A propos de quelle suite donnera Ahmed Ouyahia à sa déclaration de soutien aux travailleurs d’ArcelorMittal Annaba, l’économiste et universitaire Salah Mouhoubi (*) voit en «la nationalisation totale ou partielle du complexe pour mettre fin à toute spéculation», l’unique solution au problème, estimant que «ce n’est pas parce que le groupe a des problèmes dans le monde que l’Algérie doit payer».
Le Jour d’Algérie : Le groupe mondial de l’acier ArcelorMittal a déclaré avant-hier en cessation de paiement le complexe d’El-Hadjar dont il détient 70%. Le gouvernement, lui, par la voix du Premier ministre Ahmed Ouyahia, entend intervenir pour empêcher la liquidation de cette filiale d’ArcelorMittal. Quels seront les scénarii que le gouvernement pourrait envisager ?
Salah Mouhoubi : Il ne peut y avoir plusieurs scénarios, puisque le complexe d’El Hadjar est stratégique pour l’Algérie. C’est le seul qui produise, pour le moment, de l’acier pour le pays. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’ArcelorMittal a des problèmes partout dans le monde (*), comme en France où il a fermé son usine. En ce qui concerne l’Algérie, ce qui vient d’arriver, n’a rien de surprenant. Il appartient donc aux pouvoirs publics de réagir comme l’ont fait les autres pays du monde où ArcelorMittal connaît des problèmes.
Comment pourront-ils alors intervenir ?

La seule solution éventuelle, si toutes les issues devaient s’avérées épuisées, c’est que l’Algérie tente de reprendre cet outil de production dans la mesure où cela rentre dans le cadre de sa stratégie industrielle et de développement des capacités de production du pays. Ainsi, dans ce cas de figure, les pouvoirs publics peuvent procéder à une nationalisation totale ou partielle du complexe. Dans ce cadre, il faut un plan de restructuration de l’entreprise quitte à procéder à des licenciements techniques. On doit arrêter de faire du social pour pouvoir préserver l’outil national.
A travers l’annonce de cessation de paiement, et la menace de dépôt de bilan, n’est-ce pas là une action spéculative du groupe en cette période critique tant nationale que régionale, où la paix sociale s’achète, sachant que l’Algérie bénéficie d’un matelas financier plutôt aisé ?
Très difficile de spéculer sur cet aspect. Il est vrai que le problème d’ArcelorMittal est un problème social, mais surtout c’est un problème inhérent à l’entreprise elle-même. Et justement avec la nationalisation, l’Etat viendra mettre fin à toute spéculation. Ce n’est pas parce que le groupe a des problèmes dans le monde que l’Algérie doit payer.
Admettons que nationalisation il y a, que deviendront les créances d’ArcelorMittal, sachant qu’il a emprunté 50 millions d’euros à la BEA ?
Là, il s’agit d’un problème technique que les deux parties devront résoudre, et l’Algérie posera ses conditions. S’il le faut, l’Algérie peut assigner ArcelorMittal en justice pour non- respect de son engagement d’investir, d’augmenter ses capacités de production. Elle peut également poser le problème de la qualité de gestion de l’entreprise qui n’a pas rempli sa feuille de route. En tout état de cause, l’Algérie pourra faire valoir ses droits concernant ce problème précis.
Fermetures à répétition : Même patron, mêmes attaques
(*) ArcelorMittal, propriété de l’Indien Lakshmi Mittal, a récemment, en dépit de mesures fiscales en sa faveur, fermé des unités de production à Liège (Belgique) mettant en péril au moins 2 000 emplois dont 581 postes directs. Une fermeture qui est survenue alors que l’usine est pourtant bénéficiaire, en ce sens où en 2010, elle a réalisé un bénéfice de 35 millions d’euros sur lequel le groupe a payé seulement 936 euros d’impôts (selon l’Humanité, journal français, du 4 janvier 2012). Par ailleurs, le géant mondial a également annoncé, courant 2011, des mises à l’arrêt des hauts fourneaux à Florange en Moselle, en France, où là aussi
1 000 emplois sont menacés. Scénario identique à Eisenhüttenstadt, en Allemagne, au Luxembourg, à Montréal, et aux Etats-Unis. Des fermetures que la direction du groupe justifie notamment par une baisse des commandes, en cette période de crise.
Qui est ArcelorMittal ?
ArcelorMittal est le n° 1 mondial de la sidérurgie, dont le siège social établi dans la ville de Luxembourg, avec 290 000 employés dans plus de 60 pays. Le groupe a été fondé en 2006 suite à la fusion d’Arcelor et de Mittal Steel.
L’activité du groupe s’organise autour de 3 pôles :
– vente d’aciers plats au carbone : bobines d’aciers laminés à chaud et à froid, tôles revêtues…
– vente d’aciers longs au carbone : poutrelles, ronds à béton, aciers marchands, fils machines, fils de sciage, palplanches, rails de transports en commun, profilés spéciaux et produits de tréfileries ;
– autres : vente de tuyaux et de tubes, activités de transformation, de distribution et de négoce d’aciers. Les produits du groupe sont essentiellement destinés aux secteurs de l’automobile, de l’électroménager, de l’emballage et de la construction. La répartition géographique du CA (hors activités arrêtées) est la suivante : Allemagne (9,2%), France (6,8%), Espagne (5,9%), Europe (26,1%), Etats-Unis (16,6%), Amériques (19,3%), Asie et Afrique (16,1%).
Entretien réalisé par Lynda Naili Bourebrab