Le “raïs” déchu s’est présenté dans une cage et sur une civière. Une humiliation qu’il n’avait sûrement jamais imaginée.
L’Égypte a vécu hier une journée historique. Ce 3 août 2011 a marqué, en effet, le début du procès de l’ex-président Hosni Moubarak, 83 ans, de ses deux fils, Alaâ, 51 ans et Gamal, 48 ans, de l’ex-ministre de l’Intérieur, Habib El-Adli, 73 ans, et de six ex-hauts responsables de la police. Un événement d’une grande importance dans ce que vit l’Égypte depuis le début de 2011.
Il survient moins de six mois après la chute de celui qui a gouverné le pays des pharaons pendant près de trente ans, après avoir été vice-président six ans durant (1975-1981). Une fin de règne survenue après 18 jours de manifestations, au cours desquels des centaines d’Égyptiens sont morts, assassinés, pour la plupart, par les services de sécurité. D’ailleurs, l’un des principaux chefs d’inculpation contre Hosni Moubarak est relatif à la répression des manifestants qui a fait, selon le bilan officiel, 840 morts. Il est également inculpé dans d’autres affaires de corruption, une avec ses enfants et une autre avec un homme d’affaires égyptien connu.
Au milieu de la journée, le juge avait décidé d’ajourner le procès du président et de ses deux fils jusqu’au 15 août prochain. Par contre, l’ex-ministre de l’Intérieur sera présent avec ses ex-collaborateurs, aujourd’hui au tribunal.
Concernant les chefs d’inculpation, Hosni Moubarak et ses deux fils ont plaidé non coupables. Si le tribunal établit qu’il a donné l’ordre de tirer à balles réelles sur les manifestants, il pourrait être condamné à mort et exécuté.
Le procès a été suivi en direct par des millions de personnes. Plusieurs chaînes de télé, égyptiennes, arabes et européennes ont diffusé les péripéties de cette première audience en direct. Ce procès survient moins de cinq ans après l’exécution d’un autre président arabe déchu, Saddam Hussein, pour “le massacre de 148 villageois chiites en 1982”. Il survient un mois après la condamnation par contumace d’un autre président déchu, le Tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, à quinze ans de prison pour “possession de drogue et d’armes”.
Couleurs et livres
Le procès a donc débuté hier dans la banlieue du Caire. Pour des raisons de sécurité, le lieu choisi a été une école de police dans laquelle un amphithéâtre a été spécialement aménagé. Une grande cage à barreaux noirs a été installée pour y mettre les accusés.
Hospitalisé depuis avril dernier à Charm El-Cheikh, Hosni Moubarak a quitté, hier matin, l’hôpital, par hélicoptère, pour atterrir dans la matinée à l’aéroport militaire d’Almaza au Caire. C’est sur une civière qu’il restera tout au long de ce premier jour du procès. À ses côtés, ses deux fils, Alaâ et Gamal. Les téléspectateurs non égyptiens, qui n’ont pas l’habitude de suivre les procès de ce pays, ont sûrement dû se poser des questions sur le choix vestimentaire des accusés. Les trois membres de la famille Moubarak étaient habillés en blanc alors que Habib El-Adli portait une tenue noire. Cette différence de couleur fait la distinction entre les accusés non condamnés et les condamnés. L’ex-ministre de l’Intérieur a été condamné en mai dernier à douze ans de prison pour “malversations financières”.
Les deux fils Moubarak se sont tenus debout, devant leur père, tout au long des heures (presque 4h) qu’aura duré cette première audience du procès. Les deux, que ce soit l’ex-futur prétendant au “trône”, Gamal, ou le grand affairiste, Alaâ, tenaient chacun un livre à la main, sans aucun doute un exemplaire du Coran. Un autre “fait” n’est pas passé inaperçu pour ceux qui ont suivi le procès. En se mettant debout, au-devant de leur père allongé sur la civière, les deux frères semblaient vouloir empêcher les caméras de filmer le président déchu dans cette posture. Une femme aurait pu être avec eux, dans le box, Suzanne Moubarak, 70 ans, épouse de Hosni, mère des deux autres accusés. Son “absence” n’est due qu’à un deal qu’elle a pu avoir avec les autorités actuelles en Égypte. Elle a été libérée en mai dernier après avoir échappé aux poursuites judiciaires. Pour cela, elle a dû livrer ses avoirs, environ quatre millions de dollars, aux responsables actuels du pays. Néanmoins, l’argent n’a pas pu sauver les autres membres de la famille.
Malade ou pas !
La santé de Hosni Moubarak a tenu les Égyptiens en haleine depuis qu’il a quitté le pouvoir, le 11 février dernier. Ainsi, et après un malaise cardiaque, il est placé, le 13 avril dernier, en détention préventive dans un hôpital de Charm El-Cheikh. Début juin, son avocat annonce que l’ex-président a un cancer de l’estomac.
Une information qui n’a pas été officiellement confirmée. Le mois dernier, l’agence officielle Mena affirme que Hosni Moubarak perd parfois connaissance et son avocat, Me Farid El-Dib ira jusqu’à affirmer qu’il était tombé dans un “coma complet” sans aucune autre confirmation. La santé aléatoire de Hosni Moubarak, qui a tout de même 83 ans, ne remonte pas à cette année. En mars 2010, il avait déjà été hospitalisé en Allemagne pour une ablation de la vésicule biliaire et l’extraction d’un polype du duodénum. Cependant, beaucoup d’Égyptiens avaient formulé de fortes réserves sur son état de santé et n’hésitaient pas à affirmer que c’était une manière comme une autre pour l’ex-président d’éviter de se retrouver dans un tribunal. Au bout du compte, la pression de la rue a eu gain de cause. Le “raïs” déchu s’est présenté dans une cage et sur une civière. Une humiliation qu’il n’avait sûrement jamais imaginée.
“Pro” et “anti”, un face-à-face qui risque de durer
Devant le tribunal, des centaines de personnes, dont des familles des victimes et des journalistes, étaient rassemblées et suivaient l’audience sur un écran géant. Des partisans de l’ex-président se sont heurtés à ses opposants dès le début de la journée puis au moment où l’audience était suspendue pour une pause. Des centaines de policiers et de soldats déployés à l’extérieur du bâtiment sont intervenus pour empêcher les violences entre les deux camps. Ces scènes de violence viennent surtout confirmer que la chute de l’ex-“raïs” est loin d’être synonyme d’un pays apaisé.
Les manifestations au Caire, surtout celle de vendredi dernier, sont venues confirmer la grande pression dans laquelle vit le peuple égyptien. Avec la tenue du procès, les autorités militaires qui gouvernent le pays depuis la chute de Moubarak comptent plus au moins calmer les “ardeurs” des plus radicaux. Les audiences seront suivies par tout le peuple. Tout indique que le procès risque de durer longtemps. À quoi aboutira-t-il ? La loi du talion, que les proches des victimes des manifestations proclament, sera-elle appliquée ?