La décision prise lundi 18 mai par la Cour suprême des Etats-Unis pourrait bien faire jurisprudence. Par cinq voix contre quatre, la plus haute instance judiciaire américaine a estimé qu’un ancien haut responsable de l’administration Bush et le directeur du FBI n’avaient pas à répondre devant la justice des dérives dans les arrestations antiterroristes, en mettant fin à des poursuites engagés par un Pakistanais arrêté peu après le 11-Septembre.
Javaid Iqbal, emprisonné en 2001 pendant cinq mois dans une prison de haute sécurité et maltraité, selon ses dires, avant d’être expulsé sans qu’aucune charge n’ait été retenue, demandait que la justice reconnaisse la responsabilité de Robert Mueller, directeur du FBI, et John Ashcroft, alors ministre de la justice. La Cour suprême a conclu qu’ils n’étaient pas passibles de poursuites, renversant une décision de la cour d’appel fédérale de New York.
Les avocats de M. Iqbal maintenaient que l’attitude et les déclarations des responsables de la police et de la justice fédérales après les attentats ouvraient la voie aux arrestations au faciès et aux interrogatoires musclés de musulmans. « La plainte ne montre pas que les requérants aient volontairement incarcéré des individus en raison de leur race, religion ou origine », souligne la décision de la Cour, qui n’écarte cependant pas, au vu du récit de l’ancien prisonnier, que d’autres « acteurs gouvernementaux » puissent être poursuivis dans le futur pour « comportement inconstitutionnel ».
Des conseillers juridiques en ligne de mire

Cette décision judiciaire porte un coup aux organisations de défense des droits de l’homme et anciens détenus qui espèrent voir un jour les hauts responsables de l’administration Bush traduits en justice. Pour l’instant, Barack Obama et son entourage se sont gardés de se prononcer ouvertement sur le sujet. Si le président a écarté toutes poursuites contre les agents de la CIA responsables « d’interrogatoires musclés », il n’avait pas exclu dans un premier temps que « ceux qui ont formulé ces décisions juridiques » le soient. Une possibilité rapidement balayée par son directeur de cabinet, Rahm Emanuel.
Le rapport de la commission des forces armées du Sénat américain, concluant que la torture des « ennemis combattants » sous l’administration Bush « ne peuvent pas être simplement attribués à quelques brebis galeuses », semble bel et bien enterré. Ce document publié en janvier 2008 soulignait notamment la responsabilité l’ancien secrétaire à la défense Donald Rumsfeld et de Condoleezza Rice, alors conseillère à la sécurité nationale, sans aller jusqu’à évoquer le domaine juridique.
Trois avocats au bureau juridique du ministère de la justice de l’administration Bush pourraient en revanche faire l’objet de poursuites : Jay Bybee, John Yoo et Steven Bradbury. Jay Bybee et John Yoo sont notamment à l’origine du document affirmant que l’interdiction légale de la torture ne s’applique qu’aux traitements qui conduisent à une « défaillance d’organe » ou à une incapacité physique.
Plusieurs plaintes ont déjà été déposées à l’étranger pour torture contre des anciens responsables américains par des associations de défense des droits de l’homme, notamment en Espagne, en Allemagne et en France. Et ces procédures pourraient durer un certain temps, laissait entendre Lawrence Wilkerson, ancien chef de cabinet de Colin Powell. « William Haynes [ex-avocat du Pentagone], Douglas Feith [ex-sous-secrétaire à la défense], John Yoo, Jay Bybee, Alberto Gonzalez [ancien ministre de la justice] et David Addington [ex-conseiller juridique de Dick Cheney] devraient éviter de voyager hors des Etats-Unis, à part en Arabie saoudite ou en Israël », a-t-il lancé.