La cupidité et l’appât du gain n’ont aucune limite chez certains commerçants qui ne reculent devant rien pour se remplir les poches, même si pour cela ils doivent mettre la vie d’autrui en danger. Leurs pratiques scandaleuses peuvent aller jusqu’à vendre de la viande congelée comme étant de la viande fraîche avec tous les dangers que cela représente.
Après le fameux épisode de la viande de… baudet qui avait été vendue aux consommateurs au ramadan 2004, place cette fois-ci à celui sordide de la viande décongelée et de la remballe.
En dépit d’une réglementation drastique, d’une protection accrue du consommateur, de contrôles vétérinaires et d’une intensification de la lutte contre la fraude, les pouvoirs publics n’arrivent toujours pas à mettre de l’ordre dans cette incurie.
Et pour cause, une poignée seulement d’importateurs de viandes congelées rivalisent d’ardeur, depuis le scandale de la viande de baudet, en gestes de sécurisation du marché de la viande.
Les professionnels de la viande dignes de ce nom, eux, ne jurent que par la mise en place d’une «carte d’identité» du mouton exposé à la vente. Cette carte renseignerait sur tout ce qui concerne la viande qui atterrit dans nos assiettes : date d’abattage, origines, race, âge… Une traçabilité faite pour informer mais aussi pour rassurer le consommateur.
En attendant l’établissement de ce procédé, certains continuent dans leur forfait en ne reculant devant rien pour assouvir leurs instincts vénaux. Avec la complicité des revendeurs et des restaurateurs, ils font fi des règles élémentaires de conservation et de commercialisation des viandes congelées qui continuent d’être écoulées insidieusement à plusieurs endroits de la capitale et ailleurs, sous le label de viande fraîche.
L’anecdote que rapporte un citoyen, boucher de son état, que nous avons rencontré au marché de Boumaâti à El-Harrach, est pour le moins édifiante. Revendeur de viande congelée, il avait saisi la direction de la concurrence et de la répression des fraudes pour tromperie sur la qualité. Ces faits remontent à l’année 2009, quand il s’est aperçu que ses employés, de connivence avec un fournisseur, couvraient en toute connaissance de cause un gros trafic sur les dates limite de consommation de la viande congelée pré-emballée. «Le fournisseur, à défaut de remplacer la marchandise avariée, m’a proposé une indemnisation représentant le double de la somme que j’avais déboursée à l’achat. Une tentative de corruption à laquelle je n’ai pas succombé.»
A ce jour, la direction de la concurrence et de la répression des fraudes «n’a donné aucune suite à cette affaire», dit-il. Aujourd’hui, ce boucher soupçonne la quasi-totalité des fournisseurs disposant ou pas d’une licence d’importation de viande congelée de se prêter à ce genre de trafic. Toujours à Boumaâti, un restaurateur affiche ouvertement son adhésion à cette grave entrave aux règles élémentaires de commercialisation de produits alimentaires : il sert à ses clients de la viande congelée sans s’assurer auprès de son fournisseur de la validité de la date limite de consommation. A la place, il affirme, de façon péremptoire : «Ce n’est pas mon problème, il faut aller voir du côté de mon fournisseur à Baraki.»
Il reconnaît, toutefois, que «tout le monde sert aux clients de la viande congelée à la place de viande fraîche».
Notre déplacement à Baraki pour les besoins de notre enquête nous aura permis de faire un amer constat : tout le monde connaît le fournisseur en question… et tout le monde se tait !
C’est la loi de l’omerta en quelque sorte.
Les employés des restaurants et des boucheries craignent de perdre leur emploi et les patrons y trouvent leur compte. «Si vous êtes de la police, faites votre enquête. Le fournisseur est une personne connue», nous diront plusieurs citoyens accostés au centre-ville de cette commune.
Escale à Bordj El-Kiffan. A l’intérieur d’une rôtisserie, un client furieux quitte sa table et se dirige vers le présentoir. La viande qui lui a été servie n’est pas fraîche. «On nous refile de la viande congelée au prix de la viande fraîche, c’est une arnaque !», clame-t-il à l’adresse du serveur, tout en se dirigeant vers la cuisine, au fond de la salle, où il trouve les employés «jouant» du couteau, en attendant que la viande, qui se trouve dans un bac rempli d’eau, se décongèle pour pouvoir être découpée et vendue en brochettes ou steaks.
Et cela, tandis qu’un autre employé préparait des boulettes avec… la même viande. Révolté, le client lance au patron : «Vous êtes des criminels !». Se montrant conciliant, pour éviter tout scandale, le patron fait le dos rond et l’invite à s’en aller sans payer la note.
R.K