La polémique enfle sur la qualité de la viande bovine indienne, importée spécialement pour le Ramadhan. Cette controverse qui n’en finit pas de heurter la sensibilité des Algériens peut avoir des conséquences importantes sur le consommateur.
Le consommateur algérien a déjà aff iché son scepticisme pour cette viande comme le conf irme ce boucher oranais : «certains de mes clients me demandent déjà si la viande bovine sur les étals est celle importée de l’Inde. Apparemment, cette viande n’est pas du tout estimée et les Algériens aff ichent même un certain dégoût».
Notre interlocuteur va jusqu’à dire que cette viande sera écoulée sous forme de viande de boeuf ordinaire, par les autres boucheries, si le dégoût des Algériens pour cette viande ne sera pas aplani par les pouvoirs publics».
Des campagnes d’information sur cette viande, véhiculées par les supports médias, seront la solution la plus appropriée, relèvet- on. Chez les consommateurs oranais, l’aversion pour la viande indienne est présente. «Je ne mangerai pas de cette viande, surtout en ce mois sacré du Ramadhan.
Leurs vaches ne sont pas comme les nôtres et puis, j’ai lu dans les journaux que c’est plein de maladies, parasites, poils et vers… », dira Kaddour, un retraité oranais. Même son de cloche chez cette ménagère qui aff irme pour sa part que «les pouvoirs publics se foutent royalement des moeurs alimentaires des Algériens et aussi les préceptes de ce mois sacré ».
Cette ménagère quinquagénaire se rappelle de l’épisode tragico -comique de ce Ramadhan où «les oranais ont mangé de la viande d’âne. «Pas question ! Je ne préparerai pas cette viande avec la H’rira qui demande des ingrédients bien déf inis.
Tous nos interlocuteurs ont aussi relevé que cette viande indienne pourrait être écoulée sous forme de viande de boeuf, par des bouchers peu scrupuleux. Interrogés à ce sujet, des inspecteurs de la DCP d’Oran ont déclaré que les contrôles se feront régulièrement, pendant le ramadan, et que l’aff ichage des viandes sera indubitablement respecté».
Toutefois, le consommateur algérien s’interroge toujours sur la qualité de cette viande…exotique . S’agit-il bien de la viande bovine ordinaire ou celle de buffle indien ? Le sarcocyste qui a sévit longtemps sur les élevages en Inde est-il éradiqué ? Sinon pourquoi la viande de ce pays est toujours interdite en Amérique et en Europe ? S’interrogent les consommateurs algériens.
En fait, selon un vétérinaire oranais qui a requis l’anonymat, la viande importée de l’Inde est celle du buffle et non du boeuf ordinaire qu’on connait sous le nom de « Buffalus babulus», connu dans les restaurants de grillade par le nom de Buffalo.
Interrogé sur la différence entre la viande de boeuf et celle de buffle, notre interlocuteur dira qu’il ne connait pas la saveur du buffle, mais, selon lui, la chair de buffalo se mange bien en steaks, en grillade. Du Buffalo à la chorba ou au Bouraq serait une invention culinaire inédite.
DES SOUPÇONS DE FRAUDE AUSSI
Cette affaire a pris des dimensions incommensurables quand des soupçons de fraude ont été relevés. Hier, le journal on-line, DNA-Algérie, rapporte citant des sources de la Présidence de la République, que le Chef de l’État aurait ordonné une enquête sur la décision prise par le gouvernement d’importer 10.000 tonnes de viande indienne ainsi que sur les conditions d’octroi des licences d’importation de la viande en provenance de l’Inde à des opérateurs privés.
Dans la même journée, le Directeur des Services vétérinaires auprès du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, Rachid Bouguedour, donne un entretien à l’APS.
A l’occasion du premier arrivage de viande bovine en provenance de l’Inde, il affirmera que la viande répond bel et bien aux normes de qualité et sanitaires requises, après avoir subi tous les contrôles nécessaires des services vétérinaires et du laboratoire de l’Institut Pasteur d’Algérie.
«La première quantité de cette viande estimée à 260 tonnes est arrivée au port d’Alger le 18 juillet dernier et a été autorisée à sortir sur le marché le 1er août en cours, après avoir subi tous les contrôles nécessaires», précise- t-il.
En fait, tout est bon : tous les documents sanitaires, à savoir le certif icat sanitaire off iciel, qui constitue le cahier de charges sanitaire vétérinaire exigé par l’Algérie, accompagné des certif icats respectivement d’analyse microbiologique, de qualité et de non radioactivité ainsi que du certif icat Halal, ont été attribués. Dans tous les cas de figure, importer 10.000 tonnes de viande rouge d’un montant de 30 millions de dollars, pour un mois de consommation, constitue a priori une affaire peu ordinaire.
D’après la presse algérienne, le marché a été conclu illico presto lors de la visite d’hommes d’affaires indiens, en mai dernier. Un autre son de cloche émane de la Direction de la Société de transformation et de conditionnement des viandes (Sotrav) qui aff irme, à contrario, que les négociations avec les éleveurs indiens ont duré plus de neuf années.
Notons aussi que c’est la première fois que les Algériens décident de s’approvisionner auprès de ce pays. Depuis plusieurs lustres, l’essentiel des importations de l’Algérie en matière de viande congelée et désossée se fait auprès de fournisseurs en Amérique Latine, en Océanie et en Europe.
Comment alors l’Inde se retrouve- t-elle être un client privilégié avec une commande de 10.000 tonnes pour un montant de 30 millions de dollars? Comment les fournisseurs traditionnels ont-ils été écartés au prof it d’un pays inconnu? S’interroget- on. Les responsables se justif ient par la cherté des viande actuellement dans les marchés mondiaux. A contrario, la viande indienne est moins chère, moins de 400 dollars la tonne, selon eux.
Dans la même optique, un vétérinaire explique au journaliste de l’APS que «les opérateurs privés sont libres de s’approvisionner où ils l’entendent si les conditions sanitaires sont remplies », soulignant, dans la foulée, que le rôle du ministère était simplement de prendre en charge les aspects sanitaires liés aux importations et aux exportations de toutes les denrées d’origine animale. Selon d’autres sources, les acheteurs de la Sotracov ont raté une fenêtre d’achat.
Dans l’incapacité d’acheter sur les marchés européens et brésiliens à une période d’approvisionnement propice, qui se situe entre décembre et avril, la Sotracov s’est vue dans l’obligation de faire pression sur le ministère de l’Agriculture pour ouvrir le marché indien. S’agit-il d’un lobbying programmé ?
Benachour Med