Depuis septembre, 26 écoles du District scolaire francophone Sud (DSFS), au Nouveau-Brunswick, ont introduit la viande halal dans leurs menus de cafétéria. Cette mesure, inédite à une telle échelle dans la province, concerne exclusivement les repas chauds servis aux élèves. Selon les autorités scolaires, il s’agit avant tout d’une question d’inclusion et de respect des droits fondamentaux.
Le DSFS affirme en effet répondre à son « obligation juridique d’assurer un environnement inclusif », en s’appuyant sur la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick ainsi que sur la Charte canadienne des droits et libertés. La viande halal, qui se distingue uniquement par son mode d’abattage conforme aux rites musulmans, est présentée comme un choix culinaire capable de répondre aux attentes d’élèves de confession musulmane et de leurs familles.
Pour l’administration, l’enjeu est double : garantir une égalité de traitement entre tous les élèves et favoriser un climat scolaire harmonieux, tout en s’adaptant à la diversité culturelle croissante de la région. « L’école est un lieu d’apprentissage, mais aussi un espace de vie collective. Elle doit refléter et respecter les différences », rappelle une représentante du district.
En pratique, ce sont les cafétérias qui s’approvisionnent auprès d’abattoirs certifiés. La décision ne change rien à la préparation des repas, ni au goût, ni aux apports nutritionnels. Mais elle a une portée symbolique forte : celle d’une reconnaissance institutionnelle des pratiques alimentaires liées à une religion minoritaire.
Cependant, cette mesure, qui se voulait inclusive, suscite depuis plusieurs semaines un débat intense. Certains parents et citoyens saluent un pas vers l’ouverture, tandis que d’autres dénoncent une « réintroduction de la religion dans l’école publique » par la porte de la cafétéria.
L’obligation d’accommodement, un principe juridique à géométrie variable
Si le DSFS justifie son choix par une obligation légale, plusieurs experts viennent en nuancer la portée. Selon Bruno Gélinas-Faucher, professeur adjoint de droit à l’Université du Nouveau-Brunswick, la loi ne prescrit pas directement de servir de la viande halal. « Il y a une obligation d’accommodement, c’est vrai, juridiquement elle est là, mais elle peut prendre plusieurs formes », explique-t-il.
En d’autres termes, l’institution doit veiller à ce que personne ne soit discriminé pour des motifs religieux ou de croyance. Mais la manière d’y parvenir reste ouverte. Ainsi, un menu végétarien universel pourrait également satisfaire à cette exigence, puisqu’il éviterait tout problème lié à l’abattage rituel ou aux interdits alimentaires.
La Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick rappelle de son côté que les demandes d’accommodement raisonnable doivent être respectées, sauf si elles entraînent un préjudice excessif. Chaque situation doit être évaluée au cas par cas, selon les faits et le contexte. Ainsi, une personne réclamant un menu « neutre » devrait démontrer en quoi l’offre actuelle la discrimine réellement.
La question est d’autant plus sensible que, contrairement au Québec, le Nouveau-Brunswick ne dispose pas d’une loi sur la laïcité de l’État. Là où la province voisine a choisi de fixer des balises claires, la situation néo-brunswickoise repose davantage sur une interprétation souple des droits et des accommodements.
Cette marge d’interprétation explique la controverse actuelle : le DSFS estime avoir trouvé la solution la plus inclusive, mais certains observateurs considèrent que d’autres options étaient possibles. Le débat juridique se mêle alors à un débat social plus large, où se confrontent différentes visions de la neutralité scolaire.
Une controverse sociale révélatrice des tensions identitaires
Pour Mathieu Wade, sociologue à l’Université de Moncton, la polémique autour de la viande halal dépasse la question culinaire. Elle renvoie à des tensions profondes dans la société acadienne et néo-brunswickoise. « En Acadie, on sort d’une longue histoire où l’école et la religion étaient liées, et là, on a peut-être l’impression que la religion se réintroduit dans nos écoles par la porte de la cafétéria », analyse-t-il.
Dans ce contexte, la décision du DSFS apparaît comme un révélateur de la difficulté à concilier diversité culturelle, neutralité institutionnelle et cohésion sociale. Wade insiste sur la nécessité de définir un principe directeur clair, mais sans rigidité excessive. « On ne peut pas avoir des approches uniques et rigides, on va forcément avoir des problèmes », dit-il. La souplesse et la modération seront donc essentielles pour éviter que le débat ne dégénère, notamment sur les réseaux sociaux où les positions se polarisent rapidement.
Le contraste entre districts scolaires illustre cette diversité d’approches. Dans le Nord-Est, aucune école ne propose de viande halal, faute de demande. Dans le Nord-Ouest, seules deux écoles sur seize offrent ponctuellement du poulet halal, et l’une d’elles peut exceptionnellement fournir du bœuf halal. Ces choix reflètent une réalité locale : l’accommodement dépend non seulement du droit, mais aussi des besoins exprimés par la communauté.
Ce dossier met donc en lumière un enjeu majeur pour l’avenir du système éducatif au Nouveau-Brunswick : comment gérer, dans un cadre public et commun, la coexistence de croyances et de pratiques différentes ? Si la viande halal cristallise aujourd’hui les débats, d’autres questions similaires se poseront à mesure que la province accueillera une population de plus en plus diversifiée.