Pour son premier scrutin depuis le début du Printemps arabe, l’Algérie élira ses députés, mais pourquoi des législatives anticipées?
Prévues pour mai 2012, les élections législatives pourraient bien être avancées à février ou mars. Elections propres ou gérées selon la politique des quotas? Victoire islamiste comme les voisins ou maintien au pouvoir du fort courant nationaliste. En ce 7 décembre gris et froid, le ministre des affaires étrangères algérien, Mourad Medelci est l’invité de l’Assemblée française, où il doit s’expliquer sur les orientations de son pays. En bon VRP, le ministre défend la politique Bouteflika et tout le bien que son président, enfant du même village que lui, pense de la démocratie, des réformes et du printemps en général. D’ailleurs, surprise, il annonce la tenue d’élections législatives pour février ou mars prochain, alors qu’elles sont prévues en mai. Encore une fois, l’Algérien apprendra le contenu de son agenda politique à partir de Paris, l’Etat restant muet à Alger. Justement, et une victoire islamiste? A la question sournoise d’un député français, le ministre rassure et rappelle qu’ «en cas d’élections législatives libres et transparentes», l’Algérie a «montré l’exemple en intégrant de nombreux partis islamistes au sein de son Assemblée.
FIS, interdit de cité
Alger, la veille, boulevard du Front de mer Zighout Youcef, à quelques pâtés de maisons où le général Marcel Bigeard aimait faire parler les résistants de la Casbah, l’Assemblée algérienne vote une nouvelle loi sur les partis, en prévision des prochains scrutins. Celle-ci est claire, elle souligne «l’interdiction de création d’un parti aux auteurs de crimes de sang», allusion aux anciens du FIS, islamistes radicaux, mêlés à de nombreux crimes terroristes. Le garde-fou est maintenu, l’islamisme radical, bien que dilué dans d’autres mouvances, ne sera pas représenté. Restent les autres partis, plus softs. Sur la cinquantaine de partis politiques algériens une quinzaine sont d’obédience islamiste, avec le plus en vue, le Front pour la Justice et le Développement( FJD) d’ Abdellah Djaballah (non agréé, équivalent du PJD marocain) et le plus toléré, le Mouvement de la société pour la paix (MSP), l’équivalent du parti Ennahda tunisien, associé au pouvoir mais qui ces derniers temps joue à l’opposition: «La percée historique des islamistes en Tunisie, au Maroc et en Egypte aura un effet inducteur positif sur la mouvance islamiste en Algérie», a déclaré Bouguera Soltani, le leader du MSP. Un fait ou un effet?
Pourquoi des élections ?
L’Algérie, grand corps malade, ne boîte pourtant pas. Le trépied est une forme stable et c’est pour cette raison que le régime algérien a choisi sa représentation sur la base de trois partis pour former l’alliance au pouvoir, qui se partagent ensuite la majorité des sièges de l’Assemblée. Le FLN, historique parti nationaliste devenu conservateur, le MSP, qui rassemble les islamistes modérés hostiles à la violence, et le RND, autre structure nationaliste censée renouveler le vieux FLN et représenté par l’actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia.
Nationalistes et islamistes gèrent le pays, même si à part le FLN, Front de Libération Nationale, créé en 1954 à la veille de l’insurrection générale pour lutter contre le colonialisme français, aucune de ces structures béquilles du régime ne sont des créations spontanées; le MSP a été créé en 1990 pour contrer l’islamisme radical, alors représenté par le FIS et ses différents courants. Le RND, parti d’apparatchiks a aussi été fondé récemment (en 1997) pour casser l’alliance qui se dessinait entre le FLN et les islamistes et revigorer le courant nationaliste, théoriquement moderniste et anti-islamiste.
Les démocrates et les progressistes?
Absents, relégués dans l’opposition, assis sur quelques strapontins de l’Assemblée, faisant figure d’alibi quand une délégation étrangère est de passage ou pour fournir le gros des troupes de manifestants qui défilent à longueur d’année. Cette donne va-t-elle changer? Pour son premier scrutin depuis le début du Printemps arabe, l’Algérie élira ses députés, mais pourquoi des législatives anticipées? D’abord pour absorber le mécontentement, couper l’herbe sous le pied de l’opposition qui exige une élection présidentielle anticipée puis faire croire que les réformes connaissent un débouché pratique, l’adoption d’une nouvelle Constitution par le nouveau Parlement. Mais surtout, il s’agit pour le régime de ne pas laisser le temps aux islamistes algériens de s’organiser, dopés par les victoires de leurs frères au Maroc, en Tunisie et en Egypte, et de ne pas avoir à répondre aux nouvelles demandes d’agréments de partis islamistes, comme celles de Abdallah Djaballah et Mohamed Saïd, influents au sein du mouvement et aptes à tisser de larges alliances. Pour le régime, il s’agit de faire vite, quitte à faire mal.
L’Algérie en 2012, avec ou sans les islamistes?
Même si l’assemblée n’a pas réellement de poids sur l’orientation politique du pays, il faut quand même réfléchir. Le pays est toujours dirigé par un ménage à trois, la Présidence, l’armée et le DRS, les services du renseignement militaire. Tous les trois viennent de se mettre d’accord pour des élections afin de contenir les islamistes. Soit par le partage de la rente (le MSP), soit en instillant la déstabilisation interne (le cas de Djaballah, évincé deux fois de son propre parti), soit encore par l’interdiction pure (le FIS et les anciens des mouvements radicaux). Mais s’ils sont divisés, les islamistes ont le vent en poupe. Les déclarations et les contacts se multiplient, Abassi Madani, ex-leader du FIS en exil, vient de menacer d’en recourir aux instances internationales pour contester la nouvelle loi sur les partis et son fils vient de lancer une télévision qui émet à partir de Londres, que l’on dit déjà assistée par Al Jazeera. Quand à l’ex-numéro 2 du FIS, le virulent Ali Benhadj, il continue à agiter les foules à partir d’Alger, où il est régulièrement embarqué par la police pour son activisme. Dans une récente interview, il affirme «avoir des ambitions politiques, et même de devenir président.»
Une campagne électorale à minima
Les islamistes auront-ils le temps de se rassembler d’ici un mois? C’est l’inconnue, les leaders de la mouvance s’affairent pour être prêt à temps. «Nous ne sommes pas encore au stade de l’alliance, mais le débat est ouvert avec les islamistes algériens», explique le leader du MSP. «Nous avons le devoir, nous islamistes algériens, d’être à la hauteur des attentes de notre société qui veut être gouvernée par les islamistes», ajoute-il. Alors, victoire verte? Inéluctable selon plusieurs observateurs algériens, peu probable selon d’autres, les Algériens sont encore traumatisés par les dérives du FIS et préfèrent voter nationaliste pour éviter l’affrontement avec les militaires, hostiles au courant, même si le président Bouteflika a plus ou moins fait le lit de l’islamisme. De plus, le régime algérien est un spécialiste en serrurerie. Premier verrou, la fraude électorale, qu’il a l’habitude de gérer. Le second, l’atomisation de la mouvance islamiste par la manipulation. Le troisième enfin, la révision constitutionnelle de 2008 et son article 78 qui stipule que «toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte au caractère républicain de l’état et à l’ordre démocratique, basé sur le multipartisme.» Au cas où. «Si les islamistes s’en sortent», explique un éditorialiste, «on pourra les considérer comme des magiciens». Oui, mais la religion n’est-elle pas justement de la magie?
Chawki Amari