L’avant-première du premier dessin ani- mé algérien, qui a pour titre «Le lion et la bûcheronne», a eu lieu dimanche aprèsmidi, à Oran, au siège de l’ENTV.
C’est Mourad Senouci, qu’on connaît par ailleurs pour avoir adapté «L’attentat» de Yasmina Khadra en pièce théâtrale, qui en est le scénariste.
En fait, l’Algérie a déjà à son actif quelques dessins animés, mais là où la projection de dimanche dernier a été «une première» est dans le fait que «Le lion et la bûcheronne» est le premier «moyen-métrage» animé du pays, puisqu’il dure exactement 38 minutes.
Effectivement, par le passé, tout dessin animé réalisé par une équipe algérienne ne dépassait pas, dans le meilleur des cas, 11 à 12 minutes. Et encore, on parle là des réalisations du début des années quatre-vingt…
Depuis, pour diverses raisons, aucun dessin animé n’a été réalisé en Algérie. C’est notamment en présence du réalisateur Abdelkader Mokhadem, et du scénariste, Mourad Senouci, que la projection a eu lieu.
Ceci dit, «Le lion et la bûcheronne» se distingue par rapport aux dessins animés que les enfants ont coutume de voir sur la chaîne étatique par le fait que les dialogues ne sont pas écrits en arabe classique, mais plutôt en «algérien», c’est-à-dire dans la variété de l’arabe de notre pays.
Mourad Senouci, l’auteur, s’en est expliqué : « On a constaté que l’enfant algérien de 4 à 5 ans ne profite pas assez des dessins animés : ou bien il les voit sur la chaîne nationale, interprétés dans un arabe classique auquel, vu son âge, il ne comprend rien ; ou alors, il les voit sur les chaînes satellitaire, en français généralement, langue à laquelle il ne comprend rien non plus. Notre idée, donc, était de le convier à regarder un dessin animé interprété en une langue qu’il lui est familière, c’est-àdire celle de la rue».
Il a, par la suite, défendu cette idée en affirmant qu’il n’y avait nulle honte à utiliser notre dialecte : «Il est venu le temps de «Le lion et la bûcheronne» Une première pour le dessin animé algérien se décomplexer. Notre dialecte est beau. En plus, il est celui qui s’inspire le plus de l’arabe classique. Pourquoi dans tous les pays arabes, du Maroc jusqu’à la Syrie, on n’éprouve aucune honte à utiliser, parfois même dans les journaux télévisés, les dialectes locaux, et chez nous, ça nous pose problème» ?
Abdelkader Mokhadem a, pour sa part, affirmé que le dialecte interprété dans cette animation s’inspire plus de la langue théâtrale que celle de la rue. «On a essayé que l’écriture soit assimilée à celle que Kateb Yacine utilisait dans ses pièces théâtrales». De toutes les façons, a expliqué Mourad Senouci, la langue n’est qu’un support, ce qui compte, c’est que le message passe. «Le lion et la bûcheronne» a été réalisé en semi-animation.
C’est-à-dire qu’au visionnage de ce dessin animé, on ne voit pas l’ensemble de l’écran en animation, mais seulement les personnages qui sont en action. La raison invoqué est du fait que l’équipe de réalisation ne comprenait en tout que huit personnes. «On a fait ce qu’on a pu, avec les moyens du bord». Un dessin animé en animation complète nécessite au moins 25 images par secondes.
«Pour cela, il nous faut une production à la Walt Disney, a dit le réalisateur, ce qui est pour l’heure impossible». À titre informatif, il a fallu en tout plus de 8 mois de travail pour que ce moyen-métrage soit parachevé. L’infographiste de cette animation, qui était également présent, a expliqué que les Japonais, experts en dessins animés, qu’on appelle là-bas des «mangas», utilisent eux aussi la semi-animation. «Seulement, ils sont à ce point bien équipé en matériel informatique, qu’à l’aide de tout un tas d’effets spéciaux, d’effets de lumière, de bruitages, etc, le spectateur, au final, n’y voit que du feu !». Bien sûr, «Le lion et la bûcheronne» est loin d’être une animation digne d’un Akira Toriyama ; mais tout de même, pour un premier essai, le résultat n’en est pas moins probant. L’autre caractéristique de ce dessin animé réside dans le fait qu’il soit parsemé, ici ou là, de quelques clips musicaux.
C’est encore une fois Mourad Senouci qui est l’auteur des textes de ces chansons. Elles ont été interprétées par Samir Bouanani, qu’on connaît dans le milieu théâtral pour avoir joué «moutazaouidj fi outla». L’infographiste, qui a réalisé le côté musical de ces clips, a affirmé pour sa part que la musique d’accompagnement choisie a été universelle… Avec tout de même un petit fond de notre propre répertoire musical.
«On ne veut pas barricader notre oeuvre au niveau national. Notre but est que le spectateur, en voyant ce dessin animé, se demande dans un premier temps s’il est bel et bien produit ici, et qu’ensuite seulement, en percevant le petit fond oriental proprement de chez nous, il se rend compte que oui». En ce qui concerne l’histoire, connue du reste du grand public, elle tourne en ridicule un lion féroce, voulant régner sur le monde entier par sa seule force, et décide d’aller à la rencontre de l’homme, son prétendu rival, histoire de le «détrôner».
Seulement, eu égards à ses capacités intellectuelles limitées, le lion tombe dans le piège d’une bûcheronne, qui réussit, à l’aide de malice et de persuasion, à le faire emprisonner de son propre chef. Aussi, la morale que veut faire véhiculer ce dessin animé est qu’avec la force, on n’arrive pas forcément au but fixé.
Que bien souvent, pour atteindre un objectif, l’intelligence de l’homme lui sert bien plus que ses muscles. Tout cela est certes admirable, ceci dit, pour l’heure, hormis un passage aujourd’hui sur la chaîne «A3», nulle autre projection de ce dessin animé n’est prévue. Ni à la cinémathèque, ni même une sortie en DVD. Lors du point de presse improvisé, Mourad Senouci a fait également part aux journalistes de son souhait de réaliser, bientôt, à l’instar des «mangas» japonais, un dessin animé de «long-métrage», avec un équipement bien plus riche que celui qu’ils ont eu jusqu’à présent.
El Kébir A.