Le milliardaire égyptien Nassef Sawiris a récemment décidé de scinder Orascom Construction and Industries (OCI) en deux entités nouvelles et ne donne pas l’impression de redouter une quelconque réaction de Sonatrach, son partenaire dans l’usine de fertilisants, en cours de réalisation à Arzew.
Alors que l’Autorité égyptienne de surveillance financière (EFSA) semble se diriger vers une véritable bataille de procédures contre Nassef Sawiris, pour empêcher le démembrement du groupe industriel, Sonatrach, qui a lancé le plus grand projet en Algérie d’urée et d’amoniac avec ce dernier, tarde à faire valoir ses droits face à la scission d’OCI ce qui fait ainsi perdre à l’Algérie beaucoup d’argent et de temps.
Sawiris, l’éternel récidiviste
Les dernières décisions prises par Nassef Sawiris nous rappellent étrangement le scénario de 2007, lorsqu’il avait opté pour une fusion-acquisition avec Lafarge et faire bénéficier cette société de cimenteries de toutes les facilités qui ont été accordées à OCI par le gouvernement algérien. Et c’est d’ailleurs à cause de cette fusion, dénoncée par le président de la République lors d’une rencontre avec les élus locaux, que la loi de finances complémentaire de 2009 avait accordé au gouvernement le droit de préemption sur les changements de portefeuilles des entreprises étrangères opérant en Algérie.
L’on se retrouve avec la même logique depuis plus d’un mois. Le groupe OCI a été scindé en deux entités nouvelles, Orascom Industries et Orascom Construction. Par conséquent, OCI, qui a investi en Algérie avec la Sonatrach n’aura plus d’existence légale dès lors que l’opération est avalisée par l’autorité boursière du Caire. En outre, des parts sociales du groupe ont été acquises par des tiers. Outre la banque américaine The Bank Of New York Mellon, Abu Dhabi Investment et Lazard Emerging ont pris des participations dans cette nouvelle entité. D’ailleurs Sawiris ne compte plus que 1,47% du capital de la nouvelle entreprise qui voit la banque américaine rafler 72,45% des actions.
D’autre part, Sawiris a signé le 26 janvier 2010 avec la banque Morgan Stanley, un accord portant sur la constitution d’une jointventure pour le développement des activités d’OCI au Moyen-Orient et en Afrique. Ainsi, les parts détenues par OCI dans Sorfert en Algérie, ont voyagé vers cette joint-venture. La Sonatrach et sa tutelle sont donc tenues de saisir toutes ces opportunités et user de tous les arguments juridiques pour sauver les intérêts de l’Etat algérien engagé dans la société Sorfert, créée en association avec OCI de Nassef Sawiris.
Chakib Khelil a-t-il piégé Ouyahia ?
La société Sorfert, qui gère le projet du complexe d’Arzew, a été conçue par Chakib Khelil en février 2006 avec beaucoup d’avantages accordés aux Egyptiens d’OCI qui détiennent d’ailleurs 51% de son capital alors que la Sonatrach a été astreinte à se contenter de 49% seulement de parts sociales.
Partie avec un capital social de 200 millions de dollars, Sorfert qui promettait de produire 2 000 tonnes/jour d’ammoniac et de 3 250 tonnes / jour d’urée, devait engloutir un investissement de l’ordre de 1,6 milliard de dollars. La première concession accordée au partenaire égyptien réside dans le financement du projet. Au lieu d’engager les apports financiers au prorata de chaque associé, l’Egyptien Sawiris n’a fourni que 30% du coût global de l’investissement, soit un montant de 650 millions de dollars. Les 70% restants du montant sont assurés par un consortium de banques algériennes, avec la BEA comme chef de file. Les travaux de réalisation clés en main de ce complexe industriel ont été confiés au groupe allemand UHDE, pour un montant de 120 milliards de dinars. Contrairement aux autres associations dans lesquelles il engageait la Sonatrach avec des montants bien plus importants, Chakib Khelil a pris le soin d’impliquer tout le gouvernement dans le projet Sorfert. Avant-même d’engager ce projet, il pensa à l’alimentation en gaz. Dans une démarche digne des grands maîtres de la stratégie, il réussit à convaincre l’ancien chef du gouvernement Ahmed Ouyahia de se substituer à l’ARH (l’Agence nationale de la régulation des hydrocarbures) et signer un décret exécutif portant sur les prix de cession du gaz sur le marché national (décret exécutif n°05- 128 du 24 avril 2005). Cette décision a été prise à peine quatre jours avant l’amendement de la loi sur les hydrocarbures du 28 avril 2005 afin de dissocier les amendements de la loi des questions liées au prix du gaz et éviter un effet rétroactif des amendements introduits.
Le décret d’Ahmed Ouyahia permettait ainsi à l’investisseur égyptien d’obtenir un prix du gaz qu’il ne trouverait nulle part ailleurs dans le monde. La Sonatrach devra ainsi fournir sur 20 ans, la quantité de 35 milliards de mètres cubes de gaz naturel avec un prix presque quatre fois moins cher qu’à l’international. Un simple calcul de marges fait ressortir des centaines de millions de dollars économisés par le partenaire égyptien. Une fois cette question réglée, Chakib introduit le dossier de Sorfert au niveau du Conseil national de l’investissement (CNI, conseil interministériel présidé par le chef du gouvernement). Le 24 juillet 2006, le projet Sorfert a été approuvé et un régime de la convention d’investissement et l’octroi d’avantages lui ont été accordés. Aucun membre du gouvernement n’avait posé de questions sur la position majoritaire de l’Egyptien Sawiris. Il aura fallu attendre jusqu’au 27 novembre 2006 pour s’apercevoir du sens de l’anticipation tant développé par Chakib Khelil.
Ce jour-là, le CNI avait accordé au projet Sorfert la formule de calcul du prix du gaz naturel livré à l’usine sur la base du fameux décret signé deux ans plus tôt par Ahmed Ouyahia. Ce même CNI revient sur le dossier de Sorfert en décembre 2007 pour approuver la convention d’investissement conclue avec l’ANDI en termes d’avantages fiscaux. Ce n’est pas encore fini avec les procédures de Chakib Khelil. En date du 4 mars 2007, il parvient à impliquer le Conseil de participation de l’Etat (CPE) dans la décision de la création des deux sociétés conjointes de production et de commercialisation constituées entre la Sonatrach et Orascom Construction Industries. Outre Sorfert et son usine de production, on devait créer Sorfert Marketing en offshore pour la prise en charge de la commercialisation des fertilisants. Ce n’est que le 17 mars 2007 que l’accord d’association entre la Sonatrach et OCI a été signé. Cet accord sera paraphé le 16 juin 2007 par le conseil d’administration de la Sonatrach alors qu’il devait être le premier à intervenir dans cette chaîne de montage. L’affaire Lafarge allait quelque peu limiter les marges de man?uvre de Chakib Khelil. Car, après la signature du contrat de création de Sorfert, Sawiris avait introduit de nouveaux associés dans le capital d’OCI et risquait de provoquer une nouvelle crise avec le gouvernement algérien. Mais cette mutation d’OCI n’empêchera pas Chakib Khelil de convaincre Ahmed Ouyahia de renoncer à la joint-venture de commercialisation des produits Sorfert. Ainsi, le 11 janvier 2009, le CNI tient sa 38e session et décide d’abandonner le projet de création d’une société de commercialisation en offshore. Ouyahia était-il sous pression ? On n’en sait rien. Mais, si on devait attribuer tout le montage technique et financier à Chakib Khelil, l’ancien chef du gouvernement Ahmed Ouyahia devrait également être mis à l’index pour avoir participé à la mise en place de tout l’arsenal juridique ayant permis à Nassef Sawiris d’avoir raison de tout l’Etat algérien. Fidèle à ses pratiques, Chakib Khelil ne s’est pas limité au projet Sorfert. Dans l’activité aval, il a réussi à reproduire le même scénario pour imposer une autre association entre la Sonatrach (49%) et le mystérieux groupe omanais Suhail Bahwan (51%) pour la constitution en mars 2008 de la joint-venture dénommée Sharkia El Djazairia El Omania lil Asmida (AOA). Elle devait produire 4 000 tonnes/ jour d’ammoniac et 7000 tonnes/ jour d’urée. Le dossier est lourd. N’importe quel enquêteur mettrait beaucoup de temps pour reconstituer le puzzle.
Des retards et beaucoup de chantage
Le complexe d’Arzew accuse déjà un retard de plus d’une année et coûte énormément d’argent au pays. Le maître d’ouvrage allemand n’arrive pas à livrer les installations à temps et la formation du personnel qui devra les faire fonctionner est à son niveau primaire. La société allemande UHDE a proposé des formules de mise à disposition de personnel expatrié avec des rémunérations mensuelles allant jusqu’à 40 mille euros pour chaque cadre. Pour résoudre le problème, Sorfert use de cet argument financier pour se tourner vers la société de Sawiris, OCI en l’occurrence, pour la mise à disposition de main-d’?uvre spécialisée. OCI s’adresse à un sous-traitant indien pour la mise à disposition de quelque 130 expatriés dont les salaires sont six fois plus chers que ceux de leurs homologues algériens. D’ailleurs, en mars 2011, les employés algériens de Sorfert ont adressé à leur direction une plateforme de revendications exigeant l’installation d’une section syndicale, l’augmentation des salaires et d’autres primes. La Sonatrach ne s’est pas inquiétée pour autant. Pire encore, lorsque les services des douanes ont commencé à s’intéresser à Sorfert, les partenaires égyptiens de la Sonatrach ont saisi tous les responsables du pays pour signifier que les éventuelles poursuites judiciaires engagées contre la société par les douanes sont susceptibles de provoquer l’arrêt du projet. Au lieu de réclamer des pénalités auprès de la partie égyptienne, la Sonatrach comptabilise une perte de l’ordre de 50 millions de dollars par mois en raison des retards accusés dans la livraison de l’usine qui devait entrer en service au mois de février 2011. Par conséquent, en dépit de ces millions de dollars consentis, Sorfert n’arrive toujours pas à réceptionner son usine. On s’accorde à dire que tout sera fin prêt pour mars prochain, mais cette annonce est perçue avec beaucoup de scepticisme. On pense surtout à Sawiris qui tente de rassurer ses investisseurs, après les catastrophes subies lors du troisième trimestre 2012. Ses bénéfices ont chuté de 18,9% alors que l’EBIDTA a reculé de 30,7%. Sawiris promet à ses investisseurs de réaliser de très bons résultats à partir du premier trimestre 2013.
Le P-dg de Sonatrach terrorisé
Tous les experts au fait de ce dossier affirment que l’actuel P-dg de la Sonatrach rechigne à fouiner dans l’affaire Sorfert. Son ministre ne cherchant visiblement pas à s’immiscer dans les anciennes combines de Chakib Khelil, se tourne carrément vers des objectifs à l’horizon 2020 et 2030. Les experts ont tiré la sonnette d’alarme surtout sur la question de l’alimentation en gaz du projet Sorfert. Avec l’entrée en service des nouvelles centrales électriques, le complexe Bellara et la hausse de la consommation locale en gaz, la Sonatrach continue d’inscrire Sorfert au chapitre des priorités nationales. Dans son programme à moyen terme (PMT 2012-2016), la Sonatrach souligne le fait que «le marché national absorbera près de 252 millions TEP dont 67% de gaz naturel suite à l’augmentation continue de la demande pour satisfaire le programme national de raccordement en gaz naturel et les nouvelles centrales électriques ainsi que la demande des nouveaux complexes d’ammoniac et d’urée d’Arzew Sorfert et AOA (l’autre association entre la Sonatrach et la minuscule société omanaise). Ainsi, les besoins en gaz naturel du marché national seront de l’ordre de 32,5 milliards m3 en 2012 et passeront à 38,2 milliards m3 en 2016». Du coup, on constate que la Sonatrach est appelée à fournir 1,75 milliard de mètres cubes de gaz annuellement à Sorfert, sans pour autant défendre ses intérêts dans cette association. Cap sur les Etats-Unis Les chiffres du groupe OCI font ressortir une tendance de Sawiris vers un départ progressif. Il ne cesse d’introduire les banques américaines et les fonds d’investissement du golfe Persique dans le capital du groupe avec, à chaque fois, une baisse de ses participations dans le capital. En septembre dernier, Sawiris a annoncé son projet de construction d’une usine d’engrais aux Etats- Unis, dans l’Iowa qui est le plus important Etat américain producteur de maïs. Le projet, d’un coût de 1,4 milliard de dollars, devrait commencer la production au cours du premier semestre de 2015. Il devra produire annuellement entre 1,5 et 2 millions de tonnes d’ammoniac, d’urée et de nitrates, soit les mêmes quantités qui ont été promises pour le complexe d’Arzew. Avec les prix du gaz relativement bas depuis l’arrivée massive des gaz de schiste, Sawris entend non seulement réaliser de bonnes marges aux États-Unis, mais surtout concurrencer la production algérienne sur les marchés internationaux.
Mokhtar Benzaki