à l’Algérie en 1982…
C’est vrai que cette année-là, le monde entier a découvert l’Algérie du football grâce à une belle équipe emmenée par deux grands joueurs, Madjer et Belloumi, qui ont, si je ne me trompe pas, remporté le Ballon d’Or africain. Le cheminement logique de ces joueurs de 1982 aurait dû être un transfert en Europe. Madjer a été découvert lors du mondial espagnol, mais il n’aurait pas été un grand joueur s’il n’était pas parti à Porto où il a laissé exploser son talent. Dommage qu’un joueur comme Belloumi ne soit pas parti en Europe.
En 1977 à Madrid, le Real Madrid a battu le Mouloudia d’Alger au stade Bernabeu…
(Il nous coupe) C’est vrai, je m’en rappelle. C’était à l’occasion du 75e anniversaire du Real Madrid. Je n’ai pas joué ce match contre le représentant algérien, qui était, je crois, champion d’Afrique, mais j’ai vu le match et j’ai pu apprécier la technique des joueurs du Mouloudia qui jouaient, si je peux m’exprimer ainsi, un football espagnol.
Vous voyez bien que le football algérien ne m’est pas étranger. Pour le Real Madrid et son président Don Santiago Bernabeu, c’était un tournoi très important, c’est pour ça qu’on a invité les représentants des trois continents : l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud.
Nous avons remarqué que vous ne connaissez pas beaucoup de joueurs algériens de nom. Vous avez pourtant entraîné un illustre joueur d’origine algérienne, vous savez sans doute de qui on parle…
De Zizou naturellement.
Que pouvez-vous dire de lui ?
Que d’abord, j’étais fier d’avoir été son entraîneur durant deux saisons car un joueur de sa trempe rend simple sur le terrain les intentions de n’importe quel entraîneur. Comme personne, c’est le genre d’homme avec lequel tu ne peux pas avoir de problèmes : il est timide, introverti, mais aussi très correct et bien élevé. Je dois préciser toutefois que s’il ne parlait pas beaucoup dans le vestiaire, c’est qu’il n’avait besoin que d’un regard pour te faire comprendre qu’il est en colère ou qu’il n’est pas satisfait.
Il faisait ça parce qu’il était très exigeant avec lui-même, il aimait donc que les choses soient faites convenablement et quand ça ne marchait pas, je m’en rendais compte avec un simple regard de Zizou. Cela ne m’a jamais dérangé car Zizou le faisait toujours pour le bien de l’équipe. En tant que footballeur, je le considère comme l’un des meilleurs de l’histoire, il avait la capacité de défendre, de construire, de marquer des buts et de faire jouer ses coéquipiers, toujours avec le souci de l’esthétique. Et cela est très rare dans le football.
Enzo Zidane est-il l’héritier de son père ?
Mais fichez-lui la paix ! C’est un petit garçon qui commence juste à jouer au football. Enzo a juste besoin de s’amuser pour l’instant loin des yeux des journalistes. Le reste viendra tout seul.
Mourinho insiste pour le mettre sur le banc à ses côtés. Pensez-vous que Zidane peut devenir un grand entraîneur ?
Je suis incapable de vous dire s’il a cette vocation de devenir entraîneur. Que Mourinho le veuille avec lui, c’est bien, mais encore faut-il que Zizou accepte de faire le grand saut. Ce qui est sûr c’est que toutes ses opinions seront intéressantes car en football personne ne peut se targuer d’avoir toujours raison, on a tous besoin d’un avis contraire. Celui de Zidane sera précieux, vu son vécu et ses qualités.
Un grand joueur peut-il devenir automatiquement un grand entraîneur ?
Pas automatiquement. On a vu de très grands joueurs échouer après leur passage de l’autre côté de la barrière. Un joueur, même s’il a été excellent sur le terrain, aura toujours besoin de quelqu’un pour l’assister afin d’être aussi bon sur le banc. Personnellement, je crois profondément aux vertus du travail en groupe.
Pourquoi, selon vous, Maradona a échoué dans sa mission à la tête de l’équipe d’Argentine ?
Vous pensez vraiment qu’il a échoué ? Moi, en tout cas, je ne le pense pas car si on enlève le match de l’Allemagne, on a vu une Argentine conquérante, efficace et pratiquant un beau football.
Je crois que durant les quatre premiers matchs, Maradona a dirigé son équipe d’une manière brillante. Malheureusement, il arrive parfois que tout va de travers durant un match et c’était le cas pour l’Argentine face aux Allemands. Ce n’est pas pour ça qu’on va remettre en question tout le travail de Maradona qui a le mérite d’avoir qualifié l’Argentine après l’avoir trouvée dans une situation très délicate.
Beckenbauer a déclaré récemment que, pour lui, le meilleur entraîneur du monde c’est José Mourinho. Cela vous dérange-t-il un peu ?
Pas le moins du monde. C’est vrai que c’est le point de vue d’un grand monsieur du football mondial, mais ça reste son avis et je le respecte. Dans un monde du football très subjectif, il est très difficile de dire qui est le meilleur entraîneur du monde. Personnellement, je ne crois pas qu’il y ait un numéro 1 dans le monde parce qu’il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu comme la qualité des joueurs dont on dispose, et la chance. Il peut y avoir beaucoup de grands entraîneurs dans le monde inconnus au bataillon car ils n’ont pas la chance qu’on a eue, de travailler dans le haut niveau.
A qui attribuerez-vous le Ballon d’Or ?
Sans hésiter à l’un des sept joueurs de l’équipe d’Espagne nominés.
Pourquoi ?
Parce qu’en plus de leur qualité individuelle, les joueurs de l’équipe d’Espagne jouent collectivement, c’est finalement cela le football et c’est ce qui a permis à l’Espagne de gagner la Coupe du monde. Vous comprendrez si je ne vous donne aucun nom, étant leur entraîneur à tous.
Sur les sept joueurs espagnols nominés, quatre jouent au Barça et sur les 23 Espagnols sept jouent au Barça…
Toutes les grandes sélections du monde s’articulent autour d’un ou deux grands clubs. En Afrique du Sud, on avait six joueurs du Barça parce que Villa était à Valence et cinq joueurs du Real.
Avant, cinq internationaux espagnols jouaient à Liverpool. Avant l’Espagne, l’Allemagne championne du monde 1974 était composée en grande majorité des joueurs du Bayern, les Pays-Bas de la même époque c’était l’Ajax. En Espagne, nous avons la chance d’avoir deux des meilleurs clubs du monde, à savoir le Real Madrid et Barcelone, je ne vois pas comment on va se priver de leurs joueurs, de nos joueurs j’allais dire.
L’image des joueurs du Barça en train de fêter la victoire en Coupe du monde à l’écart du groupe vous dérange-t-elle ?
Non parce que je ne pense pas qu’ils l’ont fait à l’écart du groupe. Moi quand je fais mon équipe, je prends les joueurs les plus en forme du moment.
Il se trouve que ces dernières années les joueurs les plus en forme sont ceux du Barça et du Real. Dans un passé récent, on avait Reina, Riera, Xavi Alonso, Torres et Arbeloa qui jouaient tous à Liverpool. Aujourd’hui, beaucoup de joueurs de Villarreal sont près d’intégrer la sélection parce que c’est l’équipe en forme du moment. Ça se passe comme ça et pas autrement.
Del Bosque nominé pour être le meilleur entraîneur du monde
Comme il fallait s’y attendre, Vicente Del Bosque, champion du monde avec la sélection d’Espagne, est pressenti pour être élu meilleur entraîneur du monde cette saison.
Héritant d’une sélection qui venait de remporter la Coupe d’Europe, Del Bosque n’a pas été épargné par les critiques, notamment de la part de son prédécesseur au poste, Luis Aragonès, qui remettait en cause presque tous ses choix, l’accusant de vouloir effacer son travail. La défaite en Coupe des confédérations face aux Etats-Unis a failli effacer un presque sans-faute lors des éliminatoires de la Coupe du monde. Gardant sa placidité légendaire, Del Bosque continuait à travailler calmement fort du soutien sans faille du président de la fédération.
Même la défaite face à la Suisse ne l’a pas fait douter. «On va se relever, ne vous inquiétez pas», répétait-il aux journalistes de son pays dans la zone mixte du stade de Durban en Afrique du Sud, sûr de la qualité de ses joueurs et de ses propres compétences qui l’ont amené à offrir au Real ses deux dernières Ligues des champions.
Pour les journalistes espagnols, s’il y a une justice, Del Bosque devrait être logiquement élu meilleur entraîneur de la planète. «Son seul rival sérieux, c’est Mourinho grâce à son triplé avec l’Inter et son début de saison avec le Real, mais le comportement exemplaire de Del Bosque sur et en dehors des terrains fera pencher la balance de son côté», analyse le confrère d’As.
Voici, par ailleurs, la liste des dix entraîneurs nominés pour être élus numéro 1 dans le monde :
Carlo Ancelotti (Italie/Chelsea FC), Vicente del Bosque (Espagne/sélection espagnole), Alex Ferguson (Ecosse/Manchester United), Pep Guardiola (Espagne/FC Barcelone), Joachim Löw (Allemagne/sélection allemande), José Mourinho (Portugal/FC Internazionale Milan et Real Madrid CF), Oscar Tabárez (Uruguay/sélection uruguayenne), Louis Van Gaal (Hollande, FC Bayern Munich), Bert Van Marwijk (Hollande/sélection hollandaise) et Arsène Wenger (France/Arsenal).
Las Rozas : de Zizou à Del Bosque
Le 26 avril 2005, Le Buteur a débarqué à Las Rozas pour rencontrer l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du football, Zinédine Zidane. A cette époque, le grand Zizou nous avait demandé de venir le chercher au centre d’entraînement de Las Rozas dans la banlieue madrilène loué par Florentino avant le déménagement à Valdebebas, l’actuel et ultra moderne centre sportif du Real Madrid. Cinq ans plus tard, le destin nous a de nouveau ramené à Las Rozas, qui appartient en fait à la fédération espagnole de football.
Inauguré en 2003, « la ville du football », comme l’appellent les Espagnols est un ensemble d’installations sportives avec un siège pour la RFEF, une batterie de cinq terrains, un gymnase, une zone de presse, un pavillon, une résidence sportive, une aire sociale et de formation et des services médicaux. Tout cela à la disposition du football espagnol et des différentes sélections nationales. D’ailleurs et après notre rencontre avec Del Bosque, les U-17 espagnols jouaient un match d’application devant une poignée de supporters et une dizaine de journalistes venus couvrir l’entraînement des futurs stars de la Liga. Pour rentabiliser l’enceinte, la fédération espagnole loue ses installations aux clubs de la capitale.
Ainsi et après le Real Madrid en 2004-2005, le Rayo Vallecano, club du quartier de Vallecas à Madrid, s’y entraîne cette saison. «Avant, le siège de la fédération se trouvait au centre-ville et la sélection se regroupait dans des hôtels, il a fallu une grosse pression du président de la fédération sur les pouvoirs publics pour qu’on nous construise ce centre», nous a dit un confrère du quotidien As. Les résultats n’ont pas tardé. M. Raouraoua n’a pas eu cette chance.