Le parcours du militant intellectuel, du fin politique, et du diplomate de talent, Mohamed Seddik Benyahia, a été évoqué, hier, au forum d’El Moudjahid. A la veille de la célébration de la Journée de l’étudiant, et à l’occasion du 30e anniversaire de la disparition tragique de l’enfant de Jijel, ses compagnons et amis Lakhdar Brahimi, Mohamed Salah Dembri, et Salah Ben El Okbi ont retracé la vie du militant du mouvement national et de l’homme d’Etat qu’était Benyahia en présence des membres de la famille du défunt, et du ministre de la Communication, Nacer Mehal.
Encore une fois le Centre de presse d’El Moudjahid s’est avéré trop exigu pour contenir toute l’assistance venue assister à l’hommage réservé par l’association Machaâl Echa- hid, en coordination avec l’APC d’Alger-Centre et notre journal, à un homme ordinaire mais au parcours exceptionnel. Parmi l’assistance, on citera Abderrazak Bara, Tewfik Khelladi (DG de l’ENTV), les ambassadeurs de Palestine, d’Iran et d’Irak, le cinéaste Ahmed Rachedi, le recteur de l’Université de Bab Ezzouar… Parmi l’assistance, certains l’ont connu, d’autres ont entendu parler de cet homme de cœur, de dialogue et de conviction. Les Algériens de plus de quarante ans se souviennent de ce diplomate et artisan de la libération en janvier 1980 des 52 otages américains. Lors de la crise iranienne des otages, Mohamed Benyahia a dû déployer tout son savoir-faire pour arriver à dénouer l’une des crises les plus difficiles qu’aura traversées le monde et surtout les Américains. Il a été le seul à réussir une telle mission, et chacun le reconnaît, surtout pour ce qui est des USA, car il a été le principal négociateur dans la libération des otages américains détenus en Iran après la révolution iranienne en 1979. Les conférenciers qui se sont succédé, ont mis en exergue la modestie de l’homme et sa droiture.
L’historien Mohamed Abbes a présenté un bref aperçu de la biographie de Benyahia. Né à Jijel en 1932, il est diplômé de l’université de droit d’Alger en 1953. Il n’a que 23 ans. Jeune avocat, élève de Amar Bentoumi, il prend une part active dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Il servira d’intermédiaire entre le FL N et les moudjahidine emprisonnés. Il jouera également un rôle important dans la création de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA). Selon Mohamed Abbes, il a été le premier à avoir, en 1961, rendu visite aux chefs historiques détenus en France. Pour l’historien, feu Benyahia a été l’homme des grands dossiers. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Lakhdar Brahimi, ami du défunt et compagnon dans le combat contre le colonisateur, a évoqué les anecdotes partagées avec le défunt. Le récit de Lakhdar Brahimi a suscité l’intérêt des présents. Dans un silence religieux, entrecoupé par quelques sonneries de téléphone, Lakhdar Brahimi, sans trop fouiller dans sa mémoire, se souvient encore de ce départ vers Jakarta pour assister au congrès des étudiants afro-asiatiques. Lors de ce voyage, il a découvert en Benyahia un homme modeste, mais lorsqu’il parle, il dégage une flamme d’intelligence. Pour ce diplomate averti, le défunt un pilier de la diplomatie algérienne a également à son actif l’organisation réussie du Festival panafricain de 1969. Intervenant à son tour, le moudjahid Salah Ben el Kobi se rappelle encore de sa première rencontre avec Benyahia. Une rencontre qui remonte au mois de novembre 1954. Le moudjahid a surtout mis l’accent sur son militantisme au sein de l’UGEMA et son engagement au barreau auprès des avocats du FLN. Parmi les conférenciers, Mohamed Salah Dembri, ancien ministre des Affaires étrangères. Pour ce diplomate aguerri, Benyahia est un modèle de militantisme. Comme il voit en cet homme un diplomate de ta-lent. Il a réussi particulièrement à ce poste, en perpétuant la place et le rôle de l’Algérie dans le règlement des conflits.
Nora Chergui
Parmi les victimes, un jeune journaliste de l’APS
Nacer Mehal rend hommage à Mouloud Aït Kaci
Le 3 mai 1982 Benyahia trouvait la mort, dans l’explosion en vol de l’avion qui le transportait ainsi que treize autres cadres alors qu’il se rendait en Iran pour une tentative de médiation dans le conflit frontalier qui opposait Téhéran à Baghdad. Parmi les passagers, un jeune journaliste de l’APS, Mouloud Aït Kaci. Le ministre de la Communication, Nacer Mehal, alors directeur de l’Information à l’APS, a rendu, hier, un vibrant hommage à ce jeune reporter mort en service. «Il avait en poche un billet d’avion pour Téhéran mais à la dernière minute, j’ai réussi à lui obtenir une place parmi la délégation officielle. Le destin a voulu qu’il trouve la mort dans cette mission». M. Mehal, qui a également connu et côtoyé Mohamed Seddik Benyahia, se souvient de cet homme comme d’un exemple de droiture et d’humanisme.
Nora C.
Mohamed Salah Dembri, ancien ministre des affaires étrangères
“Benyahia fait partie de ces hommes qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour l’Algérie”
Vous venez d’assister à un grand hommage au défunt Mohamed Seddik Benyahia. Peut-on connaître vos impressions ?
«On est très contents de voir que des rencontres de ce genre puissent être organisées parce que l’Algérie a besoin de mieux connaître et de faire connaître les grandes figures de l’histoire du pays qui ont contribué à l’indépendance de l’Algérie ainsi qu’à son développement. On parle toujours de l’écriture de l’histoire, mais en réalité les gens, généralement, ignorent tout des personnalités marquantes qui ont œuvré concrètement à la construction du pays. Benyahia qui a mené, de son vivant, une bataille constante pour l’édification du pays et sa prospérité fait partie de ces hommes qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour l’Algérie ».
«Nous sommes à la veille de la commémoration du 64e anniversaire de la Nakba. D’après vous où en est la question palestinienne?
La question palestinienne a toujours été au centre de la diplomatie algérienne et cela date, en fait, d’avant même l’indépendance. Notre engagement a été formulé sur les termes de l’inconditionnalité. Aujourd’hui, le peuple palestinien doit d’abord résoudre ses contradictions internes. Certes, nous sommes avec l’objectif de libération, mais il faut que les Palestiniens trouvent les voies d’un dialogue national d’une réconciliation et d’une vision claire et objective de l’indépendance ».
Propos recueillis par Soraya G.
M. Salah Benkobbi
“C’était un homme de grande envergure et un monument de la diplomatie algérienne”
L’ancien diplomate, M. Salah Benkobbi, a évoqué le tragique décès du défunt ministre des affaires étrangères. Il a souligné que le défunt «a été l’artisan de la libération des 52 otages américains détenus en Iran. Ce coup de maître lui vaudra le respect de toute la communauté internationale», ajoutant qu’«il y a une volonté d’occulter le passé glorieux de l’Algérie auprès de la jeunesse montante.
Il faut y remédier, et c’est ce genre de rencontre qui permet de remettre à l’ordre du jour un pan important de notre histoire. Il faut expliquer que M. Benyahia occupe une partie importante dans l’histoire de l’Algérie. Notre histoire n’est pas encore écrite. Les Français, à travers des mensonges, construisent des gloires.»
Selon M. Benkobbi, les générations montantes doivent connaître l’histoire de leur pays. Il a déclaré qu’ «il y a eu une rupture entre la génération qui a créé le miracle de l’indépendance de l’Algérie et les générations qui ont suivi», a-t-il indiqué.
Wassila Benhamed