Le Printemps arabe a accouché d’un automne islamiste
«Nous avons été surpris hier par les révolutions arabes, regardons avec un peu de bienveillance les démocraties qu’elles font aujourd’hui.»
L’espoir de l’avènement de la démocratie en Tunisie et en Libye s’est évaporé après l’arrivée des Islamistes au pouvoir. Cette situation, la démocratie qui bute contre l’islamisme, a été profondément expliquée dans une étude qui vient d’être rendue publique par Luis Martinez, directeur du Centre de recherche international Ceri-Sciences Po. «La Tunisie aujourd’hui, comme la Libye demain, ne cessent de nous donner des leçons tant nous avons perdu le sens des réalités avec cette région, pourtant si proche de nous (l’Europe)», a fait remarquer M. Luis Martinez dans son étude intitulée «Tunisie et Libye: l’apprentissage de la démocratie». En Tunisie, le directeur du Ceri-Sciences Po a soutenu que «la victoire d’Ennahda ne fait pas peur mais elle déçoit», en particulier pour tous ceux qui espéraient, dit-il, le succès politique des cyberdissidents, blogueurs et opposants politiques non islamistes. Et pour remédier à cette situation, il faut, soutient-il, aux gens qui ont renversé Ben Ali de transformer leur courage en intelligence politique au service de formations capables de rivaliser avec le parti islamiste Ennahda. «Le passage de la contestation à la conquête du pouvoir politique nécessite une organisation, seule à même de capitaliser et d’exploiter les opinions et le sentiment diffus d’insécurité né de l’inquiétude post-révolutionnaire» a précisé M. Luis Martinez. Selon lui, l’inquiétude actuelle de la victoire d’Ennahda en Tunisie, suscite plusieurs questions: «Préférions-nous des élections «gagnées d’avance» à un véritable scrutin dont le résultat est forcément incertain? Pouvons-nous vraiment envisager d’annuler le processus électoral si le résultat n’est pas conforme à nos attentes? Est-ce là notre conception de la démocratie?» Pis encore, il a souligné dans son étude que l’approche «paternaliste, mercantile et apeurée» de la Libye, de la Tunisie et des pays de la région a mis l’Occident à dos des populations qui ne comprennent pas son double discours. Un discours comprenant «la liberté et démocratie pour les pays de l’ex-Europe de l’Est; inquiétude et déception en ce qui concerne le Monde arabe». Pour cet expert, les islamistes devront, à long terme, démontrer leurs qualités et dépasser leur image de formations politiques maltraitées par l’ancien régime, pour rester crédibles auprès de l’opinion. Cela constitue, note-t-il, une condition pour que ces formations islamistes y puissent réussir à bâtir un Etat de droit. Il a également suggéré aux partenaires des pays en transition (Occidentaux) de ne pas jeter l’anathème sur ces partis islamistes, mais soutenir l’instauration d’un Etat de droit, seul à même de garantir dans ce champ politique revitalisé, les droits et le respect de tous. «Nous nous réjouissons que des islamistes acceptent de prendre le risque de se frotter à la vie politique, s’exposant au principe de réalité et donc acceptant pour gouverner l’alliance avec d’autres partis éloignés de leur idéologie», a-t-il fait savoir, avant de suggérer aux pseudo-experts, qui se sont évertués à entretenir la confusion, depuis le 11 septembre 2001, entre Islam, islamisme et terrorisme, de comprendre que tout parti politique dont les valeurs prendraient leur source dans l’Islam, serait potentiellement dangereux. Abordant le cas de la Libye, le responsable du Ceri-Sciences Po s’est aussi interrogé sur l’avenir de ce pays sortant, à peine, de deux événements majeurs, qui sont venus ternir l’image des «combattants de la liberté» libyens: «L’insoutenable lynchage de Mouammar El Gueddafi et le souhait du Conseil national de transition libyen (CNT) de réintroduire la charia dans le pays.» Ces deux événements ont ravivé clichés et préjugés sur la Libye. A ce sujet, le directeur de recherche au Ceri-Sciences Po a précisé que «si l’exécution de Mouammar El Gueddafi nous interpelle sur la capacité du CNT à contrôler tous ceux qui ont pris les armes contre l’ancien régime, les propos de Moustapha Abdeljalil, président du CNT, sur la charia raniment le sentiment d’inquiétude». A partir de quoi, selon lui, beaucoup d’Occidentaux se demandent déjà s’il ne serait pas préférable de ne pas organiser d’élections en Libye! A ce propos, M. Luis Martinez s’est posé les questions suivantes: «La Libye deviendra-t-elle un Etat islamique? Va-t-elle sombrer dans le chaos? Avons-nous créé une Somalie en Méditerranée?» Donc la peur se nourrit, désormais, du sentiment que Tripoli n’est pas Tunis: en Libye, il n’y aurait point de société civile mais seulement des tribus composées de farouches et fanatiques combattants…
Ignares, bédouins illuminés, les islamistes libyens seraient-ils plus dangereux que leurs homologues tunisiens? Pourtant, les Français, a-t-il ajouté, étaient prêts, en toute quiétude, à vendre des Rafale et des centrales nucléaires à Mouammar El Gueddafi, un vent de panique se lève en raison de la probable victoire des islamistes aux prochaines élections. C’est dire que le défi est le même qu’en Tunisie. Les partis et organisations non islamistes doivent intégrer et canaliser au sein d’un espace politique naissant, aspirations et projets contradictoires. «Nous avons, hier, été surpris par les révolutions arabes, regardons avec un peu de bienveillance les démocraties qu’elles font éclore aujourd’hui», a conclu M. Luis Martinez
