Veillée funèbre jeudi au village du défunt, Longue nuit d’attente et d’émotion à Ath-Ahmed

Veillée funèbre jeudi au village du défunt, Longue nuit d’attente et d’émotion à Ath-Ahmed

Des visiteurs pleurent. Certains, envahis par une forte émotion, quittent le mausolée, bouleversés par un chant de femmes qui raconte un pan de la vie dure de Dda L’Hocine.

Jeudi 31 décembre 2015. Il est 10h. C’est à hauteur de Tissirth N’Cheikh (Moulin du Vieux), soit à trois kilomètres du village Ath-Ahmed, que l’accès aux voitures est fermé. Des espaces ont été aménagés pour le stationnement des véhicules. À côté, sur une grande surface rase, des tentes de la Protection civile sont installées depuis déjà mardi. Des ouvriers installent de grands chapiteaux devant accueillir la foule. Des fourgons commencent à livrer les premiers équipements pour l’installation des projecteurs et l’écran géant prévu pour la transmission en direct de la mise en terre de la dépouille du héros défunt Hocine Aït Ahmed. Pendant ce temps, des bus de ramassage scolaire de la commune d’Ath Yahia assurent le transport des visiteurs de Tissirth N’Cheikh vers Ath-Ahmed. C’est une longue, étroite et sinueuse descente. Ce n’est pas chose facile que d’atteindre le hameau du dernier des historiques. Certains s’aventurent déjà à faire le chemin à pied. C’est une épreuve. Un effort à consentir pour se sentir moins coupable vis-à-vis de celui qu’on n’a pas su aimer à sa juste valeur. C’est ainsi que l’entendent certains. Il est 11h, et les gens affluent à la demeure de Dda L’Hocine par groupes de dix. Des policiers surveillent l’arrivée et le départ des bus et des véhicules qui, exceptionnellement, sont autorisés de passage. Il faut vraiment être de la famille proche pour pouvoir y accéder en voiture. Khider Aït Ahmed, cousin du défunt révolutionnaire, accueille les visiteurs depuis déjà le petit matin. C’est un peu le gardien de la mémoire au village. Il se tient d’ailleurs fièrement, enveloppé dans son burnous, devant le mausolée du Cheikh Mohand Ou L’Hocine, l’ancêtre du héros défunt. C’est une modeste et petite demeure ouverte sur les deux côtés et dont la tuile verte couronne les alentours. Une âme pieuse l’habite et les fidèles du Cheikh disent sentir sa présence. Une vieille dame, habillée en robe kabyle, qui a fait le déplacement déjà la veille à partir des Issers, loue les mérites du marabout. Elle a passé la nuit sur place. Elle passera encore la nuit de jeudi à vendredi pour assister à l’enterrement.

Elle rejoint un groupe de femmes qui récitent des chants religieux à l’intérieur du mausolée. Elles chantent, en tamazight, la foi et la miséricorde. Mais pas seulement. En un laps de temps très court, elles changent de ton et montent d’une gamme. Elles chantent la douleur, l’exil et le retour d’un être cher : “Ici repose ta maman que tu n’as pas pu enterrer. Ils t’ont forcé à l’exil. Tes larmes coulaient tel un déluge de pluie. Ton père et ta sœur enterrés en Tunisie et que tu n’as pas pu rapatrier… Certains disaient que tu n’allais jamais revenir, mais nous, nous savions que tu allais finir par rentrer chez toi, parmi les tiens…”.

Des visiteurs pleurent. Certains, envahis par une forte émotion, quittent le mausolée. Ils s’installent à l’extérieur pour boucler le rituel et allumer une bougie sur la modeste chaise en pierre du Cheikh Mohand Ou L’Hocine. C’est ici qu’il trônait au milieu du 19e siècle, lorsque les gens venaient consulter sa sagesse. Il est midi trente. Une grande foule se forme autour d’une voiture qui arrive à l’instant. C’est le célèbre chanteur kabyle Aït Menguelet. L’autre cousin du héros défunt, Dda Boussaâd Aït Ahmed, va à son accueil. Dda Boussaâd est occupé depuis quelque temps à diriger l’équipe qui réceptionne les matériaux de construction devant servir à l’édification de la tombe de Dda L’Hocine. Il sera enterré à l’entrée du mausolée dans la même tombe que sa mère. Benkadache Myassa, épouse Aït Ahmed, est décédée en 1983 pendant que son fils était en exil. Hocine Aït Ahmed n’avait pas pu rentrer au pays organiser les funérailles de sa propre mère. À côté, repose également un frère peu connu de Dda L’Hocine. Il s’agit de Mohand Lâarbi Aït Ahmed, mort en 1947 à l’âge de 14 ans. Dda Lounis, lui, est toujours coincé parmi la foule. Bientôt des policiers interviennent pour lui libérer le passage. De jeunes gens se le disputent depuis déjà un moment. Ils veulent tous prendre une photo avec lui. Le célèbre chanteur kabyle ne semble pas d’humeur à poser pour des photos. La tristesse se lit sur son visage et ce n’est qu’à contrecœur qu’il daigne satisfaire le souhait de ses fans. 15h approchent. L’avion transportant la dépouille de Hocine Aït Ahmed à partir de Lausanne ne devrait pas tarder à atterrir à l’aéroport d’Alger. L’idée de son retour sur le sol national excite la foule. Même s’il revient dans un cercueil. Ici, les gens guettent la moindre information provenant d’Alger. Ils attendent aussi la transmission à la télévision de l’arrivée de la dépouille à Alger. Mais il y en a un qui semble avoir l’esprit ailleurs.

Dans le passé. Dans le maquis. Hadj Amar Rabah, moudjahid et compagnon de lutte de Dda L’Hocine, se tient à l’écart de la foule. Il a le portrait de son défunt chef révolutionnaire accroché au cou. Il ne veut plus s’en séparer. Hocine Aït Ahmed s’est abrité pendant une semaine chez lui, en 1963, à Aït Saâda. “Je garde à ce jour le sommier sur lequel il dormait”, dit-il fièrement. Et c’est ce bref passage de Dda L’Ho qui a convaincu son hôte à prendre le chemin du maquis. Hadj Amar Rabah préfère l’appeler le “chemin de la liberté”. Il se souvient d’ailleurs d’une anecdote pour le moins bouleversante. “Un jour, nous étions dans une cache au maquis lorsqu’un homme de la Révolution qu’on appelait Grand-Père, a ramené à Dda L’Ho son fils Jugurtha pour le voir. Hocine Aït Ahmed lui a demandé s’il travaillait bien à l’école et Jugurtha l’a étonné avec une réponse inattendue. Il lui a dit pourquoi cette question papa, n’est-ce pas que tu es en guerre contre les Arabes ? Dda L’Ho lui a expliqué que c’est contre le régime qu’il était en guerre et non pas contre les Arabes, avec lesquels d’ailleurs, il a libéré le pays…”, raconte-t-il. Il commence déjà à faire nuit. L’accès en voiture aux alentours du village Ath-Ahmed devient de plus en plus impossible. Des files de voitures sont stationnées tout au long des deux chemins qui mènent à Tissirth N’Cheikh. Les visiteurs abandonnent leurs véhicules pour continuer le chemin à pied. Ils arrivent au village du défunt, enveloppés dans des couvertures. Ils comptent dormir sur place, à la belle étoile. Il est 22h passées et le hameau Ath-Ahmed grouille de monde. Difficile de se frayer un chemin. Une grande queue se forme devant une table placée à l’entrée de la demeure familiale. Les visiteurs gravent, tour à tour, leurs noms sur le registre de condoléances pour laisser un mot. Pendant ce temps, la famille Aït Ahmed livre de grandes assiettes de couscous. Les gens mangent debout. Il n’y a pratiquement pas d’espace pour se poser. Minuit approche et trois petits chapiteaux installés en bas du mausolée abritent toujours un groupe de chant religieux.

M. M.