Urbanisme algérien: La violence de l’inaction résulte de la violence de l’action

Urbanisme algérien: La violence de l’inaction résulte de la violence de l’action

C’est vrai que ce que j’ai écrit jusque-là n’apporte pas de véritables réponses à l’urbanisme algérien, mais j’avoue aussi que ça ne m’a jamais intéressé d’en proposer. Seulement le temps de la maturité s’impose et impose des attitudes qui obligent. Comme de réfléchir sur l’urbanisme selon des modes pratiques de la réflexion, prôner comme je l’ai fait il y a quelques années des théories utiles qui conviennent au sujet de réflexion au lieu de commencer par le choix d’une théorie et prendre le risque de déformer la réalité.

C’est la bonne connaissance du terrain, la confrontation aux interrogations les plus diversifiées et osées qui peuvent nous aider à améliorer nos environnements ; il ne s’agit pas de vouloir transformer, modifier, déplacer les populations et les parquer dans un quelque part comme des troupeaux d’hommes et de femmes sans considérer aucunement leur rapport au lieu, qu’il s’agisse du lieu de départ ou du lieu d’arrivée, ou même de démolir pour redistribuer le foncier aux apparatchiks du système ; il s’agit d’accompagner un choix de vie et l’amener à sa réalisation. Nous pouvons nous inspirer de tas d’expériences menées dans notre pays, pas la peine d’aller chercher ailleurs des guides d’urbanisme appliqués sur des cas n’ayant pas de véritables relations avec ce que nous sommes culturellement, socialement et sociétalement parlant, économiquement et surtout politiquement. L’expérience de Roland Simounet (peu présente dans l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme algérien) – je pense en particulier à Djenane el Hassan de 1956-1958 -, peut être source d’inspiration. Le personnage en lui-même inspire, comme dans sa manière de pratiquer l’architecture comme étant une accumulation d’éléments généralement peu ou pas du tout liés en vue de construire avec, « un ordre » (dixit Louis Kahn), et le regain d’intérêt qu’il a toujours eu pour l’expression populaire des milieux urbains qui lui donnait l’inspiration d’organisations spatiales pouvant se révéler familières à l’observateur lambda.

C’est cet urbanisme et architecture qui sont restés inaccessibles aussi bien aux maîtres d’ouvrage qu’aux maîtres d’œuvre. Ce que nous n’arrivons pas à saisir, ce que nous ne voulons pas admettre, c’est que « l’urbanisme est contradictoire par essence », par la nature même des sites, des milieux, des sociétés, des économies et des cultures auxquels il s’adresse. Les enseignements que j’ai tirés des cas d’Oran et d’El Bayadh m’ont amené à assumer mon propos contradictoire, en particulier par rapport à ceux qui le prennent au premier degré en espérant y trouver le moyen de le décrédibiliser. Oran à elle seule en tant que ville agglomérée impose la recherche permanente des traits particularisant les quartiers, les rues, les bidonvilles, etc.

Je me rappelle qu’en suscitant la polémique autour de la question du patrimoine à Oran, tout en faisant le distinguo entre le quartier M’dine Djdida et les quartiers du secteur urbain Sid el Houari, j’ai dit à mes étudiants que ce qui est à conserver dans M’dine Djdida c’est son économie informelle (dans le cas de ce quartier Mohamed Larbi Merhoum utilise sa notion d’ « économie carrossable ». A ce propos, il nous disait récemment qu’ « économie carrossable veut dire économie où la voiture, le camion sont devenus indispensables. A la différence de la médina où seul l’âne servait de moyen de locomotion et transport de marchandises »), et que ce qui est à préserver dans le secteur Sid el Houari en dehors de quelques édifices qui sont plus symboliques par leur histoire que par leurs architectures, c’est l’îlot, ou « les tissus à ne pas remembrer » (dixit Mohamed Larbi Merhoum). A El Bayadh nous avons découvert une organisation urbainement tribale, ou disons simplement une urbanité toute particulière, locale et en même temps propre à la région d’El Bayadh, elle se réfère fortement aux origines ksouriennes et nomades, mais ce qu’il y a de plus intéressant dans le cas de la ville d’El Bayadh, c’est que cette dernière semble avoir réussi à fédérer l’esprit tribal pluriel (pour saisir en partie notre souci d’ancrer la définition du patrimoine, je conseille de lire : 3 Chroniques d’un architecte coopérant, – Essai sur la pensée pratique en coopération3 , de Patrick Dalix, Harmattan, 2013).

Ainsi donc l’urbanisme n’est pas un, il ne peut pas être un, il est pluriel, et l’esprit qu’il porte n’a pas la frustration de la certitude que nous avons en tant qu’hommes cherchant à se rassurer absolument par le discours de la norme et des règles à appliquer absolument pour ne pas perdre le fil d’un calcul comme ont tendance à le chérir nos urbanistes algériens (Nicolas Michelin tient le même discours en France). Dans le cas des villes agglomérées algériennes, les réponses apportées sont généralement mécaniques, primaires et j’ose le dire crûment bestiales. Nos urbanistes, nos maitres d’ouvrage, nos maitres d’œuvre, ignorent le propos nous semblant très juste d’Edgar Morin qui est : « La vision déterministe, mécanique, quantitative, formaliste, ignore, occulte ou dissout tout ce qui est subjectif, affectif, libre, créateur. ».

La ville subit grosso modo deux violences : 1/ la violence de l’action qu’incarnent les directions de l’urbanisme et les bureaux d’études publics, dont le personnel est convaincu des techniques qu’ils se sont habitués à globaliser pour des résultats peu reluisants, et 2/ la violence de l’inaction qui perpétue les territoires dans leur posture 3 bidonvillique3 . Ce que nous avons déduit du cas de l’urbanisme algérien, peu démocratique, c’est que : « La violence de l’inaction résulte généralement de la violence de l’action ». Le laisser-aller urbain devenu une norme nationale, le choix inopportun des projets à réaliser, a fini par déteindre sur l’ensemble du territoire national, nous amenant à affirmer l’échec de l’urbanisme algérien et ses méthodes archaïques.

Sans passer par l’expérience des administrations qui administrent « les territoires comme étant les mêmes » (dixit Mohamed Larbi Merhoum), et en faisant confiance à mon intuition et la prépondérance de l’expérience de la lecture, j’ai cru comprendre que rien ne vaut la recherche de la combinaison des territoires, de la plus grande échelle jusqu’à la plus petite échelle, et le recours à l’esprit de la loi au lieu d’en faire un code d’aménager répressif et « hors-sol » (dixit Pierre Rabhi). Nous savons tous que la ville algérienne agglomérée (même les ksour ayant subi des extensions laides sont des périmètres urbains agglomérés) dépend de deux facteurs importants : l’abus et l’hors contexte des décisions et choix des décideurs publics, et le rapport de force des populations à l’espace public. Cependant, pour être efficace, au moins par le prisme de la décision, il est plus que nécessaire de cesser de choisir les mauvaises personnes pour occuper les bons postes.

*Architecte-urbaniste