Viande importée d’Inde : Comment le cartel de l’importation s’est partagé 30 millions de dollars

Viande importée d’Inde : Comment le cartel de l’importation s’est partagé 30 millions de dollars

De la viande indienne dans les assiettes du consommateur algérien. Comment diable les autorités algériennes se sont-elles décidées à s’approvisionner auprès de l’Inde alors qu’il est de tradition que la viande soit importée du Brésil et de l’Argentine, clients réguliers et traditionnels de l’Algérie? La décision prise par le gouvernement pour l’importation de la viande congelée de l’Inde n’est pas le fruit du hasard.

Les autorités algériennes ont conclu plusieurs marchés pour l’importation de la viande indienne congelée et désossée. Ces marchés négociés avec deux états indiens portent sur la fourniture de 10 000 tonnes de viande.

Une partie de ces contrats a été signée par la Sotracov, l’organisme public chargé de l’importation de viande, et une autre partie a été conclue par des opérateurs privés. Parmi ces derniers figure un certain Chikhi, importateur installé à Hussein-Dey, à Alger.

Contrats signés à la va-vite

Dans le milieu de l’importation, cet homme est connu comme le loup blanc. On le dit proche, très proche, du ministre de l’Agriculture, Rachid Benaissa. Selon des sources proches de ce dossier, cet importateur a fait un travail de lobbying intense auprès de son «ami» le ministre afin d’obtenir une licence d’importation de viande congelée et désossée auprès de fournisseurs indiens.

C’est ainsi qu’il a obtenu l’exclusivité de ce marché au mois d’avril dernier. Dans son édition du mardi 14 juillet, le quotidien El Watan révélait que les contrats signés par les Algériens – la Sotracov et l’opérateur privés -, ont été conclues avec une célérité et une rapidité qui ouvrent la voie au doute et à la suspicion.

Le journal révélait également que le marché de l’Inde a été ouvert en un temps record. Les indiens sont arrivés aux alentour du 06 mai 2010 avant de signer le contrat le 18 du même mois. Soit, à peine une dizaine de jours de pourparlers. Trop rapide, trop vite pour ne pas éveiller des soupçons…

Lutte d’influence au sein des importateurs

Comment donc l’Algérie qui s’approvisionne d’ordinaire auprès des Brésiliens et des Argentins a-t-elle décidé brusquement de se tourner vers les Indiens? Il y a une explication, mais elle n’est pas la seule.

Pour satisfaire les besoins des consommateurs, particulièrement durant le mois de ramadan, les autorités ont donc décidé d’importer massivement de la viande bovine auprès de nouveaux fournisseurs, les Indiens en l’occurrence, qui proposent le produit à un prix très concurrentiel : 3000 dollars la tonne, soit 200 dollars moins chère que la viande sud-américaine. Certes l’argument tient la route, mais il y a autre chose.

En fait, la décision d’ouvrir le marché indien, plutôt que celui du Brésil et de l’Inde, relèverait d’une lutte d’influence aussi bien au sein des opérateurs qui gravitent autour de ce secteur que de divers responsables de l’administration. Celui qui bénéficie du maximum de poids auprès des autorités aura été le grand bénéficiaire : à savoir l’ami du ministre, Mr. Chikhi.

L’homme au bras long

Évidemment, l’exclusivité qui a été accordée à ce dernier a fini par provoquer la colère et le ressentiment de ses concurrents. « Lorsque j’ai appris que Chikhi avait bénéficié en catimini, d’une licence d’importation de la viande de l’Inde, j’ai vite alerté les autres importateurs de ce favoritisme, puis nous avons ensemble sollicité l’aide des hauts gradés de l’armée », confie, sous couvert de l’anonymat, un importateur de la place d’Alger qui ne nous cache pas ses liens avec de hauts fonctionnaires de l’État.

Il ajoute : « Chikhi avait pris le soin de bien préparer son coup, des contrats d’exclusivité avec les principaux producteurs et exportateurs indiens ont été signés. Toutes nos tentatives de passer des commandes auprès des fournisseurs indiens ont échoué.» En clair, le principal concurrent a le bras tellement long qu’il s’est arrangé pour avoir l’exclusivité du marché indien.

Six importateurs se partagent un juteux marché

Mais voilà, la bataille autour de ce marché est tellement âpre, les gains tellement colossaux – 30 millions de dollars -, que les concurrents ont du jouer des coudes, usé de leur influence, fait intervenir leurs connaissances pour casser le monopole obtenu par Chikhi.

Face à la pression exercée par les concurrents, le ministre a donc dû céder. Exit alors l’exclusivité arrachée par Chikhi au mois d’avril. Le monopole enfin levé, d’autres opérateurs ont pu ainsi obtenir leurs parts du gâteau.

Aujourd’hui, ils sont six importateurs privés à se partager ce juteux marché. Au sein du cartel de l’importation, tout est donc rentré dans l’ordre. Du moins, pour le moment. Les Algériens auront de la viande indienne dans leurs assiettes et les importateurs peuvent tranquillement compter leurs liasses de dollars.

Viande indienne interdire en Europe et aux États-Unis, autorisée en Algérie

Reste tout de même quelques questions essentielles. En dépit des assurances formulées par les autorités algériennes et indiennes, la qualité de la viande indienne est sujette à caution.

Primo, contrairement aux assertions des responsables algériens, la viande importée n’est pas celle du bœuf, mais du Buffalo indien, connu sous le nom scientifique de « Buffalo babulis ».

Secundo, la viande indienne n’a pas bonne réputation. Elle est connue pour être infestée par le sarcocyste, un dangereux parasite qui infeste les animaux.

Ce qui explique qu’elle soit interdite en Europe et aux États-Unis. Certes, l’ambassadeur d’Inde en Algérie, Kuldeep S.Bhardwaj, a assuré mardi 3 août que la viande indienne est « d’une excellente qualité et 100 % hallal » et que plusieurs pays musulmans dont le Koweït, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, la Jordanie, la Malaisie, l’Iran, Oman, l’Égypte, le Qatar importent ce produit. Certes, certes, mais la viande indienne reste encore interdite d’importation en Europe et aux États-Unis.

On peut bien penser que le motif des Européens et des Américains d’interdire cette viande dans leurs assiettes obéit davantage à des impératifs sanitaires plutôt qu’autres considérations.